Conception, écriture et mise sur scène Henri jules Julien (France-Syrie) – Dans le cadre des Traversées du Monde Arabe programmées par Le Tarmac/La Scène internationale francophone. Spectacle en français et en arabe.
Entre esquisse, conte philosophique et chronique contemporaine, l’objet est délicat, porté par une actrice-chanteuse et un contrebassiste. On dirait une enluminure qui sous son apparente simplicité se révèle des plus sophistiquée.
L’actrice arrive du fond de la salle, hauts talons, sourire aux lèvres écarlates, scénario à la main et monte sur le plateau entièrement dégagé où seule une main-courante en bois borde l’espace vide. Le musicien est présent et fait vibrer ses cordes. Elle, s’adresse au spectateur, droit dans les yeux, comme pour une conversation ou pour une conférence. Elle donne la règle de la rencontre qui est, non pas de dialoguer avec le public, « mais, avec le public, de dialoguer avec une idée. » Le texte s’y prête. Il parle des villes-refuges telles que l’Ancien Testament les mentionne, villes servant de havre de paix à ceux qui ont besoin de protection lorsqu’ils sont coupables d’homicide involontaire. Six villes refuges sont relevées : Kadech en Galilée, Sichem dans la montagne d’Ephraïm, Kyriat-Arba à Hébron, dans la montagne de Juda, Betsar dans le désert près de Jéricho, Golan, dans le Basan.
Le texte lu et conté parle de l’Autre et de l’altérité, de l’hospitalité, à la première personne du pluriel, nous, sujet – signifiant nous, habitants des villes européennes –. Il est repris en seconde lecture, en changeant le nous par ils ou eux complément d’objet, pour établir un glissement des idées, les décentrer. Puis l’actrice s’efface et se fond dans le noir du mur, tandis que la contrebasse parle en solo, entre le chuchotement et le cri. Elle, revient, pieds nus, cheveux noués, et chante d’un chant profond les imprécations archaïques d’une sorte de mélopée. Sa voix est belle, son chant vient du fond des temps.
Le texte est dit une troisième fois, en arabe, langue maternelle de Nanda Mohammad, actrice syrienne. Sa présence souffle le chaud. Le duo qu’elle forme avec David Chiesa, contrebassiste, est subtil dans son imperceptible mobilité. Comme des constellations, chacun glisse et se déplace. Lui, fait corps avec sa table d’harmonie, tantôt frottant les cordes avec l’archet tantôt les pinçant, créant une ample déclinaison de sons, cherchant très loin les aigus, et faisant grincer son piquet sur le sol quand il danse avec l’instrument.
Henri jules Julien qui a élaboré le spectacle et l’a mis en scène, donne pour référence le philosophe Emmanuel Lévinas qui sait « dire l’humain de l’homme » et qui a particulièrement travaillé sur le concept d’éthique – « Rien n’est plus étrange ni plus étranger que l’autre homme et c’est dans la clarté de l’utopie que se montre l’homme. Hors de tout enracinement et de toute domiciliation ; apatridie comme authenticité. » La seconde référence choisie par le metteur en scène repose sur l’économiste indien Amartya Kumar Sen qui a reçu le Prix Nobel en 1998 pour ses travaux sur la famine, la théorie du développement humain, l’économie du bien-être, et sur la démocratie comme source du progrès social. Metteur en scène, producteur et traducteur, Henri Jules Julien vit au Caire depuis quatre ans et y multiplie les initiatives pour présenter les artistes égyptiens et syriens sur les scènes européennes.
Sur le plateau, la lumière tourne comme celle d’un phare ou comme des gyrophares émettant leurs signaux de détresse. Elle fait aussi penser à la danse des flammes dans la cheminée, qui éclaire épisodiquement les visages et sculpte des contre-jours. Ces villes-refuges qui semblent bien lointaines ne datent pas seulement de la plus haute Antiquité, elles sont peut-être encore à nos portes.
Brigitte Rémer, le 20 mars 2017
Avec Nanda Mohammad et David Chiesa (contrebasse) – lumière Christophe Cardoen. En tournée : 21 et 22 mars 2017, Théâtre Athénor, Saint-Nazaire – 4 et 5 avril, Institut Français d’Egypte-Mounira, Le Caire, dans le cadre du Festival D-Caf.
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