Archives par étiquette : Théâtre de la Ville – Paris

Since I’ve been me    

Textes Fernando Pessoa – mise en scène, scénographie et lumière Robert Wilson – co-mise en scène Charles Chemin – dramaturgie Darryl Pinckney – dans le cadre du Festival d’Automne, au Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt – en français, italien, portugais, anglais surtitrés.

© Lucie Jansch

Assis en bord de scène, Fernando Pessoa (1888-1935) scrute le public en train de s’installer. Maquillage blanc, moustaches et épais sourcils, portant chapeau et lunettes. C’est Maria de Medeiros, superbe actrice franco-portugaise qui a la charge de représenter le poète, dans l’immobilité d’un mannequin. À certains moments, elle cligne des yeux, ébauche un petit geste, abstrait et saccadé et balaye du regard, est-ce la mer, à perte de vue face à nous mais derrière elle, sur une magnifique toile peinte d’un bleu si bleu, là où le Tage rejoint l’Océan Atlantique, à Lisbonne ?

© Lucie Jansch

Des soleils rouges sortent de l’eau, un à un, au son des aigus d’un violon, un soleil s’effile se métamorphosant en un cône rouge fin et étiré devenant stylo, l’emblème du poète. Pessoa est à lui seul kaléidoscopique, il a l’art du dédoublement et se fait représenter par différents personnages nés de son imagination, les hétéronymes – il en créera plus de soixante-dix et leur déléguera sa parole poétique. Ainsi de cour à jardin apparaissent une à une des figures sous la baguette du magicien Robert Wilson, en une entrée très remarquée sur bruits de vaisselle cassée et de train, de guitare et de roulements de tambour. Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaína Suaudeau sont les acteurs/actrices, danseurs/danseuses et la représentation des créatures de Pessoa, avec entre autres Álvaro de Campos, son véritable alter ego, poète-ingénieur maritime, moderniste et futuriste, auteur de L’Ode triomphale ; Ricardo Reis, poète de formation plus classique travaillant sur les thèmes de l’amour idéal et de l’éphémère ; le bucolique Alberto Caeiro, auteur du Gardeur de troupeau et du Pasteur amoureux ; Bernardo Soares, jeune employé de bureau connu pour son Livre de l’intranquillité. Il y a du monde autour de Pessoa, il est tout ce monde-là.

Avec le talent qui est le sien et l’imaginaire qu’on lui connaît, le metteur en scène américain Robert Wilson prête vie à ces créatures de fiction au service de la poésie, chacune comme étant une facette et le miroir du poète, personnages qui s’expriment ici dans la flexibilité de différentes langues et le brouillage des identités – anglais, français, italien, portugais. L’un des premiers poèmes de Pessoa – qui perd son père à l’âge de cinq ans, puis son frère six mois plus tard, et qui vit en Afrique du Sud de huit à quinze ans – est écrit en anglais, What is man himselfQu’est-ce que l’homme ?

© Lucie Jansch

Dans une lettre adressée à un ami et grand critique littéraire dix mois avant sa mort, Pessoa donne les clés de son processus de création : « Un jour où j’avais finalement renoncé – c’était le 8 mars 1914 – je m’approchais d’une haute commode et prenant une feuille de papier, je me mis à écrire, debout, comme je le fais chaque fois que je le peux. J’ai écrit plus de trente poèmes d’affilée, dans une sorte d’extase dont je ne saurais définir la nature… » Et du premier né de sa série hétéronyme Álvaro de Campos, apparaissent les autres, comme par scissiparité.  « … J’ai alors créé une coterie inexistante. J’ai donné à tout cela l’apparence de la réalité. J’ai gradué les influences, connu les amitiés, entendu en moi les discussions et les divergences d’opinion, et dans tout cela, il me semble que c’est moi le créateur de tout, qui fus le moins présent. »

Une première partie du spectacle puise dans Le Gardeur de troupeaux principalement restitué en italien, dans une remarquable traduction d’Antonio Tabucchi, une autre partie se concentre davantage sur Faust sur lequel Pessoa s’est penché toute sa vie et à partir duquel il a écrit un monologue, œuvre publiée après sa mort et selon ses indications. La dramaturgie de Darryl Pinckney parle de Pessoa, à travers tous ses autres, c’est un portait de la complexité du poète en même temps que ses textes donnés à entendre en une lecture tant biographique que poétique. On y trouve aussi des aspects de sa vie personnelle, comme la Lettre à Ofélia, son éphémère fiancée – dans la vie, Ophélia Queiroz, le seul amour qui lui soit connu – lettre lue en scène par une Ofélia shakespearienne en robe immaculée, moment magique s’il en est.

© Lucie Jansch

À l’imagination sans limite du poète chargé de ses moi et de ses voix – « nombreux sont ceux qui vivent en nous » confirme-t-il – répondent les visions lumineuses de Robert Wilson avec liserés de lumière, néons, poursuite qui cerne les personnages, contrejours qui soulignent le mystère et la magie. On connaît en France cet exceptionnel metteur en scène depuis son Regard du sourd présenté pour la première fois en 1971 au Festival de Nancy, puis à l’Espace Cardin de Paris et qui a marqué les mémoires, suivi d’un second spectacle, Einstein on the beach réalisé en collaboration avec Philip Glass et Lucinda Childs et qui a fait date en juillet 1976, au Festival d’Avignon. Plasticien et architecte de formation, né dans une petite ville du Texas, Robert Wilson voulait être peintre et se reconnaît avant tout dans le geste, la danse et la lumière qu’il conduit avec virtuosité. Dans Since I’ve been me, son langage scénique se mêle à la poésie de Pessoa, leurs univers se fondent l’un dans l’autre avec justesse et extravagance dans ce rapport troublé entre la réalité et la fiction. « Je sens mon corps étendu dans la réalité » dit le poète.

L’enfant en costume de marin – Pessoa lui-même – rêve devant un petit bateau suspendu qui, dans le jeu des proportions dévoile une grande élégance et une rêverie, en même temps qu’il parle d’un peuple de marins ; ou encore la nourrice en superbe robe de velours bleu indigo (costumes Jacques Reynaud), font partie des personnages et des visions mises en exergue dans la mise en scène, parmi de nombreuses autres : « Nourrice, chante-moi. Je ne veux rien entendre du monde au-dehors… Chante-moi, nourrice, et que le sommeil comme une mélodie m’emporte… » Chaque élément voit sa valeur décuplée dans ce tête-à-tête esthétique et sensible entre deux poètes : les animaux qui passent, porc-épic, autruche ou dauphin, les arbres alignés ; les chaises étroites au dossier haut descendant du ciel, qu’affectionne Robert Wilson ; les tables alignées les unes à côté des autres de cour à jardin où chaque acteur crée son identité, sa gestuelle. Tout dans le spectacle est puissant, en même temps que millimétré. Le crépitement des touches de la machine à écrire la Cadillac de Pessoa, l’orage, la couleur qui le poursuit, ce rouge tombant du ciel sur le mur arrière et sur les tables, les nappes qui se soulèvent devenant oriflammes. « J’ai enlevé le masque et me suis vu dans le miroir… Je ne suis rien, je suis une fiction… »

© Lucie Jansch

La longue séquence qui ferme le spectacle est sombre. Les personnages font face aux spectateurs, les balayant de leurs lampes-torches et jettent des phrases dans une ambiance sépulcrale : « Je ne suis qu’au-dehors de moi… N’être plus au dehors de moi… Qu’est-ce donc que d’exister ?…  Je veux la mort… La lumière est triste, je la connais. » Vision déformée, ou souvenirs ?  Le retour de Pessoa-Maria de Medeiros en bord de scène, ferme la boucle de cette traversée onirique par un dernier texte qu’elle lit : « C’est de l’autre côté du temps que j’ai voyagé, sur un bateau quelconque… » Vêtus de blanc sur écran blanc avec pour seul point visible et comme balise un foulard noir, paraissent les personnages avant de disparaitre tandis que les vagues se brisent sur la grève.

Since I’ve been me, provoque une réelle émotion esthétique dans ces regards croisés entre les textes de Fernando Pessoa et la puissance visuelle et sonore de Robert Wilson, (la création sonore est signée Nick Sagar), bousculant l’espace et le temps et dessinant les itinéraires et la gestuelle des acteurs, dans leurs rôles complexes d’hétéronymes brouillant la vision. Le travail est remarquable dans cet équilibre instable entre les différentes strates de la réalité portugaise captée par l’écrivain, et le songe de celui qui le traduit sur scène dans une lecture flamboyante, offrant au public une perception fine des espérances du poète. « Si je pouvais croquer la terre entière et lui trouver un goût, j’en serai plus heureux un instant… » reconnaît Pessoa  face à son métier de vivre.

Brigitte Rémer, le 15 novembre 2024

Avec : Maria de Medeiros, Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaína Suaudeau. Costumes Jacques Reynaud – co-mise en scène Charles Chemin, collaboratrice associée à la scénographie Annick Lavallée-Benny – collaborateur associé à la lumière Marcello Lumaca – création sonore et conseiller musical Nick Sagar – maquillage Véronique Pfluger – direction technique Enrico Maso – coordination artistique et technique Thaiz Bozano – collaboratrice aux costumes Flavia Ruggeri – collaboration littéraire Bernardo Haumont.

Du mardi 5 au samedi 16 novembre 2024, à 20h, samedi et dimanche à 15h, au Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt, 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet. La première mondiale a eu lieu le 2 mai 2024 au Teatro della Pergola à Florence, producteur, avec le Théâtre de la Ville, du spectacle. En tournée : du 6 au 9 février 2025, au Teatro Sociale de Trento (Italie) – du 13 au 16 février 2025, au Teatro Politeama Rossetti de Trieste (Italie)

Voir aussi nos articles sur les spectacles de Robert Wilson, dans www.ubiquité-cultures.fr – le 2 octobre 2016, Faust I et II, présenté par le Théâtre de la Ville au Théâtre du Châtelet le 18 juin 2019, Mary said what she said, au Théâtre de la Ville Espace Cardin – le 23 septembre 2021, I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating, au Théâtre de la Ville Espace Cardin – le 17 juin 2023, Ubu, au Printemps des Comédiens, Domaine d’O de Montpellier.

Lora / Hairy

Lora © Laurent Philippe

Deux pièces chorégraphiques : Lora, conception et chorégraphie de Rachid Ouramdane, avec Lora Juodkaitė – Hairy, chorégraphie de Dovydas Strimaitis, avec les interprètes – dans le cadre du Focus Lituanie, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt/Grande salle.

Dans Lora, la pièce qui porte son nom, Lora Juodkaitė écrit l’espace avec son corps, en pivotant sur elle-même à l’infini telle une derviche dont l’ombre se reflète sur le mur, en fond de scène. C’est sa dramaturgie, son histoire de vie qui se raconte et s’affiche à l’écran.

Cette maladie du tournoiement sur demi-pointes remonte à la petite enfance. Très tôt, elle comprend que cette manière de fuir le monde lui convient bien et qu’elle y trouve un refuge, du plaisir. Au début, dans la maison familiale, c’est une passion cachée, le tapis lui brule les pieds, assise sur le lit et lui faisant face, sa petite sœur la regarde, elle lui raconte des histoires, en tournant.

Lora © Laurent Philippe

Ses rotations sont d’une grâce infinie, avec accélérations, décélérations, désarticulation, régulation de la respiration, décompression. On entre dans l’inconnu et l’étrangeté de quelqu’un qui s’est construite dans cette mobilité circulaire. Elle s’invente des figures, bras, poings, mains, se cachant le visage et les yeux, tournant à l’aveugle comme une hélice alpha, inlassablement.

Viennent les visions, l’arbre, l’eau, l’oiseau derrière ses mains. Comme une chamane, elle voyage entre l’extase, la transe et le voyage initiatique. Et puisqu’elle tourne sans que rien ni personne ne l’arrête, comment finir cette pièce ? Elle pose la question à haute voix. et trouve la réponse en s’enroulant sur une musique de fête, dans des lumières d’un blanc qui évoquent un glacier, dernier mirage.

À ses côtés, fasciné par ses rotations qu’il découvre il y a une dizaine d’années, Rachid Ouramdane, chorégraphe et directeur de Chaillot-Théâtre National de la Danse. Avec Lora Juodkaitė, incandescente, il cisèle cet ardent solo où elle effleure le sol et vole, centrée sur elle-même, au sens physique comme mental. Un pur joyau !

Avec Hairy de Dovydas Strimaitis, le tournoiement se poursuit, dans un tout autre style, qui fait tourner les têtes. Un premier danseur/danseuse s’avance au son de la percussion qui tel un métronome, lui donne l’impulsion. Le mouvement consiste à lancer la tête, à l’aveugle, car les longs cheveux auburn ne laissent filtrer aucun regard et balayent le sol. La tête se balance de droite à gauche et vice versa puis le cou sert d’axe de rotation et la tête tourne sur elle-même, sans s’arrêter, jusqu’à l’extrême.

Hairy © D. Matvejevas

Le danseur/danseuse est rejoint par trois autres aux mêmes longs cheveux qui s’installent dans la diagonale et exécutent ces mêmes circonférences. Les quatre portent une combinaison en skai noire, brillante, manches longues qui ne laisse paraître aucun centimètre de peau, des chaussures et gants noirs, silhouettes type queer pour mettre le mouvement au centre de la danse.

Dovydas Strimaitis avait créé Hairy en solo, puis l’avait repris en trio au concours Danse élargie du Théâtre de la Ville en 2022, avant de le présenter ici en quatuor, chacun déployant en une force centrifuge sa longue chevelure. Des suspensions et des ruptures de rythme accompagnent la chorégraphie nocturne. On entend comme le bourdonnement d’un essaim pour accompagner le bruissement des cheveux avant que le violoncelle ne prenne le relais de la percussion. Bach s’invite dans cette mathématique lancinante où les lumières lancent leurs éclairs stroboscopiques.

Hairy © D. Matvejevas

Originaire de Lituanie, Dovydas Strimaitis s’est d’abord formé dans son pays, s’essayant à différents types de danse, comme le hip hop, la danse classique et contemporaine, avant de se former à Codarts, école supérieure des arts du spectacle de Rotterdam. Il vit et travaille en Belgique et en France où pendant trois ans il a dansé avec (LA)HORDE/Ballet national de Marseille. Il a donné son premier solo, The Art of Making Dances, à Vilnius, au festival New Baltic Dance, en 2021.

Le travail de Dovydas Strimaitis est repéré, il construit un vocabulaire minimaliste sur fond de répétitif, au sens de la musique répétitive comme style. L’objet est étrange dans son ressassement et les danseurs disparaissent sous le poids de leur chevelure, en principe symbole d’identité et de liberté, ici véritable élément dramatique de la pièce.

 Brigitte Rémer, le 17 octobre 2024

Lora : Conception, chorégraphie, Rachid Ouramdane, lumières Stéphane Graillot – décor Sylvain Giraudeau. Avec : Lora Juodkaitė – Hairy : création Dovydas Strimaitis – chorégraphie Dovydas Strimaitis avec les interprètes – lumières Lisa M. Barry – musique : composition originale de Julijona Biveinytė, Prélude de la Suite pour violoncelle N° 4 de Bach joué par Yo-Yo Ma, Sarabande de la Suite pour violoncelle N° 2 de Bach jouée par Jean-Guihen Queyras. Avec : Benoit Couchot, Line Losfelt Branchereau, Lucrezia Nardone, Hanna-May Porlon.

Du 10 au 12 octobre 2024, à 20h au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / Grande salle – 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.comEn tournée : Festival Actoral, Marseille, du 4 au 5 octobre 2024 – La Biennale/Festival international des arts vivants Toulouse Occitanie, du 27 septembre au 13 octobre 2024 – Théâtre de la Ville, Paris, du 29 septembre au 20 octobre 2024 – Espace 1789, Saint-Ouen, le 15 octobre 2024 – Maison de la Danse, Lyon, du 28 au 29 novembre 2024 – Festival NeufNeuf, Toulouse, le 22 Novembre 2024.  

Sports Group

© Martynas Aleksa

Théâtre musical, sur une idée de Gabrielė Labanauskaitė – texte Gabrielė Labanauskaitė, Viktorija Damerell – conception et mise en scène Gailė Griciūtė, Viktorija Damerell – musique Gailė Griciūtė – Dans le cadre du Focus Lituanie, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt /Abbesses.

Ils sont six aux agrès musicaux – Agnė Semenovičiūtė, Denisas Kolomyckis, Gintarė Šmigelskytė, Justina Mykolaitytė, Jūra Elena Šedytė, Vaidas Bartušas – dans ce qui ressemble à une salle de sport où ils exécutent imperturbablement des mouvements répétitifs de type musculation. Ces agrès ont des airs de tuyaux d’orgue, l’un pompe sur une chambre à air avec fuite, l’autre effleure ces drôles de machines genre crampons métalliques pour montagne magique d’où sortent des mélodies et des sons, le troisième ressemble à un mécano qui émerge du dessous de la voiture qu’il répare… La récurrence et le volontarisme du geste exécuté aux agrès, au départ en duo, évoquent aussi les travaux forcés, guidés par une basse continue sorte de ronronnement qui se diffuse lentement.

© Martynas Aleksa

Une partition collective se crée (musique Gailė Griciūtė) dans l’ironie et le ludique pince-sans-rire. Une impression d’étrangeté où l’absurde n’est jamais loin, sourd du plateau. Ils sont hétéroclites dans leurs tenues, majoritairement à base de shorts et tee-shirts, cheveux plaqués, étranges signes cabalistiques dessinés sur les jambes comme des tatouages, traces ou discours codifié pour ne pas être identifié (scénographie et costumes Viktorija Damerell). Leur leitmotiv semble la question centrale du spectacle : « comment devenir soi-même ? »

Dans cet espace qu’ils habitent comme des revenants à la recherche d’eux-mêmes, et « pour que tu te trouves sans perdre trop de temps » ils usent d’une grande inventivité et liberté entre silence et bribes de textes saisis sur le vif dans des salles de sport, terrains de jeux, ou lambeaux de blogs, au milieu de litanies, psalmodies, syncopés, chant choral et polyphonies. Leurs mouvements, qui débutent doucement, vont jusqu’à la transe dans une montée dramatique puissante. « Je voyage en moi-même à travers mon cœur, le monde semble avoir changé. »

Et ils échangent leurs agrès comme on joue à saute-mouton, en tenant un discours maîtrisé qui questionne et conseille : « Te reconnaitras-tu ? Ne gaspille pas ton énergie… »  À travers ce chant du corps et cette critique des apparences, ils dessinent des climats en demi-teinte, en solo, duo ou collectif pour énoncer leur philosophie de la vie : « sans souffrance, pas de bonheur… » Ils se répondent, soufflent dans les tuyaux comme dans un cor d’alpage, se métamorphosent en puissance narcissique, se travestissent : « Je suis dieu. On me couvre de lauriers. Ça passe à la télé. On me couronne ! »

Les lumières baissent, on se trouve à la frontière de plusieurs univers artistiques – théâtre, musique, performance, mouvement – passant d’un ton caustique et cocasse à une modulation plus raisonnable, guidés par des morceaux de textes en discontinu. Ils passent d’un vocabulaire parfaitement réaliste – entre graisse qui dégouline et vitamines recherchées – à une évocation plus onirique, sur des instruments de pure invention et réelle fabrication.

