Texte Lucy Kirkwood, Traduction Louise Bartlett – Mise en scène Chloé Dabert – au Théâtre du Rond-Point, Paris.
Connue et primée dans son pays, la Grande-Bretagne, on découvre l’auteure de théâtre Lucy Kirkwood – née en 1984 – avec Le Firmament. Traduite et éditée en France depuis peu, la pièce a été créée par Chloé Dabert en 2022, le spectacle a obtenu le Grand Prix du Syndicat de la critique pour le théâtre, la musique et la danse, l’année suivante. Lucy Kirkwood est aussi scénariste de film.
On est en 1759 et la Grande-Bretagne scrute le ciel espérant voir passer la comète de Halley. Un jury populaire est appelé à se réunir pour statuer sur le sort d’une jeune femme anciennement domestique, Sally Poppy (Andréa El Hazan) accusée d’avoir tué une petite fille dans la maison où elle travaillait. On entre petit à petit et par images interposées, dans le cercle des femmes de petite condition, s’épuisant aux tâches ménagères, chez elles ou chez d’autres, en ce XVIIIème siècle. Elles font la lessive, repassent, cousent, font briller l’étain, portent l’eau, nettoient les planchers, préparent le pain. Les images s’accélèrent et reviennent en boucle et en gros plans, (réalisation images et scénographie, Pierre Nouvel).
Les jurées, douze femmes de toutes origines – de la paysanne à la petite bourgeoise étriquée et rigide – sont nommées avec autorité, et soustraites momentanément à leurs activités quotidiennes dans le but de voter – à l’unanimité, pour ou contre la sentence de mort. L’huissier (Olivier Dupuy) vient convaincre Élizabeth Luke, sage-femme, (Bénédicte Cerrutti) d’accepter de participer au jury, sans oublier de lui faire quelques avances. Après avoir décliné la proposition, elle finit par accepter. Les jurées sont invitées à venir se présenter et à prêter serment. Une à une, elles descendent de la salle et se plient à l’exercice, chacune selon sa personnalité, certaines sont frustes. Cela donnerait un croquis de société des plus pittoresques, s’il n’y avait en jeu la vie d’une femme. La justice de ce temps est souvent expéditive, et les procès de faux-semblants, sans avocat ni droit de se défendre, et le verdict y compris l’exécution, appliqué aussitôt après, sous la vindicte populaire.
On dit que l’accusée, Sally, serait née mauvaise et issue d’une famille placée sous le sceau du diable. On dit aussi qu’elle serait enceinte ce qui annulerait toute possibilité de peine de mort, les femmes traquent la montée de lait. La pièce est un huis-clos qui se déroule sous le regard de l’huissier qui n’a pas le droit de parler, dans une pièce – sorte de salle à manger avec grande table et cheminée – attenante au tribunal où l’on ne peut ni manger, ni boire, ni faire de feu. Les échanges entre ces femmes qui se connaissent sont brodés de ragots et de règlements de comptes, de maltraitance et d’irrespect. La superstition rôde, le langage est cru.
Élizabeth Luke dite Lizzy, tient le rôle de leader dans ce tribunal, espérant rallier les jurées à la clémence. La séance se prolonge et chacune à tour de rôle va craquer, laissant place à des crises et des révélations auxquelles on ne s’attend pas, montrant les fragilités et les fêlures. La recherche de vérité s’épaissit, jusqu’à l’unanimité in extrémis contre la sentence de mort. Une à une les jurées ressortent. Reste l’huissier qui roue de coups au ventre Sally – pour quelle revanche ? – et ce tête-à-tête entre Sally et Élizabeth Luke, de la plus pure cruauté, se reconnaissant mutuellement comme mère et fille et jusqu’au sacrifice de Sally, la rebelle.
Chloé Dabert, mène de mains de maître cet épisode tragique et en tension qui nous place au cœur de la vie des femmes, au sort peu enviable, au XVIIIème, en Grande Bretagne et qui nous interroge encore aujourd’hui sur la place des femmes. Elle dirige et chorégraphie l’ensemble avec simplicité et talent, chaque actrice trouvant sa place et son exutoire. La réalisation de l’ensemble – lumière (Nicolas Marie), son (Lucas Lelièvre) et costumes (Marie La Rocca) est à saluer.
Comédienne, metteuse en scène et directrice de la Comédie de Reims/Centre dramatique national, Chloé Dabert se penche depuis plusieurs années sur l’auteur britannique Dennis Kelly, dont elle a mis en scène Orphelins un thriller familial, L’Abattage rituel de George Mastromas sur la duplicité et le mensonge, Girls and Boys sur le dérèglement des relations humaines. Avec Le Firmament, elle poursuit son tour du théâtre britannique et se fait l’écho d’une société patriarcale et pleine de haine où la justice est plus qu’aléatoire et où les tabous sur le corps et l’âme ensorcelée de la femme vont bon train.
Brigitte Rémer, le 9 janvier 2025
Avec : Avec Elsa Agnès (Mary Middleton) – Sélène Assaf (Helen Ludlow) – Sarah Calcine (Hannah Rusted) – Bénédicte Cerutti (Elizabeth Luke) – Gwenaëlle David (Sarah Hollis) – Brigitte Dedry (Sarah Smith) – Olivier Dupuy (L’huissier) – Andréa El Azan (Sally Poppy) – Sébastien Éveno (Le juge) – Aurore Fattier (Emma Jenkins) – Anne-Lise Heimburger (Charlotte Cary) – Juliette Launay (Ann Lavender) – Samantha Le Bas (Kitty Givens) – Asma Messaoudene (Peg Carter) – Océane Mozas (Judith Brewer) – Arthur Verret (Le mari / Le médecin). Assistanat à la mise en scène Virginie Ferrere – collaboration artistique Sébastien Éveno – scénographie et réalisation Pierre Nouvel – création costumes Marie La Rocca – création lumière Nicolas Marie – création son Lucas Lelièvre – maquillage et coiffure Judith Scotto – régie générale Arno Seghiri. Équipe tournée : régie générale et régie plateau Eric Raoul – régie plateau Vivien Simon – régie lumière Mathilde Domarle – régie son Auréliane Pazzaglia – habilleuses Camille Fuchs et Elsa Rocchetti (en alternance). La pièce est publiée aux Éditions de L’Arche (2022).
Du 8 au 18 janvier 2025, mardi au vendredi à 19h30, samedi à 18h30. Relâche les 12 et 13 janvier. Au Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – métro Franklin Roosevelt ou Champs-Élysées Clémenceau – site : www. theatredurondpoint.fr – tél : 01 44 95 98 21 – En tournée : 23 janvier 2025, Théâtre Le Carreau / Forbach (57) – 31 janvier 2025, Théâtre Escher, Esch-sur- Alzette / Luxembourg (LU) – 5 au 7 février 2025, Théâtre de Liège (BE) – 19 et 20 février 2025, Comédie de Clermont-Ferrand /Scène Nationale (63) – 26 et 27 février 2025, Le Grand R / La-Roche-sur-Yon (85) – 7 mars 2025, Centre culturel Jacques Duhamel / Vitré (35) – 13 et 14 mars 2025, Théâtre du Beauvaisis /Scène Nationale / Beauvais (60)
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