Conception et chorégraphie de Salia Sanou – musique Jean-Sébastien Bach, Marin Cardoze, Ali Keita, Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko – compagnie Mouvements perpétuels, au Théâtre de la Ville/Abbesses.
Loin de son alphabet chorégraphique et musical et pourtant si près, le danseur et chorégraphe burkinabé Salia Sanou entre dans l’Art de la Fugue, les contrepoints et les suites de Bach, à la recherche de l’harmonie. « Bach appartient aussi à l’Afrique, à une mémoire familière et universelle, aidant à réunir les continents » dit-il. Pour lui, le compositeur appelle l’enfance et la féminité, pour avoir été bercé par les voix des femmes, dont celles de sa mère et de sa tante et pour avoir découvert la musique classique dans sa formation de danseur. Par Bach, c’est un hommage qu’il rend aux femmes de son enfance.
Pour traduire son propos et entrer dans la perception de ce grand classique, le chorégraphe réunit six danseuses de géographies différentes (Ema Bertaud, Dalila Cortes, Ida Faho, Awa Joannais, Elithia Rabenjamina, Alina Tskhovryebova), de techniques et d’expériences diverses portant pantalon noir moulant avec délicat liseré et haut noir (costumes Mathilde Possoz). Venant de la danse classique ou contemporaine, du jazz ou du hip-hop, de la danse africaine, elles interprètent, chacune avec sa personnalité, le piano lancinant de Jean-Sébastien Bach auquel le chorégraphe mêle la kora et le balafon. La mobilité des bras, le travail de dentellière des mains, des doigts, d’une grande rigueur et créativité, mis en exergue dans les cercles de lumière, appellent l’admiration de ces vestales, qui viennent à nous une à une, avant de faire Ensemble.
Le groupe se constitue collégialement, avec harmonie et élégance, chacune dans ses spécificités, la maitrise et la souveraineté de ses gestes. Une envolée d’oiselles traverse le plateau, la musique, joue entre coordination et incoordination, jamais dans la confusion. Les déplacements en tracés géométriques sont au cordeau, comme les mains du pianiste sur le clavier. Équilibres déséquilibres, montées, descentes. Diagonales. Parfois la musique se suspend, la qualité du silence s’amplifie, parfois l’accord du piano est tenu, et s’éteint dans le geste.
Des lumières latérales s’intègrent à mi-parcours de la chorégraphie, participant de mouvements plus rapides apportés par le piano et sculptant la pénombre (lumières, Sylvie Mélis). Deux groupes de trois danseuses évoluent parallèlement, les pieds tapent le sol et scandent la mathématique rythmique, rattrapant l’Afrique de Salia Sanou. L’une ou l’autre tentent quelques échappées avant que le temps se suspende.
La complicité de toutes est une des clés de ce travail des harmoniques. Les danseuses se regardent, dialoguent, communiquent. Une joute parfois se dessine, quelques gestes pantomimes s’amorcent. Elles tournent comme un essaim d’abeilles, ou une passée d’hirondelles faisant bande ou tribu. On entre dans la forêt où bruissements, chuintements et glissements feutrés ouvrent sur un monde végétal et animal où chacune définit ses repères. Des percussions les accompagnent avant que la kora de Toumani Diabaté ne ferme le spectacle avec leurs sauts, leur joie et la nôtre, une grande liberté, des figures qu’elles dessinent dans l’espace, sans se lâcher et avec beaucoup d’expressivité.
De Fugues… en Suites… est un plaisir de danse et de musique, sous les mains sensibles de deux pianistes aux vibrations singulières, la Chinoise Zhu Xiao Mei, passée des geôles de Mao au clavier tempéré de Bach et la jeune Franco-Haïtienne Célimène Daudet, formée au Conservatoire de Paris et qui a monté un festival de musique classique en Haïti, rejointes par le grand maître malien de la kora, Toumani Diabaté disparu l’été dernier, en duo avec le bien aimé Ballaké Sissoko, le pianiste canadien Bruce Liu et un jeune compositeur électronique, Marin Cardoze.