L’équipe de Sports Group – conception et mise en scène Gailė Griciūtė, Viktorija Damerell sur une idée de Gabrielė Labanauskaitė – semble jouer avec le spectateur, le menant sur de nombreuses fausses pistes, au demeurant avec distance et douceur et jusqu’au rituel final sur chants d’église, invitation au voyage en soi-même, comme une dernière provocation. On est immergé dans le burlesque et l’extravagant jusqu’à l’interrogation de soi, petite particule dans l’univers, une consultation salutaire et musicale .

Brigitte Rémer, le 20 octobre 2024

Avec : Agnė Semenovičiūtė, Denisas Kolomyckis, Gintarė Šmigelskytė, Justina Mykolaitytė, Jūra Elena Šedytė, Vaidas Bartušas Production Operomanija. Mouvement Greta Štiormer, Viktorija Damerell – scénographie et costumes Viktorija Damerell – conception des instruments Gailė Griciūtė, Viktorija Damerell, Sholto Dobie – lumières Julius Kuršis – son Ignas Juzokas.

Vu le 9 octobre 2024, à 20h au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt/Les Abbesses, 31 rue des Abbesses. 75018. Paris – métro : Abbesses – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com

Feast

© Dmitrijus Matvejevas

Mise en scène Kamilė Gudmonaitė – spectacle en lituanien surtitré en français, dans le cadre du Focus Lituanie – au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / La Coupole.

Acteurs et actrices sont assis dans le public qui les entoure, placés face à face sur le plateau, personnes porteuses de handicap qui viennent témoigner de l’origine de ce handicap : rétinopathie, perte d’audition à cause d’une tumeur dans la tête, naissance prématurée dans une ambulance, trouble schizo-affectif « J’entends des voix qui me disent ce qu’il faut faire et cela m’épuise, je peux perdre le contrôle de mes actes », malvoyance : « Qu’est-ce que l’obscurité ? » Beaucoup de théories sont émises et d’études entreprises, dans les différents domaines, ces témoignages sont précieux, qui démontrent le degré d’incompréhension vécu au quotidien.

Il faut du courage pour énoncer ses faiblesses, on les reçoit comme des déflagrations. « J’ai un handicap et cela m’affecte… » résume l’une d’elle. Dans les hauts parleurs, une musique douce, un cœur qui bat tandis qu’ils passent en revue leurs questionnements « Pourquoi tu es née ? – Je n’aurais jamais dû ! » et la liste des injonctions reçues : « Fais pas ci fais pas ça ! »

© Dmitrijus Matvejevas

Sur la musique, une actrice se met à danser, puis accélère et monte en puissance jusqu’à épuisement. Étendue au sol, elle chante. De petits papiers orange semblable à des pétales de fleurs sont joyeusement lancés sur scène comme dans le public, donnant un air de fête. Le côté ludique prend le dessus avec jeux, imitations, rires, échanges. Une actrice joue du piano, il règne une belle complicité entre tous et chacun s’anime pour parler des premiers pas sur la lune de Neil Amstrong, en 69, ils sont incollables sur le sujet. Des ballons blancs apparaissent dont s’est parée l’une des actrices, sorte de mouette prête à l’envol. Un chant s’élève : « Sans que tu le saches, je t’ai aimé. Je traverserai la pluie de septembre vers toi. »

Et dans la vitalité qui les anime, un acte de foi fuse : « Dans le ventre de ma mère j’aurais choisi de naître. » Elle invite à danser et tous avec elle  entrent dans la danse, jusqu’au public invité à se joindre à eux. La fête est là, colorée, sous les cotillons lancés.

© Dmitrijus Matvejevas

Feast est un spectacle magnifiquement mené et sans complaisance, un travail sensible et précis sur l’acceptation de la différence. Tous les sentiments, sensations et réactions sont présents sur scène où le collectif agit pour que chacun porte l’autre et lui donne sa place, dans la reconnaissance de son être à part entière, au même titre que quiconque. Ils ont de l’humour sur eux-mêmes quand ils se regardent. Les spectateurs les entourent, ce qui peut vouloir dire que personne n’est à l’abri de cette vulnérabilité et qu’un beau jour chacun peut être confronté au handicap, le sien propre ou celui d’un proche.

Troisième spectacle réalisé par la metteure en scène Kamilė Gudmonaitė, diplômée en mise en scène de l’Académie lituanienne de musique et de théâtre, ainsi que compositrice musicale et qui a déjà reçu plusieurs Prix pour ses précédents spectacles. Elle pose ici des questions difficiles sur le thème du handicap, et notamment : comment trouver sa place dans la société, avec quelle égalité des chances ? Face à nous ils témoignent, avec une certaine dose d’humour et une grande force de vie.

Brigitte Rémer, le 19 octobre 2024

Avec : Loreta Taluntytė, Kristina Šaparauskaitė, Oleg Dlugovskij, Božena Burokienė, Justina Platakytė, Juozas Čepulis, Mantas Stabačinskas. Dramaturgie Laura Švedaitė – décors et costumes Barbora Šulniūtė – création lumières Vilius Vilutis – création sonore Simonas Šipavičius – chorégraphie Mantas Stabačinskas. Production OKT/Vilnius City Theatre – avec le soutien du Lithuanian Council for Culture.

Vu le 12 octobre 2024, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / La Coupole, 2 Place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com

The Big Bang

Spectacle de marionnettes par le Klaipéda Puppet Theatre – écritures et mise en scène Zvi Sahar/Pupet Cinéma – dans le cadre du Focus Lituanie, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / La Coupole.

© Donatas Bielkauskas

On entre dans la cosmologie, la gigantesque explosion de la création de l’univers a eu lieu, un univers qui se compose de milliers de pièces détachées, minuscules, issues de fils électriques, fiches, disquettes, mobiles, ordinateurs déglingués, câbles et boulons. Le plateau est recouvert des rebus de composants électroniques entremêlés, Arte povera avec lequel les acteurs-manipulateurs font récit.

Comme dans la Genèse et comme des dieux, d’une terre informe et de ténèbres ici pleine de ces objets morts, ils créent le ciel et la terre, ils créent la ville. Ils sont trois sur le plateau, l’un, filme en direct, les deux autres font vivre des personnages qui prennent forme au gré de ces restes de nos sociétés malades où les usines déversent leurs fumées, où les déchets industriels s’accumulent. Ils créent une poétique de l’objet, assemblent ces pièces hors d’usage qui se métamorphosent en marionnettes à tige, sous le regard de la caméra qui construit l’histoire. Comme penchés sur des établis, hyper-concentrés et formant communauté, chacun de leurs gestes est maîtrisé.

© Donatas Bielkauskas

Il n’y a pas de texte mais une musique électro, tonique, pour accompagner ce désert de ferrailles (composition musicale Kobe Shmueli). On part de l’origine de la vie et de la naissance d’une ville, de son tracé aux mille ruelles et bâtiments, jusqu’à la construction d’une ville-lumière, après guerre et destruction sur fond de bruits d’avion et pluie de drones. Un homme et son chien prennent forme et vie, et dialoguent dans une langue improbable d’onomatopées. Le Klaipéda Puppet Theatre excelle dans l’art de la transformation. Les acteurs-manipulateurs récupèrent robinets et pinces à linge, bouts de grillage, restes de hauts parleurs. Soudain dans ce no man’s land on se retrouve au marché en compagnie de trois personnages-modèles réduits qui émergent d’un tas de ferrailles. Ils nous transportent sur un stade, dans des jardins, au marché. Le chien, assemblage de deux morceaux de câble électrique et d’une simple pile perdue, accompagné de son maître, recrée la vie d’un quartier.

Soudain un trou de lumière les happe, la terre se couvre de déchets, le tonnerre se déchaîne. La ville est à rude épreuve avant de reprendre son cours, on chante et on joue du piano jusqu’à ce que retentisse une sirène d’alarme et que le danger à nouveau menace. La pluie et les bourrasques, la buée-brouillard-pollution s’acharnent, on est en mode survie. Les horloges se dérèglent et affichent des zéros à l’infini, le chien a disparu, tous se mobilisent à sa recherche et finissent par le sortir du trou dans lequel il est tombé. Tout est noir et il faut beaucoup de talent pour tenter de redonner un peu de lumière en tordant les fils jaunes trouvés dans un coin du plateau. Puis la vie repart. On applaudit la soucoupe volante qui plane au-dessus de la ville, l’avenir est prometteur, les plantes repoussent sur la ferraille et tout l’environnement s’habille de vert, le monde devient une serre.

© Donatas Bielkauskas

Émerge de ce Big Bang une ville lumière aux guirlandes colorées à partir de deux fils qui se touchent, étincelle pour ville nouvelle. L’un rêve d’eau, le téléphone appelle, un piano à queue prend forme, on se regroupe autour de la musique. Le chien se bat contre un bout de fil avant de jouer des percussions. L’imaginaire est aux aguets.

Le Théâtre de Marionnettes de Klaipėda, seule institution professionnelle de l’ouest de la Lituanie explore des modes d’expression hors norme. Monika Mikalauskaitė Baužienė, Vytautas Kairys et Kęstutis Bručkus, sont ici les co-auteurs et manipulateurs d’un Big Bang, de haute voltige. Comme dans une partition musicale, ils rythment l’ensemble de la représentation et écrivent une symphonie des plus originales pour cartes mémoire, disques durs et processeurs, recyclage des produits industriels en fin de vie, ville polluée ville verte, écologie responsable. Leurs inventions et leur art de la manipulation sont au sommet. Avec une délicatesse et précision infinies et dans un remarquable travail artisan et artiste, ils donnent vie aux grands débats de nos sociétés, parlant en minuscule de la ville et de la pollution majuscule, d’espoirs immenses pour un monde meilleur,

Brigitte Rémer, le 18 octobre 2024

Assistant mise en scène et co-auteur Aušra Bakanaitė – marionnettistes et co-auteurs Monika Mikalauskaitė Baužienė, Vytautas Kairys, Kęstutis Bručkus – composition musicale Kobe Shmueli – lumières Scahar Peggy Montlake, Paulius Vendelis – fabrication des marionnettes Aušra Bakanaitė, Marbeyad Studio

Du 3 au 5 octobre 2024, à 20h au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / La Coupole – 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com

Fossilia

Inspiré des mémoires de Dalia Grinkevičiūtė, Prisonnière de l’île glacée de Trofimovsk – mise en scène et dramaturgie Eglė Švedkauskaitė, en lituanien surtitré en français – Dans le cadre du Focus Lituanie, au Théâtre de la Ville /Abbesses.

© D. Matvejevas

C’est un spectacle sur la mémoire, celle des déportés lituaniens en Sibérie à l’époque de l’URSS. Un long silence a longtemps entouré ce traumatisme, avant que Dalia Grinkeviciute (1927-1987) ne prenne la parole à travers un livre publié en Lituanie en 1997, Prisonnière de l’île glacée de Trofimovsk. L’auteure n’aura connu ni l’Indépendance de son pays, signée sous forme d’un Acte de Rétablissement de l’État lituanien le 11 mars1990, ni la publication d’une histoire, la sienne, comme témoignage de la grande Histoire.

Petit pays en termes de surface et de population, comme les deux autres Pays Baltes, l’Estonie et la Lettonie, tous trois démocraties parlementaires au départ, devenus en des temps différents régimes autoritaires – en 1926 pour la Lituanie, en 1934 pour les deux autres pays-. Alors que son Indépendance avait été célébrée le 16 février 1918, la Lituanie fut victime de nombreux prédateurs. Le Pacte germano-soviétique signé entre Allemands et Russes en 1939 a mené à l’envahissement du pays par l’Armée rouge en 1940, puis à l’occupation allemande pendant trois ans, avant le retour des Soviétiques en 1944. Collectivisation agricole brutale, déportations massives et afflux de colons russes ont marqué cette sombre période qui a vu plus de 120 000 personnes déportées en Sibérie.

Dalia Grinkevičiūtė, sa mère et son frère furent de ceux-là, conduits au-delà du cercle polaire, sur l’île de Trofimovsk où ils ont essayé de survivre. Elle avait quatorze ans. De retour à Kaunas, deuxième ville de Lituanie, à vingt ans, mais contrainte à une certaine clandestinité, elle prit la parole au nom de ceux qui ne la prendrait plus, en écrivant ce qu’ils avaient enduré, leur rendant ainsi hommage. Pensant ses notes égarées, Dalia Grinkevičiūtė, avait repris plus tard la plume, pour laisser traces, mettant davantage l’accent sur la dénonciation du système soviétique. Son premier manuscrit retrouvé par hasard et restauré après sa mort, en 1991, les deux textes avaient alors été publiés en langue originale sous le titre Lietuviai prie Laptevų jūros/Des Lituaniens à la mer de Laptev. Combative, Dalia Grinkevičiūtė avait aussi trouvé la force de se former à la médecine, qu’elle exerça pendant une quinzaine d’années.

La charge est lourde mais la metteure en scène qui s’empare de cette mémoire collective, Eglė Švedkauskaitė, le fait avec une grande finesse, mettant en place les rouages d’une horlogerie de précision. Par le biais d’acteurs dont la présence est forte et au vu d’images qui se gravent sur un grand écran courbe et élégant posé sur sol noir luisant (scénographie Ona Juciūtė), se tournent les pages écrites à l’encre violette, d’un récit intime et national longtemps resté muet.

Portés par les sirènes, le bruit du train qui provoque toujours des crises de panique, une magnifique partition (signée Agnė Matulevičiūtė) et une voix off qui revient de manière récurrente, le spectacle prend la forme d’une enquête ou d’un plaidoyer pour la vérité. « Sommes-nous vraiment en route pour la mort ? » Trois générations se font face et le petit fils n’a de cesse de capter des images, des lambeaux de souvenirs : « Allez frangine, parle-moi de la famille… » Et elle raconte : le grand-père en Sibérie dont les pieds avaient gelé, sa marche obligée sur les talons, « savait-il qu’il quitterait le pays où il est né ? » la lecture off, les images qui se superposent ou se déforment comme dans le froid glacial où l’on ne s’appartient plus, celles du père qui s’était exilé et pour qui « la Sibérie a disparu », celles, sépia, d’un enfant dans le jardin, les souvenirs de la tante qui a compté et qui dévoile la tombe de la grand-mère sous la maison. On égrène les revenants au fil de la représentation et des 229 feuillets retrouvés. Le fils filme sa mère, de dos, elle qui, dans son exil de glace, n’a plus pesé que trente kilos.

© D. Matvejevas

L’archiviste devant la caméra du petit fils chasseur d’images, raconte l’histoire du manuscrit retrouvé dans un bocal, sous un buisson de pivoines, manuscrit qu’elle a dû déchiffrer, avec la difficulté de mettre ses pas dans ceux d’une autre pour en retranscrire les mots tout en gardant de la distance. Chacun se noie dans la reconstruction de ses propres souvenirs. Mère et fille dialoguent ; à l’image qui se décale, elles creusent la terre. Un dialogue en écho s’installe entre l’écran et la scène. La mémoire est à l’œuvre, obsessionnelle, le bruit du train en leitmotiv.

Une danse de la mort telle un exorcisme s’invite, qui fait se rejoindre parents et enfants, un temps le père – qui pendant longtemps n’avait voulu, ou n’avait pu dire mot, et sa fille. Retour sur le récit de vie en Sibérie : comment dormir sur de si petites couchettes et comment supporter les poux, le froid, l’humidité, le sol dur autant que le pain. L’écran se fissure, on est au pays des morts-vivants. Quand le père accepte enfin de parler et qu’il se filme, il adresse une lettre à son fils. « Es-tu heureux » lui demande-t-il ? Et il fait publiquement son examen de conscience.

Très concrètement se redessine la maison familiale, par un fil qui en délimite au sol le tracé, le plateau se réorganise avec des structures-sculptures, au départ dispersées qui pourraient ressembler à des pierres tombales mais sont en fait des sièges que les acteurs regroupent. On refait le chemin du cadavre de la grand-mère après douze ans sous la maison avant d’être dignement enterrée au cimetière national. Un récit choral se met en place, la langue devient métaphorique, les acteurs se rassemblent comme sur un radeau, et comme à d’autres moments exécutent quelques mouvements chorégraphiques. « Au fond de l’océan des rêves, un vaste cimetière et de petits bateaux blancs… celui qui attend que quelqu’un vienne le chercher… »

La vision que propose Eglė Švedkauskaitė du texte de Dalia Grinkevičiūtė déchire le rideau du silence avec talent, donnant vie aux absents qui ont eu double peine, celle de la souffrance et celle de l’oubli. Jeune metteure en scène, elle connaît bien l’outil théâtre et a obtenu en 2018, à peine diplômée, le premier prix du Concours européen du jeune théâtre, au Festival dei Due Mondi de Spolète et en 2022 le Prix du théâtre lituanien pour la meilleure mise en scène. Le va-et-vient qu’elle propose dans Fossilia entre le plateau et l’image fonctionne avec intelligence et habileté permettant aux acteurs de faire émerger cette mémoire enfouie et de porter avec profondeur et élégance le poids du passé.

 Brigitte Rémer, le 18 octobre 2024

Avec : Darius Gumauskas, Povilas Jatkevičius, Vitalija Mockevičiūtė, Rasa Samuolytė, Ugnė Šiaučiūnaitė. Conseil dramaturgique Anna Smolar – scénographie Ona Juciūtė – costumes Dovilė Gudačiauskaitė – composition musicale Agnė Matulevičiūtė – lumières Julius Kuršys- production Lithuanian National Drama Theatre.

