Concert avec le duo palestinien Sabîl : Ahmad Al Khatib oudiste et Youssef Hbeisch, percussionniste et leur invité, Vincent Segal, violoncelle – dans le cadre du festival musical Arabofolies, à l’Institut du Monde Arabe.
Les trois musiciens présentent sur scène leur dernière composition, qu’ils ont gravée sur un superbe CD portant ce même titre, Tawaf, littéralement, ce qui est lié à un rituel religieux, et qui sort ce jour. Le duo palestinien, Sabîl, Ahmad Al Khatib oudiste et Youssef Hbeisch, percussionniste, ouvre le concert. Ahmad Al Khatib l’introduit de quelques mots annonçant le premier morceau, Maqâm li Ghazzâ / Maqâm pour Gaza en disant qu’il préférerait ne pas avoir à chanter la liberté, ce qui voudrait dire que Gaza vit dans la normalité.
Les modulations et ornementations des motifs mélodiques chantés par le oud dans sa variation des demi-tons, se développent avec persuasion et obstination. Les percussions y répondent, parfois dans un murmure et une spirale de répétition, parfois de manière décidée et incisive. Puis entre Vincent Segal, musicien aux expériences multiples, portant son violoncelle. Ahmad Al Khatib l’accueille et parle du Tawaf qu’ils s’apprêtent à jouer ensemble. Ces compositions sont nées pendant la période du covid, alors que chacun était enfermé sur soi.
Le premier morceau, The clock on the wall laisse perler le tic-tac du temps jusqu’à devenir oppressant. Le violoncelliste fait corps avec son instrument, qui apporte son mystère. Le violoncelle est solennel, il joue de sa voix grave et donne des sons continus velours. Le oud dialogue. Ensemble, ils montent dans les aigus puis se suspendent avant de reprendre souffle. Les clochettes offrent leurs sons cristallins. Vincent Segal joue avec archet et parfois sans, fait des pizzicatis, tire ses cordes, tape de son archet la table de l’instrument. Il y a de la vie, de la douceur, des temps qui se règlent et se dérèglent, des instruments qui se cherchent.
Dans le second morceau, 5 little minutes, le oud lance le thème avant que les musiciens ne se répondent avec fermeté, violence parfois et nostalgie, dans les tremblements et chuchotements. Vincent Segal souligne quelques phrasés de ses crotales. Le son s’éloigne et revient. Suit Oriental fantasy où Ahmad Al Khatib parle des deux chemins que les musiciens empruntent, celui de la pratique et celui de la transmission. Vincent Segal tisse la mélodie, le morceau a des inflexions jazz. On se fabrique des images. Vient ensuite Najaf, du nom d’une ville d’Irak située sur la rive droite de l’Euphrate, qui nous mène du côté de la musique soufie au son de la darbouka, marquant les notes venant de loin. Youssef Hbeisch en effleure la peau, le bruit sourd de la percussion enfle, on perçoit comme une marche dans le désert.
S’enchaînent les morceaux, ludiques et profonds, fougueux et retenus. Samai Ghofran, s’accompagne d’une autre darbouka de taille moyenne, pour un morceau joyeux et enlevé, comme une gigue. Baalback ferme d’un geste rapide et avec harmonie ce moment musical intense où les instruments sont en osmose, et les musiciens aux aguets.
Vincent Segal reçut le premier prix au Conservatoire de musique et de danse de Lyon avant de prendre de nombreux chemins de traverses, de jouer sur scène ou d’enregistrer avec de nombreux musiciens de haut niveau et de tous horizons comme Papa Wemba, maître de la rumba congolaise, Naná Vasconcelos, de Recife, percussionniste et maître archer de Berimbau, Ballaké Sissoko, magnifique joueur malien de Kora.
La conversation musicale se fait aujourd’hui entre le oud de Ahmad Al Khatib, le violoncelle de Vincent Segal et les percussions de Youssef Hbeisch. Ahmad Al Khatib a appris le oud à partir de l’âge de huit ans, formé par le maître palestinien Ahmad Abdel Qasem. Il s’est plongé dans la musique ancestrale de Palestine, a brillamment suivi un cursus de musicologie et appris le violoncelle occidental classique, en parallèle. C’est un surdoué tant de la théorie que de la pratique et de la transmission. Après plusieurs années passées à enseigner au Conservatoire national de Musique Edward Saïd à Jérusalem-Est – où il rencontre Youssef Hbeisch qui joue darbouka, bendir et riqq – il est contraint de quitter la Palestine. Il publie des ouvrages qui font référence sur l’enseignement du oud et la transcription musicale et a toujours été ouvert à d’autres langages que celui de son instrument. Il travaille en Suède où il s’inspire des musiques traditionnelles scandinaves. Ahmad Al Khatib et Vincent Segal se sont rencontrés au festival Les Suds à Arles, ensemble ils ont préparé l’enregistrement du CD.
Il y a de la rêverie et de la mélancolie dans cet album, des paysages qu’on est invité à imaginer et à traverser, des passerelles à emprunter, des crevasses à sauter. Il y a une musique méditative et fluide comme le sable qui s’écoule de la main. « On sent presque la saveur des grains de raisin croqués en répétition ou la beauté de la montagne qui accueillait l’enregistrement… » écrit Ahmad Al Khatib. Un beau concert programmé dans Arabofolies, un magnifique trio.
Brigitte Rémer, le 20 juin 2024
Concert du 16 juin à 17h, dans le cadre du festival musical Arabofolies, qui se tient du 13 au 20 juin 2024, à l’Institut du Monde Arabe, 1 rue des Fossés Saint-Bernard, Place Mohammed V. 75005. Paris – métro : Jussieu – site : www.imarabe.org – tél. : 01 40 51 38 38 – En partenariat avec Le Bonbon et Tawaf, le CD @ La Clique Production – site : www.laclique-producton.com
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