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The Big Bang

Spectacle de marionnettes par le Klaipéda Puppet Theatre – écritures et mise en scène Zvi Sahar/Pupet Cinéma – dans le cadre du Focus Lituanie, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / La Coupole.

© Donatas Bielkauskas

On entre dans la cosmologie, la gigantesque explosion de la création de l’univers a eu lieu, un univers qui se compose de milliers de pièces détachées, minuscules, issues de fils électriques, fiches, disquettes, mobiles, ordinateurs déglingués, câbles et boulons. Le plateau est recouvert des rebus de composants électroniques entremêlés, Arte povera avec lequel les acteurs-manipulateurs font récit.

Comme dans la Genèse et comme des dieux, d’une terre informe et de ténèbres ici pleine de ces objets morts, ils créent le ciel et la terre, ils créent la ville. Ils sont trois sur le plateau, l’un, filme en direct, les deux autres font vivre des personnages qui prennent forme au gré de ces restes de nos sociétés malades où les usines déversent leurs fumées, où les déchets industriels s’accumulent. Ils créent une poétique de l’objet, assemblent ces pièces hors d’usage qui se métamorphosent en marionnettes à tige, sous le regard de la caméra qui construit l’histoire. Comme penchés sur des établis, hyper-concentrés et formant communauté, chacun de leurs gestes est maîtrisé.

© Donatas Bielkauskas

Il n’y a pas de texte mais une musique électro, tonique, pour accompagner ce désert de ferrailles (composition musicale Kobe Shmueli). On part de l’origine de la vie et de la naissance d’une ville, de son tracé aux mille ruelles et bâtiments, jusqu’à la construction d’une ville-lumière, après guerre et destruction sur fond de bruits d’avion et pluie de drones. Un homme et son chien prennent forme et vie, et dialoguent dans une langue improbable d’onomatopées. Le Klaipéda Puppet Theatre excelle dans l’art de la transformation. Les acteurs-manipulateurs récupèrent robinets et pinces à linge, bouts de grillage, restes de hauts parleurs. Soudain dans ce no man’s land on se retrouve au marché en compagnie de trois personnages-modèles réduits qui émergent d’un tas de ferrailles. Ils nous transportent sur un stade, dans des jardins, au marché. Le chien, assemblage de deux morceaux de câble électrique et d’une simple pile perdue, accompagné de son maître, recrée la vie d’un quartier.

Soudain un trou de lumière les happe, la terre se couvre de déchets, le tonnerre se déchaîne. La ville est à rude épreuve avant de reprendre son cours, on chante et on joue du piano jusqu’à ce que retentisse une sirène d’alarme et que le danger à nouveau menace. La pluie et les bourrasques, la buée-brouillard-pollution s’acharnent, on est en mode survie. Les horloges se dérèglent et affichent des zéros à l’infini, le chien a disparu, tous se mobilisent à sa recherche et finissent par le sortir du trou dans lequel il est tombé. Tout est noir et il faut beaucoup de talent pour tenter de redonner un peu de lumière en tordant les fils jaunes trouvés dans un coin du plateau. Puis la vie repart. On applaudit la soucoupe volante qui plane au-dessus de la ville, l’avenir est prometteur, les plantes repoussent sur la ferraille et tout l’environnement s’habille de vert, le monde devient une serre.

© Donatas Bielkauskas

Émerge de ce Big Bang une ville lumière aux guirlandes colorées à partir de deux fils qui se touchent, étincelle pour ville nouvelle. L’un rêve d’eau, le téléphone appelle, un piano à queue prend forme, on se regroupe autour de la musique. Le chien se bat contre un bout de fil avant de jouer des percussions. L’imaginaire est aux aguets.

Le Théâtre de Marionnettes de Klaipėda, seule institution professionnelle de l’ouest de la Lituanie explore des modes d’expression hors norme. Monika Mikalauskaitė Baužienė, Vytautas Kairys et Kęstutis Bručkus, sont ici les co-auteurs et manipulateurs d’un Big Bang, de haute voltige. Comme dans une partition musicale, ils rythment l’ensemble de la représentation et écrivent une symphonie des plus originales pour cartes mémoire, disques durs et processeurs, recyclage des produits industriels en fin de vie, ville polluée ville verte, écologie responsable. Leurs inventions et leur art de la manipulation sont au sommet. Avec une délicatesse et précision infinies et dans un remarquable travail artisan et artiste, ils donnent vie aux grands débats de nos sociétés, parlant en minuscule de la ville et de la pollution majuscule, d’espoirs immenses pour un monde meilleur,

Brigitte Rémer, le 18 octobre 2024

Assistant mise en scène et co-auteur Aušra Bakanaitė – marionnettistes et co-auteurs Monika Mikalauskaitė Baužienė, Vytautas Kairys, Kęstutis Bručkus – composition musicale Kobe Shmueli – lumières Scahar Peggy Montlake, Paulius Vendelis – fabrication des marionnettes Aušra Bakanaitė, Marbeyad Studio

Du 3 au 5 octobre 2024, à 20h au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / La Coupole – 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com