Du 2 au 4 octobre 2024, à 20h au Théâtre de la Ville/ Les Abbesses, 31 rue des Abbesses. 75018. Paris – métro : Abbesses – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com

 Los días afuera

Conception, texte et mise en scène Lola Arias, au Théâtre de la Ville – en espagnol, surtitré en français et en anglais – coproduction et coréalisation Théâtre de la Ville-Paris et Festival d’Automne à Paris – au Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt à Paris.

© Eugenia Kais

Installées dans une voiture côté jardin, six anciennes détenues se racontent devant la caméra, au son de la cumbia. Elles ont purgé leurs peines et sortent juste de prison où, à côté des travaux imposés, elles ont trouvé du réconfort dans les ateliers proposés, pour faire que le temps passe avec intelligence et un peu de douceur. « On ne choisit pas son destin… » Ensemble, ces six jeunes actrices, performeuses, chanteuses et danseuses – Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Natal Delfino, Estefania Hardcastle, Noelia Perez – font récit de leur passé autant que de leur présent.

Sortir, hors contrôle, désorientées, parfois sans avoir où aller. Elles décrivent leur retour à la vie libre et les retrouvailles avec la famille, une mère, un fils, un petit ami. Elles racontent leurs enfants, le temps qui vient de s’écouler sous matricule, leurs avocats, l’injustice parfois, leurs croyances, leurs inquiétudes. Certains tatouages signent ce passage entre quatre murs. No te rindas nunca, Ne t’avoue jamais vaincue, est gravé dans le dos de l’une d’elle, Yoseli, à côté de la Tour Eiffel, son rêve de liberté.

© Eugenia Kais

La voiture présente sur scène, symbole de cette liberté, construit le lien du spectacle, leur force de vie en est le moteur. Elles se filment avec ivresse et se regardent. Une structure d’échafaudages nous transporte dans les différents lieux de leur mémoire – structure multifonctionnelle qui se recouvre parfois d’un grillage et d’images qui surgissent çà et là, images d’archives ou images in-situ témoignant de leur re-naissance et de leur émotion (scénographie de Mariana Tirantte). De plain-pied c’est aussi l’espace de la musique (conçue et interprétée par Inés Copertino à la guitare, accompagnée d’une batterie), la musique et la danse pour lutter contre le temps qui s’est écoulé et mordre dans le présent, une forme de résistance et d’émancipation, une identité retrouvée. Pour tous/toutes, en détention, la musique et la danse furent comme une planche de salut, c’est ce côté de lumière qu’a exploré Lola Arias dans le spectacle, avec notamment rock et voguing que certaines pratiquent magnifiquement, et qui les transcendent.

© Eugenia Kais

Los días afuera est à la fois documentaire et musical, en même temps qu’aux frontières de la réalité et de la fiction. Ces femmes, malgré les difficultés, avant, pendant et après leur séjour carcéral, chantent la vie. Lola Arias a monté un atelier de pratique théâtrale dans la prison des femmes d’Ezeiza, près de Buenos Aires. Elle en a rapporté des images et monté un film sorti en février 2024, Reas/Prisonnières – présenté en avant-première à Berlin, au festival de la Berlinale dans lequel une douzaine de détenus, cisgenres, hommes et femmes transgenres, parlent de leurs conditions de vie et de la violence en prison. Après le film, la réalisatrice a poursuivi le dialogue avec six d’entre eux/elles et a partagé leurs émotions et sensations dans leur retour à la vie et le décalage éprouvé, dans leur fragilité. Elle a écrit et mis à l’épreuve auprès d’eux/d’elles dans un processus collaboratif, ce qui est précaire et volatile, la parole, et les a guidées sur scène, comme une metteure en scène, face à toute actrice ou performeuse. Los días afuera est un spectacle à fleur de peau qui communique cette fragilité d’être, en même temps qu’une réelle force de vie. Si l’émotion est palpable sur scène, elle passe aussi et se diffuse dans le public.

© Eugenia Kais

Argentine installée à Berlin, Lola Arias écrit, met en scène et réalise des projets de théâtre, cinéma, littérature, musique et art visuel, et il faut une bonne dose de conviction pour mener à bien ce type de projets qui engage, dans une synergie entre la vie, le combat pour la vie, et l’art. Depuis 2007, elle développe un théâtre documentaire, sur des thèmes personnels ou de société. En 2024, elle se voit décerner le Ibsen Price pour l’ensemble de son parcours, et la grande tournée qu’effectue la troupe à travers l’Europe avec Los días afuera, est à la hauteur de ses responsabilités et exigences. Elle s’inscrit à la manière du don et du contredon dont parlait l’anthropologue Marcel Mauss et qui fait ici intervenir le récit, le chant, la musique et la danse dans un sens où le sacré rejoint les histoires, orales et ordinaires. « S’apaiser ? Partir, rester ? Il y a quoi de l’autre côté ? » questionnent-elles avec lucidité. « J’ai payé mes dettes. La nuit est faite pour danser… » concluent-elles, avant de poursuivre leurs routes.

Brigitte Rémer, le 16 octobre 2024

Avec : Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Natal Delfino (en remplacement de Ignacio Rodriguez), Estefania Hardcastle, Noelia Perez, et la musicienne Inés Copertino. Damaturgie Bibiana Mendes – collaboration artistique Alan Pauls – scénographie Mariana Tirantte – chorégraphie Andrea Servera – musique Ulises Conti, Inés Copertino – costumes Andy Piffer – lumières David Seldes – vidéo Martin Borini – son Ernesto Fara – construction du décor, Théâtre National Wallonie Bruxelles – Production déléguée Lola Arias Company, Gema Films.

© Eugenia Kais

En tournée : du 4 au 10 juillet 2024, Opéra Grand Avignon, Festival d’Avignon – les 13 et 14 juillet 2024, Festival GREC, Barcelone (ESpagne) – du 8 au 10 août 2024, International Sommerfestival-Kampnagel, Hambourg (Allemagne) –  du 15 au 17 août 2024, Zürcher Theater Spektakel, Zurich (Suisse) –  les 20 et 21 août 2024, Kaserne Basel,Bâle (Suisse) – les 14 et 15 septembre 2024, Théâtre Maxim Gorki, Berlin (Allemagne) – les 19 et 20 septembre 2024, Festspielhaus, St. Pölten (Autriche) – le 12 octobre 2024, National theatret, Oslo (Norvège) – du 17 au 19 octobre 2024, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon – les 14 et 15 novembre 2024, La Rose des vents/Scène nationale Lille Métropole, Villeneuve d’Ascq – les 27 et 28 novembre 2024, Le Quai/CDN Angers Pays de la Loire – les 4 et 5 décembre 2024, Scène nationale de Bayonne –  les 9 et 10 décembre 2024, Le Parvis/Scène nationale Tarbes-Pyrénées – les 28 et 29 janvier 2025, Tandem, scène nationale Douai-Arras – du 3 au 7 février 2025, Théâtre national de Strasbourg – du 12 au 15 février 2025, Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique) – les 21 et 22 février 2025 De Singel, Anvers (Belgique) –  du 27 février au 1er mars 2025 Comédie de Genève (Suisse) – du 19 au 21 mars 2025, TnBA/héâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Bordeaux – les 26 et 27 mars 2025, Centre dramatique national d’Orléans/Centre-Val de Loire, Orléans – les 3 et 4 avril 2025 Künstlerhaus Mousonturm, Francfort (Allemagne) – mai 2025, Festival International de Brighton (Royaume-Uni).

Who is afraid of representation ?

Texte et direction Rabih Mroué – avec Lina Majdalanie et Rabih Mroué – En langue française et arabe surtitrée en français – au Théâtre de la Ville-Paris/La Coupole – en coréalisation avec le Festival d’Automne.

Côté cour, une table carrée, éclairée, sur laquelle est posée un gros livre. Rabih Mroué y prend place après avoir descendu du ciel un élégant écran, aidé de sa complice et actrice-performeuse, Lina Majdalanie.

Un jeu s’installe entre eux selon un protocole précis qui traverse tout le spectacle : l’actrice choisit une page du livre, au hasard. Le numéro de la page indique le temps qui lui est donné pour raconter les expériences de performeuses issues du Body Art européen d’une part, depuis l’arrière de l’écran où elle se place dans un jeu d’ombre et de lumière ; pour montrer, d’autre part, des photos rapportant les événements politiques libanais, commentés en version originale par Rabih Mroué qui, quittant la table se positionne devant l’écran.

Le corps comme sujet de représentation traverse le mouvement artistique du Body Art qui s’est développé à partir des années 50 et qui a profondément modifié notre regard sur l’art. Surtout porté par les femmes, il se situe aux frontières du spectacle vivant et des arts visuels et met l’artiste, son corps et ses actions, au centre de l’œuvre.

Reconnu comme l’un des chefs de file du Body Art, Joseph Beuys a développé performances, happenings, vidéo, installation et théories, de même que Marina Abramović, figure emblématique de l’art corporel. Dès le début des années 70, elle conçoit des performances dures et d’une certaine violence où elle met parfois sa propre intégrité physique ou mentale en danger. Il y eut aussi Orlan, connue internationalement pour ses performances corporelles, notamment en bloc chirurgical et Gina Pane, artiste plasticienne française disparue en 1990, qui a travaillé sur les blessures qu’elles s’auto-infligeait et leur symbolisme, explorant la relation à la douleur.  Ce sont leurs écrits, radicaux et obsessionnels, dans un langage cru – ceux-là et beaucoup d’autres puisés dans le grand livre – que Lina Majdalanie rapporte, témoignages sur les thèmes du sexe et de l’automutilation, des exhibitions et scarifications publiques pratiquées à cette période, comme en écho aux écrits d’Antonin Artaud sur le théâtre de la cruauté.

Rabih Mroué fait figure de chef d’orchestre ou de facilitateur pour libérer la parole, et se charge du minuteur qui peut aller de 7 secondes à 15 ou 20 secondes et jusqu’à une minute. Né à Beyrouth et vivant à Berlin, comme Lina Majdalanie, il intervient sur les thèmes de la violence et de la guerre au Liban, qui apparaissent de loin en loin dans le spectacle, à chaque fois que le grand livre se fixe sur une image. Alors il se lève, porteur d’un message plus politique à travers les fragments de l’Histoire et le récit, entre autres, d’un employé de bureau libanais confessant la tuerie dont il fut l’auteur sur son lieu de travail. Détaillant ses exploits il explique avoir tué six ou sept de ses collègues, des chrétiens qui auraient insulté le musulman qu’il était. On se replonge dans Charlie…

Entre la fiction et la réalité, les deux thèmes évoqués en vis à vis – la déflagration de la création d’une part, celle d’un pays en déshérence d’autre part – sont assez éloignés, même si le positionnement artistique est en soi une prise de position politique. L’oscillation entre une certaine légèreté provocatrice et transgressive d’une part, les crises politiques et conflits armés qui depuis des années règnent au Liban d’autre part, pose question, d’autant dans le contexte international du moment, où la réalité a l’ascendant sur la fiction. Ce va-et-vient des thèmes tirés du grand livre reste assez répétitif. Who is afraid of representation ? fut créé en 2005.

Le Festival d’Automne propose un Portrait en plusieurs spectacles du travail de Lina Majdalanie et Rabih Mroué, présenté dans différents théâtres, dont la création d’une nouvelle pièce à partir du procès de Bertolt Brecht sous le maccarthysme aux États-Unis et une création avec Anne Teresa de Keersmaeker. Je me souviens de Hartaqāt / Hérésies, présenté au Printemps des Comédiens en 2023, où ils signaient la troisième séquence du spectacle Mémoires non-fonctionnelles. Lina Majdalanie co-metteure en scène lisait avec intensité un texte de Bilal Khbeiz – poète, essayiste et journaliste libanais né avant la guerre et contraint à l’exil – comme une lettre, appuyée par des visuels de destruction (cf. Ubiquité-Cultures du 16 juin 2023). Multiformes, leurs spectacles détournent les codes et les déconstruisent. Ils interrogent le théâtre, à la recherche d’autres manières d’envisager la représentation.

Brigitte Rémer, le 30 septembre 2024

Scénographie Samar Maakaroun – direction technique Thomas Köppel – assistant Racha El Gharbieh – traduction de l’arabe Catherine Cattaruzza – surtitrage Halima Idrissi, Aurélien Foster/Panthea – production The Lebanese Association for Plastic Arts, (Ashkal Alwan) Beyrouth – Hebbel Theater, Berlin – Siemens Arts Program, Allemagne ; Centre national de la Danse, Paris – avec le soutien du Tanzquar-tier Wien GmdH, Vienne.

Du 23 au 28 septembre 2024, à 19h, le samedi à 16h, au TDV Sarah Bernhardt/La Coupole, place du Châtelet. 75001. Paris – site : www.theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77 et site du Festival d’Automne pour les différents spectacles de Lina Majdalanie et Rabih Mroué présentés entre octobre et décembre 2024 : www.festival-automne.com, tél. : 01 53 45 17 17.

Personne

© Nadège Le Lezec

D’après le roman de Gwenaëlle Aubry – adaptation Sarah Karbasnikoff en collaboration avec Elisabeth Chailloux – mise en scène Elisabeth Chailloux, en collaboration avec Sarah Karbasnikoff – jeu Sarah Karbasnikoff – coproduction Théâtre de la Ville, au Théâtre 14.

C’est un parcours labyrinthe auquel le spectateur est convié à travers l’abécédaire de Gwenaëlle Aubry auteure et philosophe qui écrit en hommage à son père, disparu, et qui a obtenu le prix Femina en 2009, pour ce roman intitulé Personne. Elle se met dans les traces de fragments retrouvés dans un précieux dossier bleu, après sa mort, fragments qu’elle décline, à travers chaque lettre de l’alphabet comme autant de touches sensibles composant le portrait kaléidoscopique de ce père, resté à distance.

On entre dans les fêlures d’un homme, François-Xavier Aubry, brillant avocat et professeur de droit, dans sa difficulté de vivre, ses visions et sa chute, un mouton noir, comme il aimait à se nommer et qu’on retrouve dans un fragment de ses écrits intitulé Le mouton noir mélancolique. La voix d’Antonin Artaud ouvre le spectacle. A comme Artaud, 9 décembre 1945. Lettre de Rodez à l’éditeur Henri Parisot dans laquelle « il délire, on peut appeler ça comme ça aussi, il est Jésus mis en croix sur le Golgotha puis jeté sur un tas de fumier, il est le blasphémateur et l’évêque de Rodez, saint Antonin et Lucifer… Il est le maître du réel, le possible est ce dont il décide, l’infini lui obéit » écrit l’auteure, avant de poursuivre son récit.

© Nadège Le Lezec

 « Le 10 décembre 1945, au lendemain de la lettre d’Artaud à Henri Parisot, mon père naissait. J’ignore de quand date sa première hospitalisation. J’aurais pu en retrouver trace, peut-être, dans l’un de ses carnets : agendas de cuir noir, cahiers d’écolier, livres de brouillon, blocs à entête d’hôtels, feuilles volantes, notes griffonnées au revers d’un cours, de quoi remplir des cartons entiers. On pourrait sur certains apposer les noms des hôpitaux et des maisons de santé où il a séjourné – Cahiers de la Roseraie, Cahiers de la Verrière, Cahiers d’Épinay… Mon père n’était pas un grand poète et c’est tout. Il n’a pas inscrit sa souffrance en beauté et en puissance, sa folie en génie, inventé une langue de sacres et de massacres. J’ai lu quelques-uns de ces cahiers, je les ai oubliés. Tout ce que je sais, c’est que chaque jour de sa vie ou presque, il a écrit. » Avec Personne, Gwenaëlle Aubry va dans le sens de la volonté de son père qui avait inscrit sur un cahier retrouvé, à romancer.

© Nadège Le Lezec

Seule en scène, Sarah Karbasnikoff, comédienne de la troupe du Théâtre de la Ville, assure admirablement le parcours. Deux grands écrans s’emboitent laissant un passage pour quelques-unes de ses entrées et sorties permettant – derrière l’écran-tulle, côté jardin – de prolonger la scène, devant le lit de la folie ou celui de l’absent. L’ensemble, ainsi que le sol et quelques chaises dans un coin, sont gris clair, l’aspect plutôt clinique (scénographie Aurélie Thomas). Le fil conducteur, les écrits du père, encre bleue stylo plume, s’inscrivent sur l’écran. L’actrice les lit prenant la place du père, devant un micro sur pied.

Les 26 lettres et chapitres tour à tour s’affichent et donnent le ton : c comme Clown avec sa maladie du comme si et ce masque, Persona, que portaient sur scène, en Grèce et dans l’Italie antique, les acteurs ; d de Disparu, quand s’envolent les cendres – une urne est posée à l’avant-scène, pas forcément indispensable, le texte et le sens du spectacle étant suffisamment clairs ; i comme Illuminé, c’est de Plotin qu’il s’agit, parlant de l’originalité de sa pensée à travers trois réalités fondamentales, l’Un, l’Intellect et l’Âme, la romancière comme philosophe ;  j comme Jésuite, souvenirs de pensionnat, propose un jeu d’ombre où la figure de l’homme d’église ressemble à un ogre ; o comme Obscur, sans commentaire ; q comme Qualité (L’Homme sans) référence au roman inachevé de l’écrivain autrichien Robert Musil. Plusieurs personnages, acteurs, projections à l’appui, ou mythes auxquels s’identifie le père, intègrent aussi cet Abécédaire : b comme Bond, « mon père voulait être James Bond, parce qu’il voulait être agent de l’ombre » ; h comme Hoffmann de Dustin qui dans Kramer contre Kramer révélait cette « espèce d’absence au monde » ; l comme Léaud, Jean-Pierre, par l’enfance et le rappel de la bipolarié du père ; n de Napoléon du grand Nord, « seul au réveillon des fous. »

La mise en scène d’Élisabeth Chailloux sert le propos de Gwenaëlle Aubry – qui pose la question de l’autofiction – avec finesse, précision et sobriété, dans la solitude et l’abandon du père. « De la vie de mon père, je conserve le relief intérieur, le relevé sismographique. Pas plus que lui je ne saurais (ni ne voudrais) la raconter, parcourir ces noms, ces dates qui composent l’histoire à l’ombre de laquelle j’ai grandi… Peut-être a-t-il trouvé dans le désert blanc de la mort ce que depuis toujours il cherchait : le droit de ne plus être quelqu’un » conclut l’auteure. François-Xavier Aubry garde son mystère, la mort l’a souvent guetté. Sarah Karbasnikoff en témoigne sur scène avec intensité, alliant humour, distance et mélancolie.

