Archives par étiquette : Théâtre Gérard Philipe/CDN de Saint-Denis

Théâtres de Palestine et du Liban

© David Sarrautin

Rencontre et lectures de textes dramatiques signés d’auteurs de Palestine et du Liban, dimanche 19 janvier, à la MC93, maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny.

C’est autour des récits et dramaturgies de Palestine et du Liban des années 1960 à nos jours que se sont réunis des acteurs et actrices proposant des lectures d’extraits de pièces aux spectateurs et spectatrices venus les écouter.

Le travail en amont et la collecte des textes se sont faits autour de Najla Nakhlé-Cerruti, chargée de recherche au CNRS, chercheuse à l’Institut Français du Proche-Orient d’Amman et qui a signé entre autres La Palestine sur scène, une expérience théâtrale palestinienne (2006-2016) ainsi que L’individu au centre de la scène, publication de trois pièces du répertoire palestinien contemporain dont on entendra des extraits : Dans l’ombre du martyr, écrit par François Abou Salem en 2011, Le Temps parallèle de Bashar Murkus, pièce écrite en 2014 et Taha de Amer Hlehel, la même année.

© David Sarrautin

Cette rencontre a été réalisée sur une idée originale du Théâtre des 13 vents / Centre dramatique national de Montpellier, que dirigent Nathalie Garraud et Olivier Saccomano. Elle permet de découvrir la richesse d’un répertoire méconnu, et d’éclairer la situation actuelle de la création en Palestine et au Liban, dans un contexte de guerre. Najla Nakhlé-Cerruti est accompagnée d’Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’ENS de Lyon pour présenter les auteurs et les œuvres. Un maître du oud, Hareth Mhedi, chanteur et compositeur syrien, interprète des pièces qu’il a écrites pour instrument solo ou qu’il accompagne d’un chant. Il a notamment composé une pièce instrumentale inspirée par le sort des prisonniers politiques.

Dans le partage de l’histoire théâtrale de la Palestine et du Liban, les voix qui ont fait vivre des décennies durant la création artistique, se font entendre, à commencer par celle de Ghassan Kanafani, intellectuel engagé dans la défense de la cause palestinienne et figure majeure de la littérature palestinienne et de la résistance, né en 1936 à Acre en Palestine. Contraint de quitter son pays avec sa famille lors de la Nakba, en 1948, il a vécu principalement en Syrie et au Liban où il fut assassiné par le Mossad israélien en 1972. Retour à Haïfa, publié en 1970 et adapté au cinéma a contribué à le faire connaître. Trois de ses pièces ont été publiées à titre posthume. Lecture est donnée d’un extrait de sa pièce, La Porte, publiée en 1964, qui travaille sur la métaphore, avec un héros qui, à titre de sanction, se trouve face à une porte fermée, qu’il lui est impossible de forcer. « Choisir… C’est un mensonge ! Est-ce que tu peux choisir le temps, le moment où tu es heureux et malheureux ? La mort… L’ultime véritable liberté… »

© éditions L’Espace d’un instant

Suit un extrait de : Un long film américain, écrit en 1979 par Ziad Rahbani, dramaturge, comédien et musicien, fils aîné de la grande chanteuse libanaise Fairuz, qui, s’émancipant des modèles imposés, évoque un Liban mythique et déconstruit l’héritage musical familial. L’histoire se passe dans un hôpital psychiatrique de Beyrouth. Hommage à Elias Khoury ensuite – qui vient de disparaître en 2024 – avec un extrait de sa pièce, La Mémoire de Job. Grand écrivain romanesque, auteur de La Porte du soleil, Elias Khoury traite des disparus pendant la guerre civile et de la restitution, en même temps qu’il parle du théâtre dans l’Histoire. Sur le clocher de l’église des Capucins dans le quartier de Hamra, à Beyrouth, apparaissent chaque matin de nouveaux graffitis signés Ayyoub/Job ; une troupe de comédiens invente la biographie du personnage.

Sous les pins, Suhmata, pièce écrite en 1996, trois ans après les Accords d’Oslo, par Henna Eady, met en vis-à-vis un grand-père et son petit-fils sur le passé palestinien. Suhmata est ce village prit d’assaut en 1948 dont les habitants ont dû s’enfuir, laissant le village en ruine. « Ils ont planté des pins pour cacher le paysage…. Ils ont volé toute l’eau du pays… – Grand-père, quelle est votre histoire, avant ? – On n’était pas réduit à l’esclavage, à ce point… »

François Abou Salem © Archives IFPO, Amman

Puis vient le nom de François Abou Salem, acteur, auteur, metteur en scène et réalisateur. Né en 1951 d’un père poète et médecin, Loránd Gáspár, en charge des hôpitaux de Jérusalem, et d’une mère scénographe, élevé à Jérusalem-Est, fondateur du Théâtre National Palestinien/El-Hakawati, l’artiste s’est suicidé à Ramallah en 2011. En 1983, il avait restauré un cinéma de Jérusalem incendié, Al-Nuzha, pour en faire le quartier général du Théâtre National Palestinien dont il avait pris la direction artistique. Il y avait mis en scène entre autres Dario Fo, Brecht, Ritsos, Tchekhov, l’auteur palestinien Hussein Barghouti, les poètes persans Farid-uddin Attar et Omar Khayyām, et beaucoup d’autres. Il travaillait entre la France, l’Europe et la Palestine, avait interprété en solo Une mémoire pour l’oubli de Mahmoud Darwish, avait reçu des mains du président Yasser Arafat le Prix Palestine pour l’ensemble de son travail théâtral, en 1998. Avec le monologue de François Abou Salem, Dans l’ombre du martyr, son texte ultime, Nidal Abd al-Latif livre le récit de ses souvenirs avec son frère, mort pendant la seconde Intifada et dans l’ombre duquel il vit. « Je meurs dans l’ombre du héros. J’ai aimé Jaber comme un petit frère ; maintenant tout le monde l’aime comme un héros. Je n’arrive pas à me réjouir… Tu es jaloux de sa gloire ! » On est dans le domaine de la psychanalyse et de la neurologie : « Venez, je vais vous montrer la mansarde de la maison du cerveau… La mansarde est habitée par le prénommé… » Les objets tels que blouse, masque chirurgical, miroir, chaises y jouent un rôle important. « Quel visage donneriez-vous à la sagesse ? »

