Une création de Miyagi Satoshi et le Shizuoka Performing Arts Center – au Théâtre Claude Lévi-Strauss/musée du Quai Branly-Jacques Chirac – spectacle en japonais surtitré en français
C’est autour de la grande épopée sumérienne, Gilgamesh, que s’articule la nouvelle création de Miyagi Satoshi, donnée en première mondiale au Musée du Quai Branly. Le metteur en scène japonais connait bien l’endroit, il y avait créé en 2016 le Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos pour les dix ans du musée, à partir des écrits posthumes sur le Japon de Claude Lévi-Strauss qui établissait des correspondances entre certains mythes d’Asie et des cultures amérindiennes.
Gilgamesh est un récit d’apprentissage sur l’éveil de son héros à la sagesse. Demi-dieu doté d’une énergie hors du commun et d’une certaine arrogance, il n’est pas bienveillant à l’égard de son peuple qui s’en plaint aux dieux. Ces derniers envoient à ses côtés une créature douée de la même force physique que lui, Enkidu, pour contrer son attitude. Se noue entre eux une amitié indéfectible à travers leurs exploits communs. Gilgamesh voudrait transformer la cité d’Uruk, son royaume, en état de grande magnificence, mais pour construire la cité une énorme quantité de bois est nécessaire. Tous deux partent donc en direction de la Forêt des Cèdres, gardée par le géant Humbaba, chargé par les dieux de protéger les arbres. Ensemble, ils triomphent de lui, transgressant le caractère sacré de la montagne, puis écrasent le Taureau céleste envoyé par la déesse Ishtar pour se venger d’avoir été éconduite par Gilgamesh. Pour les punir du meurtre de Humbaba, les dieux décident de la mort d’Enkidu. Face à la solitude, Gilgamesh se sent prêt à vaincre la nature et se lance dans la quête de l’immortalité. On le suit à l’autre bout du monde où il rencontre l’immortel Utanapishti, héros du Déluge, qui lui dit où trouver la plante d’immortalité qu’il recherche.
De ce récit épique de Mésopotamie, une des œuvres les plus anciennes de l’humanité datant du deuxième millénaire avant JC, Miyagi Satoshi a retenu deux épisodes : le saccage de la Forêt des Cèdres et le voyage vers l’immortalité. Il a construit le spectacle en deux actes et partant de la transcription en écriture cunéiforme sur des tablettes d’argile, a travaillé la musicalité de l’oralité et mêlé le texte aux ponctuations musicales.
Vêtus de somptueux costumes d’un bleu moiré, les musiciens sont installés côté jardin dans une grande solennité, concentrés sur leurs percussions et instruments à vent, des plus petites clochettes aux xylophones et tambours. Sur scène, côté cour, les diseurs-conteurs en demi-cercle vêtus de ce même bleu chatoyant portent le texte et la psalmodie du récit. Ils sont la voix des personnages qui miment et dansent l’action. Des paravents or et argent font des va-et-vient et créent de micro-espaces scéniques et les éléments du fantastique. La légende est ponctuée de l’imagerie accompagnant le récit : les gazelles, le point d’eau, le chasseur, la danse de la séduction, le rêve de Gilgamesh. Il y a des séquences d’ombres chinoises, de mime, de danse, des duels et combats, des tissus et figurines. Humbaba est une marionnette géante à trois têtes qui se déploie dans son gigantisme, manipulée par huit acteurs cachés sous des mètres de tissus. Il y a d’extraordinaires jeux d’ombre et de lumière, de riches costumes, des hommes scorpions, du rouge cardinal car la mort rôde partout. La plante trouvée, le serpent vole, la marche continue, Gilgamesh rentre à Uruk.
Récit sur la destinée, sur la vie et la mort, sur l’amitié, en même temps que conte fantastique et affrontement entre les hommes et les dieux, Gilgamesh est plein de rebondissements, la sagesse au bout de la route. Les chapitres sont annoncés par sur-titrage : première tablette d’argile, seconde tablette, et jusqu’à la septième. Miyagi Satoshi construit un univers visuel et sonore de toute beauté. Le metteur en scène a étudié l’esthétique à l’Université de Tokyo et présenté dès 1986 de nombreuses performances en solo où il lie de grands récits à une méthode corporelle proche de la danse et du clown. Il fonde la compagnie Ku Na’uka en 1990 et développe une méthode basée sur la gymnastique orientale de même qu’une technique d’interprétation où deux acteurs interprètent un personnage : l’un conte, tandis que l’autre évolue sur scène au fil de la narration. Les textes qu’il met en scène sont de nature très différente, des oeuvres antiques et classiques, européennes aux auteurs japonais modernes, ses spectacles tournent dans le monde. Il a adapté et mis en scène en 2006 un épisode du Mahabharata qu’il a recréé en 2014 et présenté au Festival d’Avignon, dans la carrière Boulbon. Il est revenu en 2017 dans la Cour du Palais des Papes, avec Antigone de Sophocle et a présenté Révélation Red in blue trilogie, de Léonora Miano en 2018, au Théâtre national de la Colline. Il est directeur artistique depuis 2007 du Shizuoka Performing Arts Center, ayant succédé à Tadashi Suzuki.
Gilgamesh, que présente Miyagi Satoshi, est programmé dans le cadre d’un cycle sur L’Épopée et le thème Héros, Héroïnes élaboré par le musée du Quai Branly – dont la mission est de « créer des ponts entre les cultures. » L’objectif du metteur en scène et du Shizuoka Performing Arts Center, dont les acteurs et musiciens sont à féliciter, convient bien, car pour lui « Le Théâtre est une fenêtre pour regarder le monde. »
Brigitte Rémer, le 4 avril 2022
Avec les acteurs, musiciens et équipes techniques du Shizuoka Performing Arts Center – du 24 au 27 mars 2022, Théâtre Claude Lévi-Strauss, Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, 37 quai Branly. 75007. Paris. Site : www.quaibranly.fr – tél. : 01 56 61 70 00.
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