Brigitte Rémer, le 10 janvier 2024

Collaboration artistique Thierry Thieû Niang – scénographie Aurélie Thomas – lumières Olivier Oudiou – son Madame Miniature – costumes Dominique Rocher – vidéo Michaël Dusautoy – régie générale Simon Desplebin.

Du 9 au 27 janvier 2024, au Théâtre 14, représentations mardi, mercredi, vendredi à 20h jeudi à 19h samedi à 16h – Théâtre 14 – 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris – métro : Porte de Vanves, tram station : Didot – tél. : 01.45.45.49.77 et 01 42 74 22 77 – sites :  theatre14.fr et theatredelaville-paris.com

Après la répétition – Persona

Textes Ingmar Bergman – mise en scène Ivo van Hove – dramaturgie Peter van Kraaij – traduction Daniel Loayza – au Théâtre de la Ville/Sarah Bernhardt.

Après la répétition © Vincent Béranger

Ivo van Hove poursuit son exploration de l’univers bergmanien. Après Cris et chuchotements mis en scène en 2009, puis Scènes de la vie conjugale en 2011, il remet sur le métier l’ouvrage en présentant Après la répétition, suivi de Persona. Il avait monté ce même diptyque il y a une dizaine d’années avec une distribution néerlandaise. Entre temps il a exploré tant le monde du théâtre, que celui du cinéma et de l’opéra, parcourant un vaste répertoire d’œuvres.

Après la répétition, tourné par Ingmar Bergman en 1984, élaboré et reconstruit ici en texte dramatique, nous place au coeur de la création théâtrale. Henrik Vogler, metteur en scène, enfermé nuit et jour dans sa salle de répétition, travaille sur Le Songe de Strindberg, (Charles Berling) mais construit en même temps son autobiographie. La pièce repose sur un huis-clos où il affronte le regard de sa jeune actrice qui souhaite en rester là avec le théâtre (Justine Bachelet) et se reconnaît « blessé dans la vie mais pas au théâtre. » Une certaine attirance se fait jour. Anna pourrait bien être sa fille, car il dévoile la liaison qu’il avait eue par le passé avec sa mère avant d’entrer dans dix ans de silence. « Tu ressembles à ta mère avortée. » La figure tutélaire et douloureuse de la mère, Rakel, (Emmanuelle Bercot) rôde, illusion et réalité se superposent. « Ma mère est folle » déclare la jeune femme. Par le théâtre, sa réalité, Vogler révise sa vie, ses amours, ses failles.

Dans Persona, tourné en 1966, on est à l’opposé. Une grande dame du théâtre, Elizabeth (Emmanuelle Bercot), est allongée nue sur une table d’examen médical, laissant filtrer sa souffrance. La veille, elle s’est tout à coup fermée comme une feuille morte, immobilisée en pleine représentation d’Électre, devenant brutalement mutique. Corps sans défense et prostrée, on dirait une sculpture. Elle est soignée dans une clinique où aucun diagnostic n’est posé. Son chaos est intérieur, la bande son le reflète. « Quel rôle vous a fait le plus mal ? » lui demande-t-on. « La vraie vie finit toujours par vous rattraper » réussit-elle à dire sur des sons lancinants.

On l’envoie en convalescence sur une île, accompagnée d’une jeune infirmière, Alma (Justine Bachelet). Le rideau s’ouvre et l’on découvre un cadre enchanteur où la vie est, par les éléments comme le vent, la pluie, les bourrasques, le soleil. L’eau soigne l’âme, par les mains, les pieds, les jeux d’eaux (belle scénographie et lumières de Jan Versweyveld). Le violoncelle accompagne. Un certain flou s’installe entre les deux femmes qui tissent des liens et une certaine complicité jusqu’à gommer un peu de leurs personnalités propres, jusqu’à se perdre. Face au silence d’Élizabeth, Alma se raconte en confiance, évoque ses amours, ses soirées, ses dérapages, juxtaposant le rêve et la réalité. « Les gens disent que je sais bien écouter mais personne n’a jamais pris la peine de m’écouter. » Se greffent des histoires de tentative d’avortement, de fils mal aimé. La montée dramatique est en marche, jusqu’à un sommet. Alma craque et se met en colère : « Je ne supporte plus le silence » sur fond de déchainement des éléments, violence de l’eau qui tombe, vent qui hurle. Elles se cherchent, s’agrippent, s’approchent, se fuient. Il y a transfert de personnalités, Alma devient Elizabeth qui se raconte et vice-versa, récits, pleurs, excès devant Vogler qui réapparaît dans cette partie. La fin se perd un peu en points de suspension.

Persona © Vincent Béranger

Ivo van Hove mène de mains de maître les deux volets du spectacle, dans une direction d’acteurs subtile et un jeu qui fluctue au gré des états d’âme. Leur complexité est parfaitement rendue par les actrices/acteurs, le travail est d’une grande finesse. La scénographie – un bureau dans la coulisse pour la première partie, Après la répétition, la clinique puis cet espace de nature et d’eau très pictural dans la seconde, Persona, se fait l’écho de l’énergie vitale qui s’enfuit. La bande-son grave les reliefs de la partition bergmanienne dessinant avec une grande justesse et précision ce Crayonné au théâtre cher à Mallarmé (conception sonore Roeland Fernhout).

Osez pénétrer l’univers de Bergman dans son étrangeté et ses silences, dans ses distributions magnétiques d’actrices et acteurs forgés à son image, est un risque. Ivo van Hove s’y aventure avec ses trois protagonistes – Emmanuelle Bercot, Charles Berling, Justine Bachelet – et il a bien raison. Par le langage des corps autant que par les mots et les silences, ensemble, ils traduisent et portent la quintessence du théâtre.

Brigitte Rémer, le 12 décembre 2023

Après la répétition © Vincent Béranger

Avec : Emmanuelle Bercot : Rakel dans Après la répétition / Elisabeth Vogler dans Persona – Charles Berling : Vogler dans Après la répétition / Vogler dans Persona – Justine Bachelet : Anna dans Après la répétition / Alma dans Persona – Elizabeth Mazev ou Mama Prassinos  (représentation du 11 novembre) : La Docteur dans Persona – et la voix d’Isabelle Huppert.  Scénographie et lumières Jan Versweyveld – conception sonore Roeland Fernhout – costumes An D’Huys – assistant mise en scène Matthieu Dandreau – assistant lumières Dennis van Scheppingen – assistant décors et scénographie Bart Van Merode – assistantes costumes : Anna Gillis et Sandrine Rozier – Direction de production Marko Rankov – Administration de production Bruno Jacob. Équipe technique de création directeur technique Nicolas Minssen – directeur technique adjoint Matthieu Bordas – régisseur général William Guez – régisseuse lumière Cathy Gracia – régisseur plateau Félix Page – régisseur son Samuel Pionnier – régisseur vidéo Pierre Vidry – accessoiriste Sébastien Grange – habilleuse Lucie Lizen – maquilleuse/perruquière Charlotte Le Clerre.

Vu en novembre 2023 au Théâtre de la Ville/Sarah-Bernhardt, place du Châtelet, 75004. Paris – site : www.theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77

Extinction

© Simon Gosselin

Textes de Thomas Bernhard, Hugo von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler – adaptation et mise en scène Julien Gosselin – traduction Anne Pernas, Francesca Spinazzi (Panthea) – avec la Volksbühne Am Rosa-Luxemburg-Platz de Berlin et la compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur – au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, en partenariat avec le Théâtre Nanterre-Amandiers – dans le cadre du Festival d’Automne.

C’est un livre de Thomas Bernhard, Extinction – un effondrement, cinq cents pages écrites très serrées et sans paragraphes ni respiration, scindé en deux sections intitulées télégramme et testament, texte qui se révèle dans la dernière partie du spectacle. C’est une soirée en trois temps, deux entractes et beaucoup de mouvements, de styles et d’auteurs différents, évoquant l’écroulement de l’Empire Austro-hongrois et comme une véritable fin du monde. Extinction, le titre, sert le propos. Par le partenariat avec la Volksbühne Am Rosa-Luxemburg-Platz de Berlin où Julien Gosselin est artiste associé, les actrices et acteurs allemands et français se partagent le plateau pour dessiner ce monde viennois sur le déclin. De la Volksbühne : Zarah Kofler, Rosa Lembeck, Marie Rosa Tietjen et Max Von Mechow ; de la Compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Victoria Quesnel, Maxence Vandevelde. La langue voyage avec souplesse de l’allemand au français et vice versa, par les sur-titrages. La caméra in situ est reine et suit les acteurs dans des pièces où le spectateur ne pénètre que par écran interposé. Le spectacle a été créé au Printemps des Comédiens de Montpellier en juin dernier, avant d’être présenté au Festival d’Avignon.

La première partie est exclusivement électro, signée Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde. Les spectateurs entrant dans le théâtre sont invités à monter sur le plateau pour danser et prendre un verre de bière, autour des DJ. Certains rejoignent le groupe des danseurs, d’autres s’installent et regardent le plateau qui ressemble à un dancefloor, une discothèque, avec néons, images et fumées. Une trentaine de minutes plus tard, deux femmes, Rosa et Victoria se fraient un passage dans la foule et s’extraient, se poursuivant en se jetant à la figure des mots d’amour en allemand, évoquant un village, Wolfsegg et un appel téléphonique pressant. Elles esquissent ainsi ce qui se développera dans la partie finale du spectacle.

Après un premier entracte au cours duquel le ballet des techniciens prend le relais pour construire la scénographie (de Lisetta Buccellato) – les différentes pièces d’une maison huppée dans laquelle se déroule une soirée mondaine – ce second temps du spectacle débute par des images de jeux de massacre et de tuerie, l’extinction concrète d’une aristocratie décadente. Cette partie nous mène dans l’univers d’Arthur Schnitzler, auteur autrichien comme Thomas Bernhard, à travers plusieurs récits dont Mademoiselle Else/Fräulein Else, un monologue intérieur écrit en 1924 qui montre, d’une soirée à l’autre la jeune femme au nom éponyme, issue de la bourgeoisie viennoise, contrainte à l’humiliation allant jusqu’à la prostitution, pour sauver son père, avocat, de la ruine ; Double Rêve/Traumnovelle, d’abord publié en feuilleton à partir de 1925, récit dans lequel les fantasmes d’Albertine et les pulsions de Fridolin circulent de l’un à l’autre et se répondent en une confession mutuelle d’aventures érotiques, vécues ou fantasmées ; La Comédie des séductions/Komödie der Verführung  publiée en 1924, peinture sensible de la société viennoise, dans laquelle rôde la figure de Sigmund Freud et dans un autre registre celle de Gustav Mahler, le jour où la première guerre mondiale éclate et où la catastrophe des deux guerres s’annonce. Lors d’un bal masqué chez le prince de Perosa, la comtesse Aurélie, soeur d’un écrivain, se décide pour l’un de ses trois prétendants, le baron de Falkenir, alors que les jeux de séduction emportent les autres invités, principalement la cantatrice Judith Asrael et la violoniste Séraphine Fenz.

© Simon Gosselin

Cette seconde partie montre la société viennoise d’avant-guerre en pleine décadence, la grande Histoire en toile de fond. Elle est presque exclusivement composée d’images projetées issues de la captation in situ. Franck Castdorf – qui a dirigé la Volksbühne Am Rosa-Luxemburg-Platz jusqu’en 2017 – avait utilisé cette technique, notamment dans Les Frères Karamazov à la Friche Babcock de La Courneuve. On y trouve aussi des passages de La Lettre de Lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal, ami de Schnitzler, une sorte de manifeste de la dissolution de la parole et du naufrage du moi, significatifs de l’époque. Ils étaient juifs tous deux, faisant face à l’émergence de l’antisémitisme. Ces différentes histoires se tissent entre elles et les personnages interfèrent et se mêlent en fondu-enchaîné. Le spectateur est emporté par les mouvements de la caméra et entre dans l’intimité des personnages. De loin en loin, comme si l’on regardait par le trou de la serrure de la salle de bains ou de la chambre scénographiées aux deux extrêmes de l’espace scénique, côté jardin et côté cour, apparaissent quelques personnages qui nous permettent de pénétrer dans leur sphère privée et leurs doutes, à travers quelques bribes de dialogues et quelques scènes où l’on comprend que le réel leur pèse.

© Simon Gosselin

La troisième partie, après un second entracte et le démontage du décor dans une même chorégraphie des techniciens, est basée sur le récit de Thomas Bernhard, Extinction, mot-clé qui guide le concept d’ensemble du spectacle, extinction du monde, du couple, de la famille, extinction de l’espèce. La guerre est bien là pour le rappeler et l’aristocratie ne pose aucune limite. Cette partie prend la forme d’une longue narration, en allemand surtitré, remarquablement restituée par l’actrice Rosa Lembeck, – jeune femme qu’on suit de manière discontinue depuis le début du spectacle, et néanmoins sorte de lien entre les parties – dans un monologue acide contre sa famille, sur un plateau dépouillé où se côtoient intimité, violence et rage. Assise sur un tabouret posé sur une estrade, elle est entourée d’une poignée de spectateurs invités à rejoindre le plateau, séquence de théâtre dans le théâtre. Elle se raconte, endossant le rôle de Murau, le narrateur d’Extinction dans le récit de Thomas Bernhard, un riche héritier qui ne côtoyait plus sa famille depuis longtemps, et qui revient au château familial de Wolfsegg, en Autriche, pour enterrer ses parents – son père, ancien membre du parti nazi, sa mère, fervente catholique et maîtresse de l’archevêque Spadolini – et son frère. Il vient d’apprendre leur mort dans un accident de voiture. L’actrice débobine ce monologue, dans un texte plein de rancœur et de réminiscences.

© Simon Gosselin

Par le croisement des textes des grands auteurs qui balisent le spectacle, la littérature autrichienne est à l’honneur et se décode à travers les images montées en direct de la captation vidéo s’affichant en miroir avec les acteurs, sur scène. De courtes séquences prolongent en effet, de l’écran à la scène, le raffinement autant que la barbarie et l’apocalypse à venir, l’intellectualité et les références, la place de l’art et le nihilisme de Thomas Bernhard.

Comme dans ses spectacles précédents, Julien Gosselin pose un geste artistique radical, avec sa compagnie, fondée en 2009, à laquelle se sont joints pour Extinction les acteurs de la Volksbühne Am Rosa-Luxemburg-Platz. Après Les Particules élémentaires, de Michel Houellebeq il y a dix ans ; 2666, roman-fleuve de Roberto Bolaño, fut un marathon de douze heures sur la violence dans nos sociétés ;1993, d’Aurélien Bellanger une traversée sur l’idée européenne ; Le Marteau et la Faucille de Don DeLillo, touchait à l’absurde du monde des affaires ; Le Passé, à travers le portrait d’une femme, faisait déjà celui d’une fin du monde à travers cinq textes de Léonid Andréïev tissés ensemble. C’est toujours une expérience que d’assister à un spectacle de Julien Gosselin, le terrain est escarpé, et il slalome effrontément sur la ligne blanche entre théâtre, cinéma et ici, concert. Son évocation de mondes et de sociétés en décomposition en montre toutes les tensions. Il travaille aux frontières de la transgression artistique, brouillant le rapport scène/salle et questionnant le théâtre.

Brigitte Rémer, le 10 décembre 2023

© Simon Gosselin

Interprètes : Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Zarah Kofler, Rosa Lembeck, Lotic, Victoria Quesnel, Marie Rosa Tietjen, Maxence Vandevelde, Max Von Mechow – scénographie, Lisetta Buccellato – dramaturgie, Eddy d’Aranjo, Johanna Höhmann – musique : Guillaume Bachelé, Lotic, Maxence Vandevelde – lumière, Nicolas Joubert – vidéo : Jérémie Bernaert, Pierre Martin Oriol – son, Julien Feryn – costumes, Caroline Tavernier – cadre vidéo :  Jérémie Bernaert, Baudouin Rencurel – avec la participation de tous les départements de Si vous pouviez lécher mon cœur et de la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz – Le Théâtre de la Ville-Paris, le Théâtre Nanterre-Amandiers/CDN et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle et le présentent en coréalisation..

Théâtre de la Ville/Sarah Bernhardt, place du Châtelet. 75004. Paris – du 29 novembre au 6 décembre 2023, à 19h – tél. : 01 42 74 22 77 – sites : www.theatredelaville-paris.com – www. festival-automne.com – www.nanterre-amandiers.com – Prochaine dates : les 5 et 6 janvier 2024, Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin, DE) – les 23 et 24 mars 2024, les Théâtres de la Ville de Luxembourg.

 

Double Infinite – The Bluebird Call

Danse – direction, création et interprétation María Muñoz, Pep Ramis, collectif Mal Pelo – au Théâtre de la Ville/Les Abbesses, Paris.

© Tristan Pérez Martin

Quelqu’un marche dans la neige, filmé de dos, emmitouflé dans une parka à capuche bordée de fourrure. La neige craque sous ses pas. On entend le bruit d’un torrent qui coule. L’image est belle, en noir et blanc, sur un grand écran placé en fond de scène. Tout est paisible. Puis la séquence glisse, très naturellement, sur le plateau. Le personnage est là, face à nous. Il semble sortir d’une longue marche, harassante. On distingue à peine le bout de son visage. Il, est en fait elle, María Muñoz, qui s’élance dans la pénombre sur un tapis de danse auparavant blanc immaculé, placé dans la profondeur de la scène, traversé d’une fine diagonale rouge. Ce sol  s’est couvert de traits de peinture noire, sorte d’écritures et de calligraphies à la manière d’Henri Michaux. « Je suis de ceux, écrit ce dernier, qui aiment le mouvement, qui rompt l’inertie, qui embrouille les lignes, qui défait les alignements…mouvement comme désobéissance… » L’actrice-danseuse se roule dans l’œuvre avec volupté et semble se laisser entrainer dans les éléments de la nature, prolongeant les images précédentes.

© Tristan Pérez Martin

Côté cour se trouve l’espace des musiciens, au début du spectacle, car ils deviennent ensuite mobiles : un violoniste (Joel Bardolet) et un violoncelliste (Bruno Hurtado), portant jupes et chemises noires, la soprano, à certains moments percussionniste (Quiteria Muñoz), vêtue d’un blouson de cuir et pantalon noir. Voix d’une grande amplitude, rythme appuyé, percussions comme un galop. Cette musique live se mêle à certains enregistrements, des voix polyphoniques rejoignent aussi l’ensemble (son Andreu Bramón).