Hash, de Bashar Murkus © Piero Tauro

Produite par Al-Midan, anciennement Théâtre Arabe de Haïfa, le seul théâtre public israélien consacré à la création palestinienne, la pièce, Le Temps parallèle de Bashar Murkus, metteur en scène et écrivain, directeur artistique du Théâtre Kashabi à Haïfa, traite de la question très controversée des prisonniers politiques palestiniens emprisonnés dans les prisons israéliennes. Elle s’inspire de la vie et des écrits de Walid Dakka, né en 1961, emprisonné en Israël depuis le 25 mars 1986 et condamné à perpétuité pour avoir participé au meurtre d’un soldat israélien, en août 1984. Figure emblématique et populaire parmi les prisonniers palestiniens détenus en Israël, après une longue bataille juridique, Walid Dakka avait reçu l’autorisation de se marier en prison avec une journaliste palestinienne, en 1997. « La prison est comme un feu qui se nourrit des vestiges de la mémoire… J’écris pour mon fils qui n’est pas encore de ce monde… »  Le spectacle avait mené à la suspension des subventions de la compagnie. (voir aussi l’article sur Hash, autre spectacle de Bashar Murkus, dans Ubiquité-Cultures du 26 novembre 2021).

Le monologue Taha, écrit en arabe par l’acteur et dramaturge palestinien Amer Hlehel en 2014, s’inspire de la vie du grand poète palestinien autodidacte Taha Muhammad Ali, né en 1931, symbole d’une Palestine perdue et reconquise par les mots. Le récit biographique se mêle à des extraits de poèmes et s’inscrit dans l’héritage du conteur, el hakawati. « La poésie s’imposait à moi… Je vais dessiner l’univers et écrire le monde… » Augures, de Chrystèle Khodr, auteure et metteure en scène libanaise propose une ré-écriture de l’Histoire sur la partition de Beyrouth et l’inventaire des théâtres, tous décimés. Le spectacle fut présenté à la MC93 Bobigny, de même qu’un autre de ses spectacles, Ordalie. (cf. Ubiquité-Cultures du 19 mai 2023 et du 3 juin 2024). Enfin, le texte de Yehya Jaber, journaliste culturel militant, acteur et metteur en scène, écrit en 2024 en dialecte du sud Liban, Quoi porter, évoque le transfert de prisonniers.

Augures, de Chrystèle Khodr © MC93

Ce voyage dans les textes des Théâtres de Palestine et du Liban s’est clôturé par la lecture d’un poème de Haidar Al-Ghazali, jeune poète gazaoui de vingt ans qui poste ses messages sur les réseaux sociaux. La lecture est en bilingue : « Ô toi, génocide, lève-toi de bonne heure pour te rincer le visage dans la lumière… Ô génocide, prends ma vie, il se peut que tu meures. »

Parmi les commentaires qui ont accompagné ces lectures de textes, ont été évoquées les difficultés de la création théâtrale dans la fragmentation des espaces qui oblige à l’obtention d’un régime de mobilité selon différents types de statut, que l’on soit résident dit temporaire, citoyen arabe israélien, Palestinien de Cisjordanie ou de la Bande de Gaza avec blocus imposé par Israël et par l’Égypte ; la disparition des lieux de formation et de pratique des arts tant en Palestine qu’au Liban ; la complexité de faire des recherches faute d’archives dont beaucoup ont été détruites comme les archives ottomanes de Gaza et les archives de nombreuses bibliothèques de la région ; souvent l’impossibilité d’accès au terrain ou l’accusation de militantisme entrainant censure et sanction.

Cette rencontre autour des textes de Palestine et du Liban fut un moment exceptionnel dans la découverte d’auteurs et de dramaturgies souvent méconnues, leur richesse d’expression, le manque de traduction, un moment d’émotions dans cet art du partage qu’est le théâtre.

Brigitte Rémer, le 25 janvier 2024

Taha, de et avec Amer Hlehel dans les ruines du village de Katar Bir’am, abandonné en 1948

Textes de : François Abou Salem, Haider Al-Ghazali, Henna Eady, Amer Hlehel, Yehya Jaber, Ghassan Kanafani, Chrystèle Khodr, Elias Khoury, Bashar Murkus, Ziad Rahbani – Avec : Julie André, Eric Charon, Sarah Chaumette, Aleksandra de Cizancourt, Sylvain Creuzevault, Valérie Dréville, Olivier Faliez, Nathalie Garraud, Raymond Hosni, Sandra Iché, Charbel Kamel, Jean-Christophe Laurier, Marie Payen, Richard Sandra, David Seigneur, Annabelle Simon, Elie Youssef – Présenté avec le Théâtre Gérard-Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis.

Dimanche 19 janvier, à la MC93, maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 Bd Lénine, Bobigny. métro : Bobigny Pablo Picasso – tél. :  01 41 60 72 72 – sites : MC93?com – www.13vents.fr – www.tgp.theatregerardphilipe.com