Texte Sony Labou Tansi – mise en scène Jean-Paul Delore – Jeu Dieudonné Niangouna – musique sur scène Alexandre Meyer – Dans le cadre des Traversées africaines présentées au Tarmac.
Métier : homme. Fonction : révolté, sa carte de visite. Né en 1947 au Congo Léopoldville (Kingshasa) mort en 1995 au Congo Brazzaville là où il vécut, Sony Labou Tansi est devenu le porte-flambeau d’une génération d’écrivains africains dès la publication de son premier roman, La vie et demie, en 1979. A son actif des récits, romans, poèmes et une quinzaine de pièces de théâtre qu’il a montées à Brazzaville avec sa troupe, le Rocado Zulu Théâtre et présentées en Afrique et en France, notamment au Festival International des Francophonies en Limousin. Il a reçu le Prix littéraire d’Afrique noire en 1983 pour son roman L’Anté-peuple et la Palme de la Francophonie en 1985, pour Les sept solitudes de Lorsa Lopez.
Il publie en 1981 L’Etat honteux, long roman touffu retrouvé quelque temps plus tard légèrement élagué sous le titre de Machin la Hernie, violente diatribe jusqu’à la transe et la folie, et dénonciation d’un état corrompu, dans un style subversif et flamboyant. Dieudonné Niangouna et Jean-Paul Delore se sont emparés du texte et le lancent avec la même force rebelle, le premier en et hors scène, le second mettant en scène le premier sur la base de leur complicité. Car pour Sony Labou Tansi le cadre de scène est étroit et la mégalomanie de ce dictateur à la Jarry qu’il met en mots, ne passe pas la porte : « Voici la vraie histoire de mon ex-colonel Martillimi Lopez, fils de Maman Nationale, commandant de sa hernie, la vraie histoire telle que se la racontent les gens de chez moi avec leur salive et leur goût du mythe, feu Lopez qui maintenant endort sa hernie historique au musée national pour l’éternité des éternités. » Son emblème, la braguette dont les reliefs « sa hernie », lui servent d’armoiries ; sa philosophie, l’arbitraire et la bêtise.
Le guitariste qui accueille les spectateurs et joue pendant une vingtaine de minutes seul en scène, fait monter la pression comme pour les préalables d’un important congrès. Il reviendra clôturer la représentation, ou… façon de parler car la représentation ne se clôture pas, l’acteur convoquant les spectateurs un à un, pour leur livrer en tête à tête un ultime message, repris sur écran dans le hall du théâtre ; à chacun sa vérité. Au début du spectacle il descend lentement du fond de la salle, la traverse, et prend possession du plateau comme le boxeur d’un ring. Tantôt capo-chef, tantôt opposant, tantôt haut fonctionnaire démissionnaire, il dialogue avec la figure figée qui apparaît sur l’écran, image d’une immobilité tronquée, et structure ses espaces de jeu et de paroles face aux trois micros sur trépieds qui font office de porte voix.
Avec Dieudonné Niangouna, on déboulonne la statue du commandeur, chef d’Etat semblable à tant d’autres, totalitaire, capricieux, roublard et sanguinaire. En tension montant crescendo et jouant de ses pulsions, il passe de l’insulte au mépris, du sarcasme à l’accusation d’un personnage peu recommandable dont la politique repose sur le culte de la personnalité, la torture et le meurtre, jusqu’à la transe finale, la paranoïa et le délire. Il y a du radicalisme dans le texte, comme dans le parti pris de Jean-Paul Delore mais après tout : toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants ou ayant existé ne serait-elle que pure coïncidence ? Pour preuve cette Lettre ouverte à François Hollande adressée par l’équipe artistique, dénonçant les attaques criminelles contre les populations civiles en République du Congo, depuis la ré-élection de Sassou Nguesso à la Présidence, le 20 mars dernier.
De Sony Labou Tansi, Dieudonné dit, lors d’un échange avec Bernard Magnier : « C’est une sorte de féticheur en train de fabriquer quelques bizarreries dans son laboratoire derrière la case de sa grand-mère. Je ne sais si c’est un médicament, un filtre, une bombe, un sort ou une bénédiction » et il lui reconnaît la faculté de savoir bien « brouiller les pistes. » Pas facile de trouver les clés de lecture dans cette « forêt équatoriale » qu’est son écriture quand on n’est pas spécialiste de la question. Cette œuvre à la verve féroce participe du « sauvetage de l’espèce humaine » dit l’acteur, car « ce pays, nous le devons aux enfants de nos enfants, mais pas dans cet état honteux… » conclut l’auteur.
Brigitte Rémer, 20 avril 2016
Collaboration artistique et costumes Catherine Laval – création Lumière Jean-Paul Delore et Guillaume Pons – régies Bastien Lagier – artiste invité Sean Hart.
13 au 16 avril 2016, au Tarmac, la Scène internationale francophone – 159 avenue Gambetta. 75020. Tél. : 01 43 64 80 80 – site www.letarmac.fr
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