Dans Double Infinite/ The Bluebird Call – Double Infini/Appel de l’Oiseau bleu, à l’image et au geste se joint le poème. Pleins feux sur scène. Devant un micro, María Muñoz, lance des questions en une litanie de pourquoi… dans une conversation tantôt introspective tantôt en dialogue. « J’y suis, Billy. Si je n’étais pas tombée de cheval… » A plusieurs moments le texte prend le pouvoir et elle continue à parler en dansant, avec quelque chose de léger dans le mouvement, comme si elle patinait sur la glace.

Deux grands projecteurs du temps jadis, de lourds Cremer vintage, seront allumés et déplacés par María Muñoz et son complice, Pep Ramis quand il apparaitra, dans une seconde partie du spectacle. Face à face ils contribueront à la recherche de vérité ou agiront comme une poursuite, ou un appareil photo où chacun capture l’autre, son semblable, son double. « Donne-moi un incendie » provoque-t-elle avant de poser sa parka, de mettre un bonnet et un manteau. Comme par magie une lumière rouge apparaît (lumière Luís Martí, August Viladomat).

© Tristan Pérez Martin

Retour sur le tapis de danse, blanc et la fine diagonale de couleur rouge. Le glacier est sur scène. Le monologue, les bribes de dialogue et les imprécations reprennent : « Billy, tu n’es pas venu, les oiseaux non plus… Chaque fois que je trouve un nouveau rêve… Ne nous retire pas le désir… Imagine que le temps court à reculons. » L’écran passe du vert au jaune vif, agressif, en rupture. « Imagine que nous repoussions nos infinis. »

Apparaît l’homme, Pep Ramis, dos au public, assis dans un fauteuil devant le grand écran fenêtre-paysage, qu’il contemple. Il se penche de côté et tombe. Il se relève, tombe et retombe à maintes reprises dans un art de la chute sophistiqué et jusqu’à s’étourdir et ne plus se relever. Il se roule alors sur le tapis de danse devenu forêt en perdition, par projections vidéo de branches d’arbres entremêlées, comme si une tempête l’avait décimée. Il s’y roule et s’y fracasse dans un bruit d’eaux et de tonnerre avant de réussir à prendre la parole, en français. « Il y a une loi, c’est l’amour… Il y en a qui se cachent, d’autres pas. » Homme aux cheveux blancs, barbe blanche portant bonnet et manteau brun, il danse avec légèreté, puis se met en colère, en anglais. Une musique baroque l’accompagne. Sur l’écran il se promène dans un bois, dans la nature. Sur scène, l’homme nous regarde, avant d’être à nouveau déstabilisé, de tomber et retomber. Violon et violoncelle soutiennent son déséquilibre, qu’il mène jusqu’au rire et jusqu’à la crise.

© Tristan Pérez Martin

María Muñoz et Pep Ramis créent des mondes sensibles et magnétiques, mondes d’ombres et de questionnements, de feuilles, de fragilités. « Avez-vous vu l’oiseau bleu ? » demandent-ils.  Ils naviguent entre une question, un vide, une certitude, une prière, quelque chose qui maintienne debout. L’acteur-danseur se perche comme un oiseau. « Un paysage préféré. Des yeux où se voir. Un océan où se perdre. Une odeur familière. Un cri. Une blessure. Une raison pour mourir. Ceci est ma dernière confession » poursuit-il, avant qu’un chant choral ne l’enveloppe.

Ce chant lointain est repris par une image de neige (vídéo Leo Castro), et sur scène par le déplacement d’objets, dans l’attente des oiseaux qui ne sauraient tarder à arriver. Côté cour, en fond de scène, les trois musiciens ponctuent la rencontre entre les deux danseurs-acteurs. Elle, revient. Elle, reproche : « Tu n’as même pas changé les meubles. » Retrouvailles après de longues années, tous les deux face à nous, côte à côte. Elle le touche, le renifle, tous deux semblent gauches, se cherchent, s’effleurent. C’est à la fois tendre et agressif, comme un duo-duel.

Très rythmé, le final débobine et rembobine la vie. « Imagine… imagine… si on avait toutes les saisons en un seul jour… » Elle danse. Il lit un texte. « Tu es qui ?  Je ne me rappelle plus si tu aimes la country… » Perdus de vue, ils se retrouvent. Revient l’image de la chute, c’est elle qui du fauteuil, tombe et retombe. Puis les deux chantent, accompagnés du violoncelle, un très beau moment polyphonique. Les mots s’effacent, ils sont oiseaux…

© Tristan Pérez Martin

Double Infinite – The Bluebird Call interpelle par sa savante simplicité, son ardeur à lancer une bouteille à la mer… de glace, son espérance et sa désespérance, par sa poésie, sa dérision parfois, dans le côté personnel de son langage. Différents champs artistiques y interfèrent, dans la démarche menée par María Muñoz et Pep Ramis depuis 1989, avec le collectif Mal Pelo qu’ils ont fondé. La tension qu’ils créent entre ces univers donne sa fragilité au spectacle en même temps que sa force, par l’absurde et par la narration qu’ils proposent. La danse et le mouvement sur scène, les images sur écran, la musique et la représentation visuelle qu’ils élaborent à travers lumière et scénographie, invitent au voyage.

Brigitte Rémer le 4 décembre 2023

Collaboration artistique Leo Castro – espace sonore Fanny Thollot – collaboration et interprétation musicale Joel Bardolet (violon), Quiteria Muñoz (soprano), Bruno Hurtado (violoncelle) – lumière Luís Martí, August Viladomat – son Andreu Bramón – scénographie Pep Ramis, Adrià Miserachs – costumes CarmePuigdevalliPlantés – vídéo Leo Castro – production Mamen Juan-Torres – gestion et administration Gemma Massó – relations extérieures AnSó Raybaut.

Du 28 novembre au 2 décembre 2023 à 20h, au Théâtre de la Ville/Les Abbesses, 31 rue des Abbesses. 75018. Paris – métro : Abbesses, Pigalle – site : www.theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77 – et aussi, au Théâtre de la Ville/ Les Abbesses : les 5 et 6 décembre, Pep Ramis, The Mountain, the Truth and the Paradise – les 8 et 9 décembre, María Muñoz, Bach.

Exposition « Naples à Paris » – Spectacle « Les Fantômes de Naples »

© Jean-Louis Fernandez

C’est une soirée magique dans tous les sens du terme à laquelle le public est convié au Musée du Louvre, dans le cadre des Étés du Louvre. Structurée en deux parties, elle offre au public venu assister au spectacle Les Fantômes de Naples – conçu et mis en scène par Emmanuel Demarcy-Mota sur des textes d’Eduardo de Filippo, écrivain napolitain et génie de l’illusion – de rencontrer les chefs d’oeuvre du musée de Capodimonte, de Naples.

La Déambulation proposée en première partie est une chance, le Louvre met à disposition du public ses espaces, entre autres sa Grande Galerie où sont accrochés tant de chefs-d’œuvre venus de Naples en écho à sa collection de peinture italienne, dans un dialogue fécond entre les deux collections. On croise les sculptures de Michel-Ange et on passe devant La Victoire de Samothrace en haut de l’escalier principal avant d’arriver à la Grande Galerie où est présentée l’exposition Naples, les chefs-d’œuvre de la peinture italienne. Là l’éblouissement est total, avoir la Grande Galerie pour soi et errer dans Naples et l’art italien avant d’assister au spectacle est un réel privilège. Plus loin, dans la Salle de la Chapelle se trouve la section Des Farnèse aux Bourbons, histoire d’une collection et dans la Salle de l’Horloge, les Cartons italiens de la Renaissance, 1500-1550.

© Jean-Louis Fernandez

Florence et la peinture de la Renaissance entre 1280 et 1480 sont donc au cœur du sujet et accueillent le visiteur avec les œuvres de Cimabue et Giotto, peintres majeurs de la pré-Renaissance italienne et leurs successeurs, Fra Angelico, Uccello et Botticelli qui travaillent les perspectives géométriques, le rendu de la lumière et l’humanisation des personnages. De Giotto, sont présentés Les stigmates de Saint François d’Assise, tableau peint entre 1297/99 ; une Crucifixion, tempera sur bois de peuplier réalisée vers 1330, où l’on voit le Christ entre les deux larrons ; la Croix peinte avec au sommet de la croix le Pélican, métaphore du Christ sacrifié nourrissant ses petits de son corps. De nombreux chefs d’œuvre suivent comme Le Couronnement de la Vierge Marie, élément central d’un polyptyque de Tommaso Del Mazza réalisé entre 1380/95, qui montre avec une extrême précision le travail de l’or et de précieux textiles ; L’Annonciation, de Bernardo Daddi, peinte sur bois de peuplier vers 1335 où un Ange accompagne l’Archange Gabriel dans l’annonce du futur enfantement du Christ ; Saint François d’Assise, peint sur bois entre 1360/65 par Giovanni Da Milano dans un jeu d’ombre et de lumière qui n’est pas sans rappeler l’influence de Giotto ; Le Martyre des saints Cosme et Damien montrant l’exécution de ces martyrs chrétiens du IVe siècle peints par Fra Angelico entre 1338/43, avec un alignement de cyprès à l’arrière-plan, emblème du calme de la vie éternelle en opposition à la violence de l’acte.

“Le Martyr des Saints Côme et Damien” de Fra Angelico, peint sur bois  de peuplier, entre 1338 et 1343 © BR

L’art de la fresque se développe ensuite en Italie entre 1400 et 1450, à partir d’une technique de peinture posée sur un enduit frais pour que les pigments se mêlent. On en voit de superbes traces dans l’exposition, comme les Fresques de la Villa Lemmi d’Alessandro Botticelli peintes vers 1483/85 autour de Vénus, Déesse de l’Amour ; un Calvaire de Fra Angelico, peint sur la paroi du Réfectoire du Couvent San Domenico de Fiesole, situé aux portes de Florence, où le peintre fut Frère puis Prieur ; les fresques de l’oratoire de la famille Litta à Greco Milanese près de Milan dont La Nativité et l’Annonce aux bergers ainsi que L’Adoration des Mages, de Bernardino Luini, réalisées en 1520/25.

À partir des années 1470 émerge ensuite l’art du Portrait. On trouve entre autres dans l’exposition un remarquable Portrait de jeune homme peint par Botticelli vers 1475/1500 ; Le Condottiere, huile sur toile d’Antonello de Messine réalisé en 1475, autre Portrait d’homme et personnage d’un haut rang social, peint à Venise ; un Portrait d’homme de Giovanni Bellini peint sur bois vers 1500. Les thèmes religieux demeurent aussi dont deux œuvres d’Andrea Mantegna : La Vierge de la Victoire réalisée en 1496 et La Crucifixion entre 1456/59. De Vittore Carpaccio, La Prédication de Saint Etienne à Jérusalem, huile sur toile réalisée en 1514, montre la fascination de Venise pour l’Orient, dans l’architecture comme dans les costumes, couleurs et textures.

“La Prédication de Saint Etienne à Jérusalem” de Vittore Carpaccio, huile sur toile réalisée en 1514 © BR

Du musée de Capodimonte parmi les nombreuses œuvres présentes se trouvent une Crucifixion, tempera et or sur panneau signée Tommaso di ser Giovanni di Mone Cassai, dit Masaccio en 1426, où Marie-Madeleine exprime son désespoir, on la voit de dos, période où les émotions commencent à entrer dans la peinture ; La Transfiguration, une huile sur panneau de 1478/79, l’un des plus ambitieux tableaux de Giovanni Bellini, beau-frère de Mantegna montrant Jésus au visage radieux et vêtu de blanc entouré de Moïse, Elie et de trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean ; Le Christ à la colonne, réalisé par Antonello de Messine entre 1476/78, où Jésus avant d’être crucifié est attaché à une colonne pour être flagellé : de ses yeux coulent des larmes et le nœud de la corde placée autour du cou est très réaliste, on retrouve dans cette peinture la même technique que celle du portrait.

Deux imposants retables de Colantonio, maître de la première Renaissance à Naples sont présentés : le Retable de l’Annonciation et le Retable de Saint Vincent Ferrier peints entre 1456/58 dans lequel sont racontés des épisodes de la vie de Saint Vincent, dans un grand sens narratif. Naples est devenu le lieu majeur de production des retables. Francesco Mazzola dit Parmesan a peint en 1524 une huile sur toile, Portrait de Galeazzo Sanvitale, où se lit l’élégance et l’érudition du personnage en même temps que ses exploits militaires à travers ses armes et le heaume posé dans un coin du tableau ; Lucrèce, huile sur toile datant de 1540 relate dans une grande sophistication le suicide de Lucrèce après un viol. Giovanni Battista di Jacopo, dit Rosso Fiorentino a réalisé une remarquable huile sur panneau, en 1524/26, Portrait de jeune homme, où le visage est d’une grande élégance et les doigts effilés. Le peintre espagnol Jusepe de Ribera apporte dans son œuvre des notes expressionnistes et dramatiques, et datant de l’époque baroque, Luca Giordano montre une Madone au baldaquin joyeuse et protectrice, huile sur toile peinte en 1685 dont l’ensemble monumental s’inspire de l’accrochage du musée de Capodimonte, Fragonard s’en inspirera lors de son séjour à Naples, en 1781. Le tableau venant de Capodimonte, Atalante et Hippomène peint par Guido Reni entre 1618/19, référence aux Métamorphoses d’Ovide, fait écho à L’Histoire d’Hercule du même peintre, conservé par le Louvre. Ils symbolisent à eux seuls le dialogue qui s’est tissé entre les deux institutions.

© Jean-Louis Fernandez

Le Caravage est également présent dans l’exposition avec trois toiles puissantes : La Mort de la Vierge réalisée à Rome entre 1601/06 avant que le peintre ne soit condamné pour meurtre et ne s’enfuie à Naples ; le prêt de La Flagellation, huile sur toile peinte en 1607 à Naples pour l’église San Domenico Maggiore, jeux de contrastes entre le blanc radieux du Christ et le noir des bourreaux qui s’apprêtent à passer à l’action du supplice par le fouet ; le Portrait d’Alof de Wignacourt, grand maître de l’ordre des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem. Malgré de terribles catastrophes – dont la peste en 1656, qui décima la moitié de la population et dont l’éruption du Vésuve – Naples fut un foyer artistique majeur à cette époque-là ainsi qu’une référence en termes de culture scientifique et mathématique. Un panneau attribué à Jacopo de’ Barbari artiste vénitien proche d’Albert Dürer le montre et la culture humaniste est à l’honneur.

Au cours de ce parcours pictural les visiteurs croisent quelques acteurs détachés du spectacle qu’ils verront juste après, et qui cherchent à attirer leur regard. Ils disent de petits textes en toutes langues, issus d’auteurs de différents pays, dont Pier Paolo Pasolini, Arthur Rimbaud, Fernando Pessoa, Yannis Ritsos ou encore Shakespeare en ses Sonnets. Puis Les Fantômes de Naples débute sur une scène dressée dans la magnifique cour Lefuel – anciennes Écuries de Napoléon III – où le spectateur prend place. Emmanuel Demarcy-Mota directeur du Théâtre de la Ville à Paris l’a conçu et mis en scène à travers un montage des textes d’Eduardo de Filippo – pièces, poèmes et interview –  auteur qu’il connaît bien pour en avoir présenté cet hiver la pièce La Grande Magie (cf. notre article du 2 janvier 2023). Il travaille ici avec la troupe du Théâtre de la Ville et les acteurs formés dans les écoles du Teatro della Pergola de Florence. Le spectacle est en français, italien et napolitain surtitré, ponctué par des musiques et des chants ; il dessine un portrait de la ville de Naples.

C’est une séquence musicale qui ouvre le spectacle autour de trois guitaristes placés côté cour sur fond de chants d’oiseaux. Le soleil se couche et la cour Lefuel apparaît sous les projecteurs. La mer en son ressac habite l’espace sonore. On est comme en suspension, en contemplation. Les bruits de Naples nous parviennent, car selon l’auteur « L’ensemble et l’apparence d’une cité nous parlent la nuit : pierres, briques, portes et tuiles, se mettent à parler et lorsque la lune est sortie, ces bruits prennent plus de résonance. » Un acteur apostrophe les spectateurs, à la recherche du troisième œil, l’œil de la pensée. Arrive Pulcinella, personnage de la Commedia dell’Arte : « Bona Sera ! Savez-vous d’où je viens ? De l’au-delà ! J’ai visité tout le paradis. Pulcinella ne meurt jamais. C’est l’âme de Naples et du peuple napolitain… » Autour de lui, chaque personnage apporte son étrangeté et sa présence : une jeune femme en noir s’interroge sur « ce qu’est Naples » et donne sa réponse « Personne ne le sait… » C’est une ville mystère. Des personnages-fantômes dont la soliste, descendent en chantant la double rampe en fer à cheval, avec beauté, gravité et poésie. « Naples c’est la voix des enfants. C’est l’odeur de la mer. C’est une petite tasse de café au balcon, café grillé maison et chauffé à la Bialetti. Naples n’est qu’un rêve, une Illusion… »

© Jean-Louis Fernandez

Eduardo de Filippo, l’écrivain aux cinquante-cinq pièces, fait partie des personnages et déclenche ses jeux d’illusionniste et de magicien, posant une réflexion sur le théâtre. Faire du théâtre, sacrifier sa vie… « Nous sommes en quête d’auteur ! » clament les comédiens dans un clin d’œil à Luigi Pirandello, évoquant la rencontre entre le créateur et l’équipe, le créateur et sa créature. On y trouve des extraits de La Grande Magie « Un personnage a sa vie propre » dit le poète. « Je me prête à des expériences conduites par un autre prestidigitateur. Le temps n’existe pas. Le temps c’est toi… » Une petite fille en robe blanche évolue au son de la chanson de Jacques Douai File la laine. « Un vilain rêve me revient… » dit un personnage. Un autre apparaît à la fenêtre, au loin, dans les étages. Un autre chante. Le charme opère. « Comment oublier… Regarde-moi. » Diverses anecdotes se croisent à travers les extraits des textes choisis. Une actrice rêve et raconte le sacrifice de l’agneau, un couteau à la main. L’agneau et l’enfant blond se superposent. Le mendiant devient une fontaine, la fontaine est de sang, la femme se réveille, en transes. Il y a des chants aux inflexions expressives et des danses, il y a des rires. « Femme, je t’aime et je te hais. Je ne peux t’oublier. » Il y a Philomena et l’hiver qui claque des dents. « Il me semble que vous pleuriez sans larmes… » Le sol devient violet, comme la mer : Est-ce la mer ou le mur de ta chambre… ? Mouettes, bruits des vagues, apparitions, ombres. Des chants, un châle couleur vieux rouge, des rythmes. Tous dansent dans la théâtralité de Naples.

