Asma a tiré sa révérence le 5 janvier dernier. Depuis quelque temps, elle n’était plus tout à fait de ce monde disent ses proches. Ses amis de Paris se sont rassemblés le 1er juin à l’Institut du Monde Arabe – autour de la projection du film Asma réalisé par André Pelle et Raymond Collet pour le Centre d’études alexandrines – pour rendre hommage à la femme et à l’artiste, profondément égyptienne – elle partageait sa vie entre Le Caire et Alexandrie – et passionnément occidentale – avec son lien complice à Paris.
Elle était aux confluences géographique, philosophique, religieuse par ses parents – sa mère fille de pacha catholique les Sakakini, son père fils d’un maître de confrérie soufie, les El Bakry – politique et artistique. Elle se battait pour l’Egypte, pour les femmes et pour l’art avec révolte et passion, franchise et provocation. Son maître absolu et modèle en cinéma fut Youssef Chahine qu’elle côtoya jusqu’à sa disparition en juillet 2008. Elle fut notamment son assistante dans Le Retour du Fils Prodigue en 1976 et participa à Adieu Bonaparte, en 1984.
Après des études en littérature française à l’Université d’Alexandrie, amoureuse de cinéma mais aussi d’histoire et de musique, Asma El Bakry traversa tous les métiers du plateau avant de prendre elle-même la caméra. Dès 1979 elle réalise son premier film documentaire : Une Goutte d’eau, voyage dans le désert occidental, du lever au coucher du soleil. D’autres documentaires expriment ses thèmes de prédilection, notamment Le Musée gréco-romain d’Alexandrie dont le co-scénariste n’est autre que Jean-Yves Empereur, spécialiste des recherches sous-marines et directeur du Centre d’études alexandrines avec qui elle effectue des plongées dans la baie d’Alexandrie, en 1994. Un an après elle tourne Le Nil, puis en 1998, Les Fatimides suivi de Les Ayyoubides, rois de l’ancienne Égypte, en 1999. Ses collaborations sont multiples avec des historiens, des intellectuels et des artistes, c’est une femme de réseaux, un passeur.
Son premier film de fiction fut l’adaptation du roman d’Albert Cossery en 1990, Mendiants et Orgueilleux, qui reçu un très bon accueil – univers de Cossery qu’elle reprendra en 2004 avec l’adaptation de La Violence et la Dérision -. En 1998, Concert dans la ruelle du bonheur traduit sa passion pour l’opéra et son amour pour le petit peuple qu’elle observe avec beaucoup d’émotion. Elle nourrissait encore des projets quelque temps avant sa mort et cherchait des financements pour tourner Tante Safia et le monastère, adapté du roman de Baha Taher. Elle souhaitait y montrer une Égypte où chrétiens et musulmans savent cohabiter et vivent en paix.
Asma telles que ses amis la décrivent, est celle « qui n’a pas froid aux yeux, un électron libre ; grand cœur grande gueule et grande culture ; qui apporte ses idées iconoclastes ; idéaliste et paysanne car très attachée à sa terre où elle vivait avec ses amis les d’animaux et recueillait les chats ; une femme hors norme qui se bat pour des idées ; une lanceuse d’alertes ; drôle et intraitable ; un cœur gros et des coups de blues ». Le film d’André Pelle et Raymond Collet rassemble d’émouvants témoignages d’amis intellectuels et artistes, de complices qui ont suivi Asma, l’insoumise, pas à pas : ainsi Joseph Boulad intellectuel d’Alexandrie et qui en connaît sur le bout du doigt les différentes strates, Golo dessinateur et grand observateur de l’Egypte, Gabriel Khoury producteur de cinéma qui œuvre en Egypte à son développement et à son inscription dans le champ international, Kénizé Mourad romancière, Alexandre Buccianti correspondant au Caire pour RFI, Mohamed Awad, professeur d’architecture à l’Université d’Alexandrie et conseiller auprès du Centre des Recherches Alexandrines et Méditerranéennes, les témoignages sont nombreux.
Après la projection s’est engagé un court débat de souvenirs impressionnistes en présence notamment de Gilles Gauthier, ancien conseiller culturel au Caire et ancien ambassadeur au Yémen, Gilles Kaepel, spécialiste du Monde Arabe contemporain, Robert Solé, écrivain et journaliste d’origine égyptienne, Mercédès Volait, directrice de recherche au CNRS, Marianne Khoury réalisatrice et productrice notamment de Mendiants et Orgueilleux et qui dit d’Asma « Elle faisait les choses qu’on avait envie de faire mais qu’on n’aurait pas osé. »
Puis Amira Selim, jeune soprano de talent et compatriote a chanté, en son souvenir, des airs d’opéra qu’elle aimait : l’air de la Musetta de la Bohème de Puccini, un extrait de Roméo et Juliette de Gounod, La Reine de la nuit de La Flûte enchantée de Mozart, et des Chansons égyptienne de Sayyed Darwish et Omar Khayyan.
Asma comme le tonnerre… est partie en musiques, en douceur et applaudissements.
Brigitte Rémer