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Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz

© Benoîte Fanton

Texte de Mohamed Kacimi – mise en scène Marjorie Nakache – au Studio Théâtre de Stains.

Le spectacle débute avec les cris des corbeaux, oiseaux de malheur s’il en est, noirs, ténébreux, au regard perçant, l’une des détenues ne supporte plus et s’en plaint. Nous sommes dans la bibliothèque d’une maison d’arrêt où une poignée de femmes incarcérées – Rosa, Marylou, Zélie et Lily – choisissent de se rendre chaque jour, au lieu d’honorer leur promenade quotidienne. Fatiguées de leurs travaux obligés dans les ateliers et dans une profonde solitude elles déversent auprès de Barbara, la bibliothécaire, leurs désillusions, leurs utopies et leurs chagrins, sous le regard des écrivains – Soljenitsyne, Primo Lévy ou Stephan Zweig.

Jeunes, elles ont déjà traversé la dureté de la vie et en font l’inventaire. La prison est rude. Il y a celle à qui l’on vole les baskets ou qui l’imagine, l’i-phone qui disparaît, les ruses inventées pour se la jouer douce, la fausse visite, la tentative de suicide. Leur recherche d’évasion par la lecture, le rêve, la folie, l’espoir de visites, la religion, s’inscrit dans leur quotidien. Un soir de Noël alors qu’elles préparent les cadeaux pour leurs enfants, Frida, une nouvelle, débarque, à qui il faut vite apprendre les codes de survie. Arrêtée au moment où elle achetait pour sa fille la pièce d’Alfred de Musset On ne badine pas avec l’amour, elle ne supporte pas la réalité de son incarcération et veut mourir. Pour la sauver, ses collègues détenues lui proposent de jouer une scène de la pièce de Musset, de la filmer – clandestinement – et de l’envoyer à sa fille. Et toutes trouvent dans ce texte, un écho à leurs souffrances. L’humour du désespoir aidant, elles préparent le repas de Noël comme si… un faux-vrai repas, des chansons qui réchauffent, entre crises et actes de solidarités. La bibliothèque est ce lieu d’humanité où elles s’écroulent et se relèvent, où elles contournent la haine et se réinventent un monde, un lieu qui parfois les apaise et réduit le fossé entre le dedans et le dehors, un lieu emblématique où elles réussissent à exister face à elles-mêmes.

Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz est né du travail que fait Mohamed Kacimi, écrivain et dramaturge, à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Depuis plusieurs années, à l’initiative de l’association Lire c’est vivre, il y anime un atelier d’écriture dans la bibliothèque. Parallèlement et sur un autre registre, Kacimi a travaillé à Gaza avec de jeunes palestiniens sur la pièce de Marivaux, On ne badine pas avec l’amour, et particulièrement sur l’acte II scène 5. Ce dialogue entre Camillle et Perdican exalte l’authenticité de l’amour : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. »

Pour Marjorie Nakache, Mohamed Kacimi avait écrit une première pièce sur le thème du racisme, Babylon city, qu’elle avait mise en scène en 2011. Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz est leur seconde collaboration. En 1984, la metteuse en scène a co-fondé le Studio Théâtre de Stains et en assure depuis la direction artistique. Elle a monté de nombreux spectacles, pièces ou adaptation de textes littéraires dans un registre diversifié, avec toujours cette recherche de justice et de vérité qui l’anime. Elle fait à Stains un travail exemplaire, s’engage avec intelligence et creuse son sillon. Elle transmet son énergie à ses équipes et donne ici avec réalisme et sans pathos, des vibrations qui passent par les actrices qu’elle dirige avec un grand professionnalisme. Sur le plateau dans le rôle de Barbara, elle partage avec chaleur et attention les hauts et les bas des personnages, ces femmes en détresse, de l’autre côté du mur.

Brigitte Rémer le 10 avril 2018

Avec Jamila Aznague, Zélie – Gabrielle Cohen, Rosa – Olga Grumberg, Lily – Marjorie Nakache, Barbara – Marina Pastor, Frida – Irène Voyatzis Marylou – décor Jean Michel Adam – costumes Nadia Remond – lumière Lauriano de la Rosa – son Théo Errichiello – régisseurs Hervé Janlin et Rachid Baha.  Le texte est publié aux éditions de l’Avant-Scène Théâtre.

Du 29 Mars au 13 Avril 2018, au Studio Théâtre de Stains, 19 rue Carnot 93240 Stains – tél. : 01 48 23 06 61 – site : www.studiotheatrestains.fr – RER Saint-Denis Université et bus 253 et 255, station Mairie de Stains, et/ou navettes porte de la Chapelle et Saint-Denis Université, aller et retour.