Ce spectacle aux étoiles présenté dans la cour Lefuel, comme l’exposition dans la Grande Galerie, fait vivre les imaginaires de la ville. Il remet sur le devant de la scène les textes d’Eduardo de Filippo (1900/1984) dont les pièces ont été traduites et montrées en France tardivement, selon sa propre décision. D’autres propositions sont faites dans le cadre des Étés du Louvre et les différents espaces du musée : concerts sous la Pyramide, Cinéma Paradiso avec projections de films dans la Cour Carrée, chorégraphies dans la Cour Lefuel ; dans les espaces hors Musée, comme le Jardin des Tuileries, voisin, sont proposées des activités à faire en famille. Le musée du Louvre se désacralise et cherche à développer des rencontres avec tous types de public. C’est de la volonté de Laurence des Cars, présidente-directrice du musée et de Luc Bouniol-Laffont, directeur de la programmation culturelle conçue et mise en œuvre par la direction de l’Auditorium et des Spectacles du Musée, un geste fort vers plus de démocratisation culturelle et une invitation à rêver dans ce lieu unique au monde, maison des artistes vivants ouverte à tous.

Brigitte Rémer, Paris le 10 juillet 2023

Spectacle Les Fantômes de Naples, avec les acteurs formés dans les écoles du Teatro della Pergola de Florence : Mariangela D’Abbraccio, Francesco Cordella, Ernesto Lama – la chanteuse : Lina Sastri – le musicien :  Filippo D’Allio (guitare et percussions) – les acteurs de la troupe du Théâtre de la Ville : Marie-France Alvarez, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Serge Maggiani – le musicien  Arman Méliès (guitare électrique) – Dramaturgie Marco Giorgetti, traduction Huguette Hatem – Pour la déambulation poétique : Camille Dugay, Nadia Saragon, Sebastiano Spada, Lorenzo Volpe. Acteurs italiens formés dans les écoles du Teatro Della Pergola et des artistes de la Troupe de l’Imaginaire du Théâtre de la Ville – coproduction musée du Louvre / Théâtre de la Ville- Paris / Teatro della Pergola – Florence.

Vu le 29 juin 2023 au musée du Louvre – Les Étés du Louvre se poursuivent jusqu’au 20 juillet 2023 – site : www. louvre.fr ou fnac.com – tél. :  01 40 20 55 00.

Futur proche

© Filip Van Roe

Chorégraphie Jan Martens, avec l’Opera Ballet Vlaanderen – Musique Pëteris Vasks (1946), Janco Verduin (1972), Graciane Finzi (1945), Anna S. Þorvaldsdóttir (1977), Erkki Salmenhaara (1941), Aleksandra Gryka (1977) – Clavecin, interprétation in situ Goska Isphording – à la Grande Halle de La Villette, dans le cadre de la saison Théâtre de la Ville/hors les murs.

Assis sur un très long banc, bel objet scénographique, les danseurs font face au public. Devant eux, la claveciniste et son majestueux instrument regardent aussi les spectateurs. Sur cet imposant plateau de la Grande Halle, le clavecin semble petit, mais le son lui, ne l’est pas, son amplitude est éblouissante. L’instrument est exploré dans toutes ses tonalités extravagantes et configurations jamais entendues.

Jan Martens s’est passionné pour le clavecin en regardant et en écoutant la grande interprète Elżbieta Chojnacka – née à Varsovie en 1939, disparue à Paris en 2017 – qui a inspiré les plus grands compositeurs contemporains, dont Ligeti, Xenakis, Górecki et d’autres. Il lui avait rendu hommage en juillet 2022 au Théâtre de la Ville, dans un solo qu’il chorégraphiait et dansait, Elisabeth Gets her way. C’est Goska Isphording qui, dans Futur proche, est au clavier et emporte magnifiquement danseurs et spectateurs. Des images vidéo la montrent, à un moment donné, jouant avec virtuosité et passion. L’image, vue du ciel, est impressionnante.

© Filip Van Roe

Après une introduction musicale, les danseurs se lèvent au fur et à mesure et se préparent comme dans le vestiaire d’un terrain de sport avant échauffement, déshabillage et habillage. Ils entrent dans les rythmes complexes de la partition, individuellement ou à plusieurs, puis par grappes, les bras en sémaphores, le corps syncopé. Marches, glissements et pirouettes, s’inscrivent dans l’espace. Demi-pliés, grands pliés. Un cercle de lumière apparaît. Une caméra capte des images. Les danseurs interprètent les propositions musicales, du lent au plus rapide, du calme à l’agité. La troupe parfois se rassemble pour un mouvement collectif ou en décalé. Des images s’affichent sur le manteau de scène, ainsi qu’un texte parlant d’environnement et d’écologie, sujet vital sur lequel le chorégraphe se penche aujourd’hui.

Plus avant dans le spectacle, les bancs se sont renversés, les danseurs ont apporté un à un des seaux d’eau. Puis une chaîne s’est formée pour ce passage d’eau de main à main, dans une multitude de seaux multicolores. Ils ont ensuite versé ces litres d’eau déposés, seau après seau, dans un grand bac qu’ils ont fabriqué et qui ressemble à un puits. Ils retirent shorts et bermudas, et en maillots de bain pénètrent dans l’eau, quatre par quatre, puis se sèchent après avoir pris chacun une serviette. L’image finale est forte : sur un bruissement de la forêt et une vidéo qui se morcèle, projetée sur les danseurs, on se trouve face à un monde défait et à une image climatique de mort.

Futur Proche a été créé en juillet 2022 dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, avec l’Opera Ballet Vlaanderen où Jan Martens chorégraphe-phare de la scène belge, est artiste associé. Depuis une bonne dizaine d’années il a monté plus de vingt spectacles et énonce ici, par les dix-sept magnifiques danseurs dont deux jeunes, son inquiétude en termes de changements climatiques, de pandémies et de guerres. En même temps il table, pour le futur, sur la jeunesse comme promesse de réveil et de renouveau. Le grand écart qu’il propose, sorte de défi entre un instrument baroque et aristocrate, le clavecin, face au message et à la danse portés par les jeunes d’aujourd’hui, est un pari risqué, mais réussi.

Brigitte Rémer, le 13 mai 2023

© Filip Van Roe

Avec les danseurs de l’Opera Ballet Vlaanderen :  Zoë Ashe-Browne, Viktor Banka, Tiemen Bormans, Claudio Cangialosi, Morgana Cappellari, Brent Daneels, Matt Foley, Misako Kato, Nicola Leahey, Ester Pérez, Taichi Sakai, Niharika Senapati, Paul Vickers, Rune Verbilt, James Vu Anh Pham, Kirsten Wicklund – En alternance, les jeunes danseurs : Merel Amandt, Gaiane Caforio, Caroline Gratkowksi, Elodie Grunewad, Tito Zwaluw Janssens, Lisse Vandevoort. Scénographie Joris van Oosterwijk – création lumière Elke Verachtert – costumes Jan Martens, Joris van Oosterwijk – vidéo Stijn Pauwels – son Brecht Beuselinck – dramaturgie Tom Swaak – répétitrice de danse Tara Jade Samaya – conseils artistiques Carolina Maciel de França, Rudi Meulemans, Marc Vanrunxt,

Du 26 au 28 avril 2023, Grande Halle de La Villette, 211 avenue Jean-Jaurès. 75019, Paris – métro : Porte de Pantin –  site :  www.lavillette.com et www.theatredelaville-paris.com

Focus Afghanistan – L’exil en partage

© Théâtre de la Ville

Manifestations culturelles et artistiques dans le cadre du Focus Afghanistan l’exil en partage, au Théâtre de la Ville-Espace Cardin. « Tout au long du mois de mars, nous accueillerons la diversité et la vitalité de la jeune création contemporaine afghane qui, au fil de l’exil, continue de se réinventer et de porter des voix puissantes et bouleversantes » avait annoncé Emmanuel Demarcy-Mota, son directeur.

Le coup d’envoi a été donné le 8 mars au cours d’une rencontre-débat-projection, modérée par Emmanuel Laurentin de France Culture, partenaire de la manifestation, sur le thème : « Le difficile combat des femmes : pain, travail, liberté. » Kubra Khademi, artiste et performeuse, Caroline Gillet, documentariste notamment pour la radio, Khojesta Ebrahimi, auteure et Manoushak Fashahi, productrice, y ont parlé du courage des femmes afghanes, de leurs luttes et de leur capacité de résistance.

Photographies, spectacles, performances, projection de film et débats ont été programmés dans le cadre du Focus et montre l’engagement et le courage des artistes : « The Golden Horizon », une performance de Kubra Khademi, met en lumière son énergie et son impertinence pour avoir osé intervenir dans l’espace public, à Kaboul. Arrivés en France comme mineurs isolés, Daniel Nayebi et Zobaïr Noori ont suivi à Rennes des ateliers de théâtre et de danse avec Cédric Cherdel, danseur-chorégraphe  Ils lui ont demandé de les accompagner dans la présentation de leur performance dansée et musicale. « Daniel et Zobaïr » est le titre de leur spectacle. La projection du long métrage de Siddiq Barmak, « Osama » produit en Afghanistan après la chute des Talibans, a été suivie d’une rencontre avec le réalisateur, animée par Manoushak Fashahi. Les photographies de Morteza Herati, Zahra Khodadadi et Naseer Turkmani, arrivés en France en août 2021 quand les talibans ont repris le pouvoir, sont montrées par Khoda Hafez sous le titre « L’Afghanistan au-delà des frontières. » Elles témoignent des traces et de la mémoire du pays et, au-delà des frontières, interrogent son devenir.

Dans le Focus Afghanistan, tout est vital, tout est cri. Je rends compte ci-après de deux des spectacles auxquels j’ai assisté.

« Marjan Le dernier Lion d’Afghanistan » Spectacle de marionnettes tout public est un conte initiatique inspiré d’une histoire vraie, présenté par Abdul Haq Haqjoo et Farhad Yaqubi, sous le regard de Guilda Chahverdi pour le texte et de Mélanie Depuiset pour la mise en scène. Contraints de laisser leurs marionnettes derrière eux, les deux conteurs-manipulateurs les ont reconstruites pour reprendre et réinventer leur spectacle. Ils retracent avec fantaisie et passion l’histoire mouvementée et douloureuse du pays. Cela débute à l’aéroport de Paris où deux voyageurs arrivant de Kaboul récupèrent leurs bagages sur le tapis roulant. Un bruit suspect sourd d’un paquet et attire leur attention. Ils l’ouvrent et déplient un long personnage-marionnette qui se présente comme le gardien du zoo de Kaboul et le père de Marjan le Lion, roi du zoo. Sur la défensive, l’homme a embarqué en cachette. Quand il comprend qu’il se trouve en présence de deux compatriotes, il devient convivial et partage le thé. Il raconte son histoire. Une carte du monde dessinée sur un drap se déplie et montre les nombreux pays qu’il faut passer avant d’atteindre l’Afghanistan.

© Théâtre de la Ville

Posés sur un praticable central et sur des tables mobiles recouvertes de velours noir, une série de marionnettes de petite taille vont habiter l’espace, têtes de papier mâché bien sympathiques posés sur des sacs remplis de sable qui forment le corps. On est au zoo de Kaboul, avec l’ours, la girafe, le chacal, la chouette, l’éléphant et la huppe dite Plume d’or, maitresse des lieux. Les deux voyageurs, Abdul Haq Haqjoo et Farhad Yaqubi font vivre l’histoire, ils en sont les acteurs-conteurs, très expressifs, et les habiles manipulateurs. Branlebas de combat, le lion arrive au zoo – marionnette aux pattes articulées, dépassant légèrement en taille les autres animaux qui oscillent entre l’accueil et la peur de cet étranger. Il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre et « tout le monde veut être chef. » Mis en quarantaine et rempli de tristesse, le voilà qui se métamorphose à l’arrivée de Choucha, une jeune lionne. Après s’être lentement apprivoisés et avec la douce attention de chacun, lion et lionne célèbrent leurs noces en musiques et en danses. « Un mariage arrangé qui tourne bien ! » dit le narrateur. « Vive Choucha, finis le patriarcat … » joli moment où le couple animal signe le registre et où il porte des couronnes de fleurs et de lumière, où le moment s’immortalise par des photos.

Mais la réalité les rattrape entre la guerre civile – les Afghans contre les Afghans – et le retour des Talibans, à vrai dire jamais vraiment partis, la présence russe – « ceux qui ont découpé le pays pendant dix ans », et le monde qui gronde. Leur pain quotidien : se couvrir le visage, être interdit de vote, avoir peur, entendre des salves de mitraillettes. Partisan de l’égalité pour tous, l’éléphant s’engage le premier, il est abattu. La girafe en est très chagrin, un chant de deuil s’élève. D’autres animaux suivent. Les bâtiments sont détruits, figurés ici par de petites palissades blanches, les remparts de la ville. Marjan est torturé. Blessé, tous l’entourent. Mais à la mort de Choucha, lâchement abattue, Marjan ne mange plus pendant des semaines. Le zoo est menacé de fermeture. La chouette ne veut plus bouger : « ici est ma vie… » La guerre finie, tout est interdit, même la musique. « Porte ça ! » et on lui jette à la figure un tissu. Les animaux ont faim, ils mendient : « 1 euro pour manger ! » Les visiteurs leur jettent des pierres. Le grand personnage-marionnette du début, le gardien du zoo, revient. La boucle est bouclée. Retour en France, à l’aéroport. On refait le chemin inverse d’Afghanistan en France, passant par de nombreux pays… « Passe… le Mont Olympe, passe… les Alpes… Passe…» « Où que je sois, mon pays jamais ne me quittera. Il va là où je vais. »

Symbole afghan des conflits, Marjan Le Roi Lion est un magnifique spectacle, par la fluidité des langues, Abdul Haq Haqjoo et Farhad Yaqubi s’exprimant majoritairement en français, avec quelques apartés et exclamations dans leur langue, le dari. Les acteurs-manipulateurs interprètent en direct toutes les voix et font vivre leurs personnages avec une précision du mot et du mouvement. Par les animaux ils appellent la parabole. Comme eux, ils sont cette rage de vivre.

« La Valise vide » – Le texte, signé du dramaturge afghan Kaveh Ayreek, mis en scène et traduit du dari par Guilda Chahverdi, parle d’un retour en Afghanistan et fait entendre le lien intime d’un individu à sa terre, jusque dans ses silences. Exilé en Iran un jeune couple décide en 2010 de rentrer au pays, contre l’avis même de leurs familles. Il croit en sa reconstruction et en ses forces vives. Leur Afghanistan est fantasmé, ils n’en ont que les beautés en tête : les jardins de grenades, les bouddhas de Bamiyam – aujourd’hui effacés -, la citadelle d’Herat, la Rivière de Kaboul qui apaise toutes les soifs, les jardins spirituels, les raisins toutes couleurs, plus d’une centaine d’espèces, gonflés et juteux, les melons et les miels. « La terre n’a pas d’importance, seule importe la pensée. » La jeune femme replie la maison avec délicatesse en nouant dans une étoffe ce dont ils auront besoin comme la vaisselle et ce qui leur est le plus précieux comme l’ours ou la robe rouge. Elle ne lâche pas son tournesol bienaimé qui sera du voyage, « ma vie est liée à cette fleur » dit-elle.

© Théâtre de la Ville

Arrivés à Kaboul après un voyage qui déjà aurait pu semer le doute, leur vie tente de se recomposer lentement. « Maintenant on a un pays » pensent-ils naïvement, même si « un homme pieux ne sourit pas » leur dit-on, à titre d’accueil. La recherche d’appartement se révèle infructueuse, ils s’installent dans la vieille maison familiale dégradée où il n’y a ni eau courante ni électricité. Tout est à faire et ils s’y attellent. « Les bougies c’est si romantique… » dit la jeune femme essayant de transformer la situation en positif. Mais un jour, on leur donne deux heures pour quitter la maison qui commençait à reprendre forme et vie, une sommité talibane ayant réquisitionné toute la rue pour s’y installer. Les loups sont dans la ville, ces hommes aux turbans blancs, kalachnikov à la main. Et chaque pas, chaque tableau, conduit vers plus de violence et d’incompréhension, dans la spirale des mensonges d’un pouvoir arbitraire sur cette terre des dieux. La gestuelle devient hachée, la peur s’empare d’eux. « Combien de vies as-tu ? » C’est un hiver de neige.

Pluie, bruits, montagnes inhospitalières, train, coups de crosse donnés sans raison, massacres. La peur monte, le doute aussi. Lui commence à changer, jusqu’à ce qu’elle ne le reconnaisse plus. Il se met à peindre de façon compulsive. Ses cauchemars sont des hommes à tête de loups, comme des monstres. Elle raconte sa métamorphose : « Il ne mangeait plus, ne buvait plus, ne me touchait plus, il n’y avait plus ni jour ni nuit, il marchait. » Vêtue de sa robe rouge du passé, elle tente la douceur et de le raisonner. Mais il est devenu loup. « Il allait acheter le pain, le pain avait le goût du sang » dit-elle en plein désarroi. Lui, dévorait les journaux et jetait le pain. Elle, commençait à avoir peur de tout et à désirer la mort. Dans les journaux il trouve, ou croit reconnaitre, ses peintures et s’engage dans une crise aiguë de paranoïa qui se retourne contre elle. « Tu as trahi mon art ! » l’accuse-t-il. « Je pars demain » trouve-t-elle la force de murmurer « plus rien ne nous lie à ce lieu. » L’image finale est à l’opposé de la première, étrangers l’un pour l’autre face au public, chacun porte sa valise, une valise pour deux suffisait, à l’aller. Magnifiquement porté par l’actrice Alice Rahimi et l’acteur Shahriar Sadrolashrafi, le récit met en scène la tragédie au plan personnel et la destruction de l’individu, avec beaucoup de sensibilité et de pudeur. La mise en scène signée de Guilda Chahverdi donne à l’ensemble une grande intensité.

Programmé par le Théâtre de la Ville, le Focus Afghanistan est un moment rare de partage et qui permet de mettre l’art et les artistes afghans sur le devant de la scène. C’est une magnifique initiative pour parler de la complexité d’un pays, pays en guerre depuis tant de temps et dont les forces vives restent aux aguets.