Formé au théâtre et à la danse africaine au Burkina Faso, Salia Sanou travaille entre son pays et la France, toujours en quête d’altérité. Il a intégré la compagnie Mathilde Monnier à Montpellier en 1993, fondé sa compagnie avec Seydou Boro en 1995 avec qui il a reçu le prix Découverte RFi Danse trois ans plus tard lors des 2ndes Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien. Il fut artiste associé à la Scène nationale de Saint-Brieuc de 2003 à 2008, puis en résidence au Centre national de la Danse à Pantin, en 2009/2010. Avec Seydou Boro, il a créé en 2006 à Ouagadougou La Termitière, un Centre de développement chorégraphique ainsi que la Biennale Dialogue de corps, avant de fonder à Montpellier la compagnie Mouvement perpétuels, en 2011.
De chorégraphie en chorégraphie Salia Sanou creuse la question des frontières, des différences et de la pluralité. Au Burkina Faso il a animé des ateliers dans les camps de réfugiés maliens, au nord du pays et sillonné les salles de classe des écoles primaires avec Papa tambour, un spectacle portatif, sur un poème de Capitaine Alexandre. Il a présenté cette année au Théâtre de la Ville dans le cadre des Olympiades culturelles Paris 2024 le spectacle À nos combats qui réunissait sur un ring une boxeuse et une danseuse, avec la participation d’une cinquantaine d’amateurs et amatrices. À Montpellier il anime des stages avec les jeunes du quartier de la Mosson, dans le cadre de l’Été culturel, un dispositif initié par le ministère de la Culture, à partir de la danse et de la boxe, ses deux axes de travail. Le chorégraphe a débuté une collaboration avec le Festival Dança em Trânsito de Rio de Janeiro, dans la visée de la Saison croisée France/Brésil qui se tiendra en France en 2025.
Salia Sanou a reçu le Prix chorégraphie de la SACD en 2023. Au sujet de sa chorégraphie De Fugues… en Suites… il dit : « Le spectacle est une invitation à découvrir ma perception de Bach, comment elle fait sens avec la musique africaine qui a bercé mon enfance. Je réitère mon intérêt à faire le lien artistique entre nos deux continents et son importance. » C’est son acte de foi, si nécessaire aujourd’hui.
Brigitte Rémer, le 13 novembre 2024
Avec : Ema Bertaud, Dalila Cortes, Ida Faho, Awa Joannais, Elithia Rabenjamina, Alina Tskhovryebova – bande-son, Marin Cardoze – lumières, Sylvie Mélis – costumes, Mathilde Possoz – régie, Nathalie de Rosa et Delphine Foussat – conseillers artistiques, Patricia Carette et Stéphane Maisonneuve. Musique : Jean-Sébastien Bach, Marin Cardoze, Ali Keita, Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko – Contrapunctus XIII Rectus de Jean-Sébastien Bach, interprété par Zhu Xiao-Mei – montée Balafon de Marin Cardoze, interprété par Kalifa Hema – Nuitée 1 de et par Marin Cardoze – Contrapunctus XI de Jean-Sébastien Bach, interprété par Zhu Xiao-Mei – Contrapunctus I de Jean-Sébastien Bach, interprété par Célimène Daudet – Contrapunctus VI in estile francese de Bach, interprété par Célimène Daudet – Nuitée 2 de et par Marin Cardoze – Gigue de Jean-Sébastien Bach, interprété par Bruce Liu – Hommage de Aly Keita, interprété par Kalifa Hema – Roulements et piétinements de et par Marin Cardoze – Loure de Jean-Sébastien Bach, interprété par Bruce Liu – Royal Dance de et par Guem – Roulements et tensions de et par Marin Cardoze – Bi Lamban de et par Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko – Sarabande de Jean-Sébastien Bach, interprété par Bruce Liu. Lumière Sylvie Mélis – costumes Mathilde Possoz – régie lumière Nathalie de Rosa – régie son Delphine Foussat ou Marin Cardoze – direction de production : Stéphane Maisonneuve – diffusion Anouk Dupont-Seignour.
Du 5 au 9 novembre 2024 – Théâtre de la Ville/Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris – métro : Abbesses, Pigalle, Anvers – site : theatredelaville-paris.com – tél. : 0142 74 22 77. En tournée : le 21 mars 2025, au CNDC d’Angers/Festival Conversations – les 6 et 7 mai 2025, Pau/Espaces pluriels, scène conventionnée.
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