Brigitte Rémer, le 2 avril 2023

Marjan Le dernier Lion d’Afghanistan : Fabrication des marionnettes et interprétation Abdul Haq Haqjoo et Farhad Yaqubi – mise en scène Mélanie Depuiset – texte Guilda Chahverdi – création sonore, musique Julie Rousse – scénographie Anaïde Nayebzadeh.

La Valise vide : Texte Kaveh Ayreek,  mis en scène et traduit du dari par Guilda Chahverdi – Avec : Alice Rahimi et Shahriar Sadrolashrafi – assistanat à la mise en scène Laurent Dimarino – lumière, vidéo Camille Mauplot – musique Julie Rousse – scénographie, costumes Anaïde Nayebzadeh – régie générale  Loïs Simac – dessin Latif Eshraq – images prises en Aghanistan : Aziz Hazara, Zakir Mandegar.

Du 8 au 25 mars 2023,  Focus Afghanistan l’exil en partage, au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, 75008. Paris – métro : Concorde – tél. : 01 42 74 22 77 – site : theatredelaville-paris.com

Le Moine noir

© Krafft Angerer

D’après la nouvelle d’Anton Tchekhov – texte, mise en scène et scénographie Kirill Serebrennikov – spectacle en allemand, anglais, russe et français, surtitré en français et anglais, au Théâtre du Châtelet, dans le cadre de la programmation Théâtre de la Ville/hors les murs.

Tchekhov écrit Le Moine noir en 1893, peu après un voyage à Sakhaline, ancien bagne des tsars puis goulag sous Staline, dans l’Extrême-Orient russe. On trouve trace de ces extrêmes dans son texte qui relève du fantastique ainsi que dans la mise en scène de Kirill Serebrennikov.

Trois serres à la structure légère faites de bois et de plastique sont posées côte à côte. Portes ouvertes on peut regarder à l’intérieur. Côté jardin quelqu’un y joue du saxophone, plus tard du piano, c’est le propriétaire des lieux, Pessotzki dans la nouvelle, appelé Le Vieux dans l’adaptation théâtrale (Bernd Grawert). Tania, sa fille, virevolte à ses côtés (Viktoria Miroshnichenko). Fou de nature et fier de son domaine de Borissovk, il célèbre sa forêt de peupliers, chênes et tilleuls ; ses vergers d’arbres fruitiers en espaliers ; ses fleurs toutes couleurs, lys, roses, camélias et tulipes. Il parle de son travail, qu’il détaille selon les saisons.

© Christophe Raynaud de Lage

Dans les deux autres serres se trouvent les fleurs préférées de Tania, précieusement gardées, la terre et les graines déposées dans des sacs, et une dizaine d’hommes, sorte de captifs, voisins ou ouvriers agricoles en suspension. Ils se métamorphoseront au fil du spectacle en divers personnages et se révèlent être de magnifiques choristes. Leurs polyphonies, savantes et mystiques, de même que l’expressivité de leur gestuelle emplissent la scène. Ils sont comme la conscience de Kovrine.

L’écrivain en effet arrive au domaine en fin de soirée, invité par Tania et dont elle semble éprise, et par son père qui le considère comme un fils adoptif. Elle lui fait visiter les terres. Tous deux se frayent un chemin à travers les fumées des brasiers de fumier et de paille où l’on aperçoit les ouvriers comme des ombres à travers le rideau opaque. Et Kovrine, inquiet et crépusculaire, demande à Tania à maintes reprises, comme une réminiscence : « C’est quoi cet arbre ? » – « Un orme » – « Pourquoi est-il si sombre ? » – « La nuit tombe, tous les objets paraissent sombres » – « Alors, je suis fou ? » Les déplacements des personnages sont filmés à partir de caméras discrètement installées et du mobile de Kovrine qui n’a de cesse de capter en gros plans les visages, peut-être de graver le sien, images projetées en hauteur, sur des cadrans de bois.

La pièce est construite en quatre parties qui remettent chacune sur le métier l’ouvrage et qui, reprenant la situation à son point de départ avec les mêmes mots, s’enfonce un peu plus dans la folie du personnage, son « seul chemin. » Trois excellents acteurs interprètent à tour de rôle le rôle de Kovrine dans les trois premiers actes, ils sont tous les trois présents dans le quatrième, avec la même subtilité et énergie, (Mirco Kreibich, Filipp Avdeev, Odin Lund Biron). En même temps rien ne se ressemble et le public est pris dans le tourbillon des dédoublements et des visions. Tania de même se transforme et devient La Vieille Tania (Gabriela Maria Schmeide) puis Varvara.

© Christophe Raynaud de Lage

Souhaitant assurer la transmission de son domaine, Le Vieux propose à Kovrine d’épouser sa fille, ce qu’il accepte, dans une excitation démesurée proche du délire. Petit à petit ses réactions se décalent et il perd pied jusqu’à des paroxysmes d’hallucinations. « Que suis-je pour toi ? » demande-t-elle. Il raconte sa vision : « Il existe une légende. Je ne me souviens pas si je l’ai lue ou entendue. Il y a mille ans, un moine vêtu de noir, errait dans le désert, quelque part en Syrie ou en Arabie… A quelques lieues de l’endroit où il marchait, des pêcheurs ont vu un autre moine noir se déplacer lentement à la surface du lac. Ce deuxième moine n’était qu’un mirage. Un mirage en a fait apparaître un autre, puis un troisième… Et ainsi de suite à l’infini. » Hanté par cette image et passant de l’exaltation à la folie, Kovrine rencontre le Moine noir errant (Gurgen Tsaturyan) qui se présente comme étant un élu dont la mission est de sauver l’humanité, il s’identifie à lui. Les soins qui lui sont prodigués le font chuter un peu plus bas quand il constate qu’en se rapprochant de la normalité, il perd tout enthousiasme : « La liberté n’est peut-être qu’une illusion, mais n’est-il pas préférable de vivre d’une grande illusion ? » dit-il. Plus tard, dans son échange avec le Moine noir : « A quoi penses-tu ? » – « A la gloire » – « La gloire n’est qu’un jeu futile… »

© Krafft Angerer

Le spectateur entre dans la vision de chacun des personnages comme par effraction et son regard devient kaléidoscopique. Chaque partie apporte un bouleversement de l’espace et de la scénographie jusqu’à ce que les serres se trouvent retournées et sens dessus dessous, dans le chaos général de la folie. Comme si la focale de notre œil se décalait et que nous perdions nos repères dans la diffraction de la raison et de l’effet phosphènes. Quand le choeur des moines se déploie comme des derviches, magnifique dernier tableau, certaines architectures du plateau et l’ordonnancement de la gestuelle évoquent, dans l’esprit comme dans la forme, le constructivisme.

Opposant à Poutine, Kirill Serebrennikov avait été contraint, en 2021, de quitter le Centre Gogol de Moscou qu’il dirigeait depuis 2012 et qui était devenu un des hauts lieux de la création contemporaine. Frappé d’une interdiction de quitter son pays pendant deux ans il a finalement pu partir en mars 2022. Il vit en exil, à Berlin. Le spectacle a été créé l’été dernier à Avignon. Avec Le Moine noir, c’est la quatrième fois que le metteur en scène est invité au Festival d’Avignon, la première fois dans la Cour d’Honneur. Il avait présenté par le passé : Les Idiots d’après Lars Von Trier, en 2015 ; Les Âmes mortes d’après Nikolaï Gogol, en 2016, Outside en 2019, en son absence, spectacle qui évoquait la vie du photographe chinois Ren Hang, artiste inquiété par les autorités chinoises compte tenu du caractère cru de ses photographies et qui en 2017 s’est jeté du haut de son immeuble. Kirill Serebrennikov est aussi réalisateur et a marqué le dernier Festival de Cannes avec son film La Femme de Tchaïkovski.

© Christophe Raynaud de Lage

Avec Le Moine noir – spectacle pensé bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et qui inscrit en lettres blanches à la fin du spectacle, Stop War – le metteur en scène place son geste de mise en scène entre les racines du théâtre et le cosmos. Pour cette production européenne, portée par le Thalia Theater basé à Hambourg, il s’est entouré d’une équipe internationale : techniciens et acteurs russes et allemands ; acteurs lettons ; chanteurs et danseurs d’origines diverses, tous magnifiques. Il a pressé la nouvelle de Tchekhov pour en extraire la pensée surnaturelle et ésotérique et l’a démultipliée en même temps qu’il nous fait pénétrer dans la parabole du Moine noir, le chaos et la folie de Kovrine. Derrière l’incandescence du personnage et l’absolu recherché, Kirill Serebrennikov met en exergue la fragilité des êtres et  leur vulnérabilité. « Je suis un arbuste. J’ai consacré tant d’énergie pour vivre… » dit Kovrine. « Tout homme devrait se satisfaire de ce qu’il est… Si tu m’avais cru jadis, quand tu étais un génie, tu n’aurais pas vécu ces deux années si tristes et misérables… » lui dit le Moine. Tout est ici magnifiquement élaboré, retranscrit, réalisé et chorégraphié.

Brigitte Rémer le 25 mars 2023

Avec : Filipp Avdeev, Odin Lund Biron, Bernd Grawert, Mirco Kreibich, Viktoria Miroshnichenko, Gabriela Maria Schmeide, Gurgen Tsaturyan – Avec les chanteurs : Genadijus Bergorulko (baryton), Pavel Gogadze (ténor), Friedo Henken (baryton), Vitalijs Stankevics (baryton) – Avec les danseurs Tillmann Becker, Viktor Braun, Andrey Ostapenko, Mark Christoph Klee.

Assistante personnelle Kirill Serebrennikov Anna Shalashova  – assistante mise en scène Olga Pavliuk – collaboration à la mise en scène et chorégraphie Ivan Estegneev, Evgeny Kulagin – musique Jēkabs Nīmanis – direction musicale Uschi Krosch – arrangements musicaux Andrei Poliakov – dramaturgie Joachim Lux – lumière Sergey Kucher – vidéo Alan Mandelshtam – costumes Tatiana Dolmatovskaya – assistanat à la mise en scène Camille Ferraz – traduction français des surtitres Daniel Loayza, Macha Zonina – traduction en allemand Yvonne Griesel – souffleuse Margit Kress – directeur technique Olivier Canis. Production Thalia Theater Hambourg – avec le soutien du Gogol Center de Moscou – coréalisation Théâtre de la Ville/Paris – Théâtre du Châtelet, dans le cadre des saisons du Théâtre du Châtelet et du Théâtre de la Ville hors les murs.

Du 16 au 18 mars 2023 à 20h, dimanche 19 mars à 15h – Théâtre du Châtelet, 1 place du Châtelet, 75001. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com et www.chatelet.com Du 16 au 19 mars. Spectacle en allemand, anglais, russe, surtitré en français.

Le Théorème du pissenlit

© Christophe Raynaud de Lage

Théâtre de récit et d’objets animés – Texte Yann Verburgh – mise en scène Olivier Letellier – Les Tréteaux de France, Centre dramatique national itinérant – au Théâtre de la Ville/Les Abbesses, dans le cadre du Parcours Enfance Jeunesse.

Le Théorème du pissenlit, ce sont deux actrices et trois acteurs, dont un jongleur en diabolo – qui joueront de manière indifférenciée les rôles de filles et de garçons – face à un auteur, Yann Verburgh, qui au fil des improvisations, a mis en mots le spectacle sous forme de récit choral et de dialogues. Cette écriture au plateau ouvre sur l’enfance ici et ailleurs, une enfance confisquée ; sur le travail et la consommation, sur la liberté, sur nos sociétés et sur la mémoire. En vis-à-vis, sa traduction scénique, réalisée par Olivier Letellier, apporte une poétique du plateau où les éléments se construisent et se déconstruisent avec la fluidité des imaginaires. Constituée de caisses de plastique gris qui s’emboîtent les unes dans les autres tel des lego(s), la scénographie (de Cerise Guyon), renforcée par la chorégraphie et la mobilité des acteurs (coordonnée par Thierry Thieû Niang), invente des paysages de montagne et de ville, de rivière, des volumes et des espaces, de la rêverie, une vision décentrée.

© Christophe Raynaud de Lage

D’un bout du monde à l’autre, des ponts se dessinent entre les objets fabriqués d’un côté et ceux consommés, de l’autre. C’est à partir d’un jeu reçu par un enfant pour son anniversaire, qui découvre à l’intérieur de la boîte une lettre qui le trouble, signée d’une inconnue, Li-Na. Elle devient son énigme et son guide imaginaire pour la construction d’une histoire d’absence, de liberté perdue, de chaîne de travail, là d’où vient son jeu. Il remue ciel et terre pour tenter de la décoder, de la boutique au port, de la mairie à l’agence de presse, mais le monde est sourd. Des graines de pissenlits s’échappent de la lettre, symbole d’une liberté espérée.

Deux récits se superposent : ici, le temps qui s’écoule est un marqueur de l’histoire qui se construit sous nos yeux, à partir de l’anniversaire – le lendemain, deux jours après, neuf jours plus tard – là-bas, on découvre le Pays-de-la-Fabrique-des-Objets-du-Monde où Li-Na et Tao vivent avec les anciens dans un environnement montagnard, libres et proches de la nature, leurs parents partis travailler à la ville. Pour Tao, la fin de l’insouciance sonne à treize ans, comme une initiation à la vie. Il doit quitter le village pour aller travailler et disparaît, laissant Li-Na sans nouvelles.

Un beau jour, n’en pouvant plus, Li-Na part à sa recherche. Son chemin est périlleux, initiatique aussi, elle fait naufrage et après de nombreuses péripéties, découvrant le monde, finit par retrouver son ami. Tao travaille à l’assemblage des jeux, dans une usine, en faisant les trois huit. Elle n’hésite pas à s’y faire engager, pour l’approcher. Frappé par la maladie de l’oubli, Tao ne la reconnaît pas. Le travail à la chaîne est plus que sauvage, il est destructeur, inhumain, cruel et uniforme et les contremaîtres y sont d’horribles aboyeurs. Les caisses de la scénographie sont devenues des postes de travail. Ne pas parler, ne pas s’arrêter, ne pas se tromper, telle est la devise de l’usine. Le tapis roulant y est impitoyable et la moindre faute vous place au bord du vide et de la fosse – appelée grande gueule – dans laquelle les jeux défectueux sont broyés et l’employé pris en défaut, jeté avec. Le conditionnement des employés est total. Comme tous, Li-Na devient machine, jusqu’au jour où elle en décide autrement et arrête la chaîne. Elle appelle alors chaque enfant-ouvrier non par son matricule mais par son nom et organise l’insurrection. Une expédition punitive la conduit au bord de la grande gueule dans laquelle Tao l’empêche de tomber. Tous les employés se rebellent et montent sur le toit de l’usine. C’est là qu’elle écrit sa lettre et qu’elle la place dans un jeu, pour crier devant le monde les conditions de travail de ceux qui les fabriquent.

© Christophe Raynaud de Lage

Neuf jours plus tard, ici, la maitresse lit la lettre et les enfants découvrent le monde qui se trouve derrière les jeux. Armés de leurs copies doubles et stylo quatre couleurs, perchés sur le toit de l’école et touchant le ciel, ils y répondent et vont la recopier à l’infini pour l’introduire dans chaque boîte de jeu. Comme des lanceurs d’alerte, ils accompagnent cette révolte des pissenlits. Sur la fenêtre de l’école, de petits soleils jaunes rappellent l’histoire, tandis que là-bas, le vent se met à rugir, dévalant les falaises et emportant l’usine. Et l’usine disparaît, laissant place à un immense champ de pissenlits.

Parti de l’histoire vraie des enfants de l’arrière, en Chine, Olivier Letellier et son équipe aborde la question du travail des enfants, celle de la désobéissance et de la conquête des libertés. Son parcours au cœur de la littérature jeunesse montre son intérêt et son talent pour la narration et la transmission, à travers des langages pluridisciplinaires. Avec Yann Verburgh, il est convaincu « qu’un geste poétique peut engendrer d’incroyables conséquences politiques » et que « l’imagination peut devenir outil de résistance. » C’est son projet, résolument tourné vers la jeunesse en tant que directeur des Tréteaux de France, centre dramatique national itinérant dont il assure la charge depuis l’été dernier, pour poursuivre son travail, comme il l’a fait depuis des années en dialogue avec différentes structures. Il avait obtenu le Molière du théâtre Jeune public, en 2010 et est artiste associé au Théâtre de la Ville depuis quatre ans.

Avec Le Théorème du pissenlit, entre les esprits de la rivière et les champs de dents-de-lion – autre façon de nommer le pissenlit – la fable s’adresse directement au spectateur en employant le tu et le place au coeur de l’intrigue par l’intermédiaire du chœur. Le monde adulte n’y est pas épargné. La discussion menée après la représentation entre les enfants-spectateurs et les acteurs-actrices, qui forment une belle équipe – Fiona Chauvin, Anton Euzenat, Perrine Livache, Alexandre Prince, Antoine Prud’homme de la Boussinière – a montré que si on n’écrit pas l’histoire de ces enfants, pleine d’inhumanité, ils n’existent pas. Le travail de la mémoire devient essentiel, car si l’on perd la mémoire, on n’existe plus.

Brigitte Rémer, le 15 mars 2023

avec : Fiona Chauvin, Anton Euzenat, Perrine Livache, Alexandre Prince, Antoine Prud’homme de la Boussinière et la voix de Marion Lubat – assistante à la mise en scène Marion Lubat – création lumières Jean-Christophe Planchenault – création sonore Antoine Prost – assistant son Haldan de Vulpillières – scénographie-accessoiriste Cerise Guyon – accessoiriste, régisseuse plateau Elvire Tapie – costumes Augustin Rolland – conseiller artistique Thierry Thieû Niang – régie générale Célio Menard – régisseurs lumière en alternance Arthur Michel, Jean-Christophe Planchenault – régisseurs son en alternance Haldan de Vulpillières, Célio Menard, Arnaud Olivier – régisseurs plateau en alternance Brahim Achhal, Elvire Tapie.

Du 14 au 18 mars, au Théâtre de la Ville/Les Abbesses, 31 rue des Abbesses. 75018. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : theatredelaville-paris.com – En tournée 2023 : 23/25 mars, Théâtre de la Manufacture, Nancy – 29 et 30 mars, Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône – 5/7 avril, Le Grand T, Nantes – 12/14 avril, Maison des arts de Créteil – l9/21 avril, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, CDN – 4 et 5 mai, Le Quai, CDN d’Angers – 11 et 12 mai, Le Canal, Théâtre du pays de Redon – 15 et 16 mai, Scène nationale Sud Aquitaine, Bayonne – 25 et 26 mai, Théâtre d’Angoulême, Scène Nationale – 1/3 juin, Théâtre de Lorient, CDN.

Sibyl

© Stella Olivier

Conception et mise en scène William Kentridge – Musique Nhlanhla Mahlangu et Kyle Shepherd – en anglais, zoulou, xhosa, sotho du sud, ndébélé du sud, surtitré en français – au Théâtre du Châtelet, dans le cadre des saisons Théâtre du Châtelet/Théâtre de la Ville hors les murs.

Artiste plasticien né à Johannesburg, William Kentridge est un grand dessinateur qui mêle à travers ses mises en scène de nombreuses formes d’art comme peinture, gravure, sculpture, vidéo, qu’il met en espace dans des actions chorégraphiées et musicales. Sur le rideau de scène, il écrit ici à la plume de ronde une page d’une belle graphie.

La soirée est construite en deux parties : la première, The moment has gone – concert piano, voix et film muetnous mène dans son atelier où par un jeu de caméras William fait face à Kentridge dans le trouble de son double. Il compose le tableau à coup de dessins charbonneux, d’éléments qu’il gomme et abîme, qu’il redessine, et soudain le tableau s’anime. Il réinvente une technique cinématographique d’animation, image après image, qu’il nomme l’animation du pauvre et élabore ses propres effets spéciaux. Tel un magicien, Kentridge transforme ce qu’il touche, le désintègre et le recompose – une machine à écrire, ou une feuille d’arbre -. Il travaille par fragments et donne un autre sens à ce qu’il recrée.

© Stella Olivier

La seconde partie, Waiting for the Sibyl, est un opéra de chambre en six courtes scènes qui a pour point de départ l’œuvre d’Alexandre Calder, à partir d’un Work in Progress de vingt minutes qu’il avait vu en 1968, à l’Opéra de Rome. Dans le spectacle, dix chanteurs-chanteuses et danseurs-danseuses sud-africains, costumé(e)s majestueusement, portent la partition chantée et musicale composée par Nhlanhla Mahlangu et Kyle Shepherd. Leurs psalmodies résonnent, les styles de danse se mêlent. Le livret est réalisé à partir d’un montage de textes – proverbes africains, citations collectées par Kentridge, poèmes de différentes sources, référence à Dante -. Les mots s’enroulent et se déroulent, apparaissent et disparaissent, ils sont comme des énigmes. Le ciel parle une langue étrangère et les feuilles d’arbres comme autant de pages arrachées aux livres, s’envolent. Dans la mythologie, Sibylle est une devineresse qui rend les oracles, mais les messages déposés auprès d’elle voltigent, prétexte pour Kentridge de jouer sur l’envol, la rotation, le cercle, la disparition. La prophétie de la Sibylle de Cumes sa référence ici parmi les douze sibylles, représentée par Michel-Ange sur la fresque du plafond de la Chapelle Sixtine, à Rome, énonce : « Cycle nouveau-né des ans écoulés, cycle parfait. La Justice reviendra sur la terre avec la Loi et le dieu Saturne. Du ciel sacré, vois sans effroi une race nouvelle… »

Projection, performance-live, musique enregistrée, danse et mouvement sont autant de pratiques servant le propos de mise en scène et jouant avec le sens de l’absence. Les ombres projetées décalent l’échelle des personnages et des objets. Les costumes aux formes géométriques et couleurs vives se rapprochent de l’univers d’Oskar Schlemmer, artiste du Bauhaus connu notamment par son Ballet triadique, un ballet sans action où la danse est déterminée par les costumes, pure innovation du début du XXème et qui a contribué au renouveau du théâtre. Fête de la forme et de la couleur, la stylisation des costumes chez Kentridge, comme chez Schlemmer, dialogue avec les formes et joue de la matière.

© Stella Olivier

Sous son fusain virtuose Kentridge dessine l’ombre poétique d’un arbre et disperse les effluves parfumés du vent, ses dessins sont des épiphanies, son théâtre est d’ombres et de crépuscule. Il y dénonce, depuis toujours, le colonialisme, l’apartheid et les injustices sociales. Il sait aussi se situer entre l’absurde et le non-sens, du côté du dadaïsme ou de la figure d’Ubu, symbole de la violence de la politique ségrégationniste de son pays. Il a étendu le champ des possibles en se formant au théâtre, à Paris, au début des années 80. Sa première pièce, Sophiatown dénonçait en 1986 les crimes de l’apartheid dans ce quartier de Johannesburg, sa ville. En 2018, The Head & the Load, montrait, à travers une grande fresque-performance, le lien entre la Première Guerre mondiale et le colonialisme. Il a conçu plusieurs créations d’opéra dont La Flûte enchantée de Mozart, Le Nez de Chostakovitch et Lulu d’Alban Berg, présentées au Metropolitan Opera de New-York et dans les grands théâtres d’opéras en Europe. Il a créé Wozzeck, de Berg, en 2017, au Festival de Salzbourg, qu’il a repris à l’Opéra de Paris en 2022 (cf. notre article du 25 mars 2022). Par le visible, Kentridge fait émerger l’invisible à travers son théâtre total, ses paysages de crayons, ses illuminations, et son univers sensible.

Brigitte Rémer, le 9 mars 2023

Avec Kyle Shepherd, Nhlanhla Mahlangu, Xolisile Bongwana, Thulani Chauke, Teresa Phuti Mojela, Thandazile ‘Sonia’ Radebe, Ayanda Nhlangothi, Zandile Hlatshwayo, Siphiwe Nkabinde, S’Busiso Shozi. Direction musicale et composition Kyle Shepherd – composition vocale et assistant à la mise en scène Nhlanhla Mahlangu – costumes Greta Goiris – décors Sabine Theunissen – lumières Urs Schönebaum – associée à la création lumière Elena Gui – design vidéo et montage Žana Marović – son Gavan Eckhart – cameraman Duško Marović – orchestration vidéo Kim Gunning – traduction et surtitrage Bernardo Haumont.

Du 11 au 15 février 2023 à 20h, dimanche à 15h, au Théâtre du Châtelet, place du Châtelet. 75001 – Paris – sites : theatredelaville-paris.com / chatelet.com

La Grande Magie

© Jean-Louis Fernandez

Texte Eduardo De Filippo, traduction Huguette Hatem – mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota – au Théâtre de la Ville/Espace Cardin, reprise du 3 au 8 janvier 2023.

Écrite en 1948, La Grande Magie fait partie de la Cantate des jours impairs, d’après la classification faite par l’auteur napolitain Eduardo de Filippo (1900-1984), de ses pièces écrites après-guerre, alors même que son regard sur le monde avait changé ; elle fait partie pour lui d’un second volet d’inspiration. Le premier, La Cantate des jours pairs, regroupe les pièces d’avant-guerre, dont Sik Sik, sa pièce fétiche, un texte court, écrit en 1929 et qu’il a joué tout au long de sa vie. Car, De Filippo est un enfant de la balle, formé à l’école de théâtre de son père, Eduardo Scarpetta, au jeu et à l’écriture, très tôt. Il écrit autant en italien qu’en dialecte napolitain et crée avec son frère et sa sœur un trio théâtral qui sillonne les routes de l’Italie et remporte très vite un grand succès. Leur notoriété dépasse ensuite les frontières. De Filippo joue tout ce qu’il écrit, toutes ses pièces, sur d’amples sujets liés à la société et son engagement politique et social est constant. Il s’inscrit dans la grande tradition du théâtre populaire, au même titre que Dario Fo.

© Jean-Louis Fernandez

Avec La Grande Magie, comédie en trois actes, De Filippo nous mène au Métropole, un hôtel de villégiature où la vie s’écoule lentement. Quand le passage du prestidigitateur Otto Marvuglia est annoncé, les pensionnaires se réjouissent. Mais l’honnêteté du magicien est toute relative et il accepte, pour quelques milliers de livres, de faire disparaître pendant un quart d’heure la femme de Calogero, Marta Di Spelta, pour qu’elle rejoigne son amant. Cette dernière joue le jeu et disparaît tandis que Marvuglia essaie de convaincre Calogero que l’absence de sa femme n’est qu’une illusion. Le magicien-manipuleur intervient dans son rapport au temps, par l’entremise de subterfuges et mensonges dignes de Pavlov ou du lavage de cerveau : « Votre femme n’était pas près de vous. Ne dites pas ça même pour plaisanter… Elle n’est probablement jamais venue à l’hôtel… Vous êtes seul ici nous n’avons jamais vu votre femme. » Quatre ans plus tard, les cheveux ont blanchi, Otto met en scène la réapparition de Marta, Calogero à moitié fou – n’ayant pas ouvert la boîte qui lui avait été remise et dans laquelle il était censé retrouver son épouse – n’entend pas et ne la reconnaît pas : « Qui est cette femme ? de quoi parle-t-elle ? »

À la mystification de l’auteur, Emmanuel Demarcy-Mota ajoute la sienne, celle du metteur en scène, en inversant les rôles du triangle infernal, mari, femme, amant. Calogero Di Spelta est interprété par Valérie Dashwood, ce n’est plus l’homme qui est trompé mais la femme, et son mari, interprété par Jauris Casanova, qui épouse le statut de son mari-trompeur. C’est une pièce aux nombreux personnages : clients de l’hôtel et faux-public autour (dans l’original) de Calogero et Marta Di Spelta, de Mariano D’Albino, amant de Marta ; faux clients de l’hôtel et faux-public autour d’Otto Marvuglia, professeur de sciences occultes et célèbre illusionniste (Serge Maggiani), et de Zaira nom de scène de sa femme, Mariannina, (Sandra Faure) chargée de gérer leur maigre budget et de la multiplication des petits pains : « Non mais vous vous rendez compte devant quel irresponsable nous nous trouvons et, pour mon malheur, je me trouve ? Il pense à une multiplication d’applaudissements et il ne pense pas qu’ici il y a une soustraction permanente d’argent… » dit-elle effrontément ; il y a l’Inspectrice, (Marie-France Alvarez), également l’amante du mari : « Dis donc, ami du soleil, ne joue pas les colombes effarouchées. Souviens-toi que la police sait tout… Monsieur a déposé une plainte circonstanciée… » Dans la maison de Calogero, troisième espace, il y a sa mère, son frère, sa sœur et son beau-frère, et dernier espace, celui des figurants tels que serviteurs, colocataires, agents de police, etc.

© Jean-Louis Fernandez

Avec La Grande Magie, on est dans une logique de simulation, de jeu de rôles, de théâtre dans le théâtre… « J’ai voulu dire que la vie est un jeu et que ce jeu a besoin d’être soutenu par l’illusion, qui à son tour doit être alimentée par la foi… » dit De Filippo. Pour lui, la réalité n’est rien d’autre que le fruit de notre imaginaire confirme le metteur en scène. On est proche de Pirandello qu’Emmanuel Demarcy-Mota connaît bien et dont il a monté entre autres Six personnages en quête d’auteur, même mise en abyme du théâtre et œuvre emblématique. Réalité, illusion, vérité, imagination, dans un cas comme dans l’autre. « Écoute-moi bien. Tu crois que le temps passe ? Ce n’est pas vrai. Le temps est une convention… Donc, le temps c’est toi » dit Otto, l’affabulateur.

Sur scène, un plateau tournant permet quelques tours de passe-passe entre les lieux, de la terrasse de l’hôtel à l’autel de la magie chez Otto, dans une ambiance de crépuscule, ou chez Calogero bordé d’un rideau vermillon (scénographie Yves Collet et Emmanuel Demarcy-Mota, lumières Christophe Lemaire et Yves Collet). La comédie humaine bat son plein dans cet univers de l’illusion sommes toutes ici assez sage et plutôt noir. La troupe du Théâtre de la Ville s’empare du sujet où se côtoient le vrai, le faux, l’absurde, la bêtise, l’identité et le tragique. Cela fait du monde sur le petit plateau de l’Espace Cardin. Le nœud central se joue surtout autour du duo Serge Maggiani qui interprète Otto, le magicien, de façon plus intériorisée que spectaculaire et gardant sa part de mystère ; et Valérie Dashwood Calogero femme, passant d’une élégante robe de soirée à un imperméable mastic et portant une petite valise (costumes Fanny Brouste) ; mais chaque acteur/actrice ajoute un peu de son grain de sel et de son huile sur le feu pour tendre vers un feu d’artifice, celui du retour de l’absent tant attendu, qui, chez Eduardo De Filippo, n’est qu’un pétard mouillé.

La Grande Magie est une pièce assez peu montée. Deux mises en scène ont fait date : celle de Giorgio Strehler au Piccolo Teatro de Milan en 1984, il la répétait au moment où Eduardo De Filipo disparaissait, et l’avait reprise en 1987 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, qu’il dirigeait ; celle du metteur en scène britannique Dan Jemmett, à la Comédie-Française, en 2009. Cette illusion permanente crée le trouble, piégeant aussi le spectateur entre fiction et réalité, mais ici, faute d’espace peut-être, la magie n’opère pas toujours et l’illusion reste incertaine.

Brigitte Rémer, le 2 janvier 2023

Avec la troupe du Théâtre de la Ville, Serge Maggiani, Valérie Dashwood, Marie-France Alvarez, Céline Carrère, JaurIs Casanova, Sandra Faure, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Gérard Maillet, Isis Ravel, Pascal Vuillemot – scénographie Yves Collet, Emmanuel Demarcy-Mota – lumières Christophe Lemaire, Yves Collet – costumes Fanny Brouste – musique Arman Méliès, vidéo Renaud Rubiano – conseiller magie Hugues Protat – assistants à la mise en scène Julie Peigné, Christophe Lemaire – son Flavien Gaudon – maquillages et coiffures Catherine Nicolas – accessoires Erik Jourdil

Du 7 au 23 décembre 2022 et du 3 au 8 janvier 2023, 20h, dimanche 15h, au Théâtre de la Ville – Espace Cardin – Site : theatredelaville-paris.com

Everywoman

© Armin Smailovic

Texte Milo Rau et Ursina Lardi – mise en scène Milo Rau – avec Ursina Lardi et Helga Bedau (vidéo) – Schaubühne de Berlin, en allemand surtitré en français – au Théâtre de la Ville/Les Abbesses, dans le cadre du Festival d’Automne.

La pièce est née de différents points de rencontre, à un moment donné : le Festival de Salzbourg demande à Milo Rau de mettre en scène Jedermann de Hugo von Hofmannsthal, comme la tradition le veut, en revisitant l’œuvre. Ce titre, dit le metteur en scène, peut se traduire par Everyman. Il propose alors une adaptation de l’argument, à sa façon, à partir d’Ursina Lardi, pour lui la meilleure actrice germanophone, avec qui il souhaitait travailler. Il laisse de côté l’allégorie sur la mort d’un homme riche et transfère le spectacle au féminin, qui devient Everywoman.

Mais à peine le travail commencé le projet se modifie suite au message d’une institutrice envoyé à l’actrice de la troupe de la Schaubühne, disant son désarroi de ne plus aller au théâtre pendant la pandémie, alors qu’un cancer la rongeait et qu’elle allait bientôt mourir. Une rencontre, improbable, entre cette femme en fin de vie, Helga Bedau, l’actrice et le metteur en scène, est alors programmée à Berlin, et le spectacle décale sa trajectoire. Milo Rau et Ursina Lardi tournent une longue vidéo chez Helga Bedau, que l’on retrouve en partie dans le spectacle. Sur scène, Ursina Lardi entre en dialogue avec elle ainsi qu’avec le public. « Être soi-même » devient le leitmotiv de l’échange et les rochers placés sur le plateau accentuent la notion de vie et le fait de remettre mille fois sur le métier l’ouvrage, comme Sisyphe le fait.  La mort est « un problème existentiellement personnel, chacun a sa propre mort » dit Milo Rau, qui, reprenant ces mots de Hofmannsthal, ajoute : « La mort devient acceptable parce qu’elle n’est plus solitaire. »

La pièce est devenue simple, essentielle et philosophique, elle s’ouvre sur un repas probablement d’adieu et le son lointain de cloches. Ursina Lardi mène cette danse de vie et de mort de sa belle présence et avec finesse, et les apparitions à l’écran de Helga Bedau dans son jeu de la vérité, sont puissantes. Dans cet aller-retour entre présence-absence, elle parle d’elle, dessine un peu de sa biographie, évoque son fils vivant en Grèce, qui lui manque terriblement. Qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que la mort ? Pour elle la mort a gagné, elle n’est plus, mais la tendresse échangée dans cette méditation délicate et bienveillante devient comme une essence vitale et précieuse. Cette sonate d’automne la garde en vie et dans son amour du théâtre.

© Armin Smailovic

Née en Suisse dans le canton des Grisons, Ursula Lardi est montée sur les planches très jeune avant d’étu­dier le théâtre à l’Académie d’art dramatique Ernst Busch de Berlin. Elle fait une brillante carrière entre théâtre et cinéma, a joué dans de nombreux ensembles artistiques en Allemagne et dans de grands films, elle a reçu de nombreux prix. Sa présence subtile et chargée, comme ange gardien d’un parcours de vie et de mort, est inspirante et inspiratrice pour Milo Rau qui, à travers ses spectacles multiformes en prise directe avec le monde et le présent, touchent le cœur de cible de ce qui nous constitue.

Un long travelling arrière ferme le spectacle, petit à petit Helga Bedau s’efface jusqu’à devenir ce petit point dans l’infini, accompagnée des notes de piano jouées par Ursina Lardi. « Je te regarde. J’ai allumé la pluie. »

Brigitte Rémer, le 2 novembre 2022

Avec Ursina Lardi, Helga Bedau (vidéo) – décors et costumes, Anton Lukas – assistant costumes, Ottavia Castelotti – vidéo, Moritz von Dungern – son, Jens Baudisch – dramaturgie, Carmen Hornbostel, Christian Tschirner – recherche, Carmen Hornbostel – lumières, Erich Schneid – figurants (vidéo), Georg Arms, Irina Arms, Jochen Arms, Julia Bürki, Keziah Bürki, Samuel Bürki, Achim Heinecke, Lisa Heinecke.

Du 20 au 28 octobre 2022 – Théâtre de la Ville/Les Abbesses, 31, rue des Abbesses. 75018. Paris – Site : theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77.