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La Trilogie de la vengeance

© Elisabeth Carecchio

Le spectacle parle de la femme comme objet de désir et de la sauvagerie qui va avec quand l’objet convoité échappe, se dissimule ou transgresse. Simon Stone s’intéresse à la dimension érotique du désir, au pouvoir masculin, à la perversion, aux fantasmes. Il traite des grandes figures et des grands mythes, femmes criminelles et/ou victimes, creusant jusqu’à l’épicentre du sujet avec une détermination inouïe. En tant qu’artiste associé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe il a décortiqué la figure de Médée pour donner sa relecture du mythe en une version très personnelle, avec le spectacle Medea, dans sa brutalité et sa luminosité (cf. notre article du 28 juin 2017) ; il a présenté la même année à Avignon Ibsen huis, autour des héroïnes de l’auteur norvégien et dans la même démarche de construction dramaturgique, puis en décembre 2017 Les Trois Sœurs, autre univers féminin. Le Toneelgroep d’Amsterdam dirigé par Ivo van Hove l’accompagne dans son parcours de création, de même aujourd’hui que Stéphane Braunschweig, à l’Odéon.

La Trilogie de la vengeance s’appuie sur trois auteurs élisabéthains intégrés dans le canevas tissé par le metteur en scène et qui sous-tend le discours analytique et psychanalytique qu’il construit. Chacun à sa manière parle de la violence : William Shakespeare avec Titus Andronicus, sa pièce la plus sanguinaire, écrite avant 1594 ; Thomas Middleton, dans The Changeling/La Tragédie du vengeur datée de 1622, tout aussi sanguinaire ; John Ford avec Dommage qu’elle soit une putain, pièce écrite en 1626 sur les relations incestueuses. Le texte de l’espagnol Lope de Vega, Fuente Ovejuna est une quatrième entrée dans la violence sur fond de troubles de l’ordre social, de viols et d’assassinats. On entre dans la liturgie des transgressions et on n’en sort pas indemne.

Simon Stone a organisé trois espaces scéniques distincts (dans une scénographie de Ralph Myers et Alice Babidge). Il répartit le public selon trois groupes qui voient le spectacle en des temps différents, allant de mansion en mansion. A chaque station et après entracte, c’est une nouvelle équipe qu’il rencontre. Les sept actrices et l’acteur (père et fils, grands prédateurs) jouent donc trois fois leur partition sans compter le don d’ubiquité qui leur est nécessaire pour apparaître dans différents tableaux à la fois.

La représentation s’est construite pour moi selon l’ordre B/C/A. Première station, le public se trouve face à la vitrine très ordinaire d’un traiteur chinois Les trois royaumes, où est installée une jeune femme en blanc, une fleur dans les cheveux, un bouquet à la main. C’est le jour de ses noces. Elle est en attente. Le temps passe, elle effeuille ses marguerites, l’atmosphère s’alourdit. Dans la salle qui jouxte le restaurant un téléphone mural en bakélite, un rideau fait de lanières plastiques en couleurs, l’encens du culte des ancêtres, les plantes vertes, le chat automate, les lampions. La journée s’annonce mal. Dans ce restau modeste tout le monde s’affaire ou s’efface, belles-sœurs et père du marié en tête. Lui, Jean-Baptiste, n’est pas là. Une joute mère/fille débute la journée. On croyait le futur mari riche, il ne l’est pas. « Tous tes rêves vont mourir aujourd’hui » lance la mère, intrusive et envahissante, à sa fille. Le mariage tourne au fiasco. Une amie noire lance ses critiques. La jeune belle-sœur de la mariée, Elise, âgée de seize ans, annonce qu’elle est enceinte et qu’elle garde l’enfant. Son attachement à son frère (le marié) ne laisse guère de doute. « Tout le monde ment… » hurle-t-elle. Les familles se délitent, les mères voudraient rejouer la partie de leurs vies affectives et sexuelles ratées. Le père, policier, fait le justicier et étrangle sa fille, Elise. Un témoin voit la scène, la servante.

Deuxième station, une chambre d’hôtel en désordre. A travers les vitres, comme dans un aquarium, le public observe les dangers, dans une position de voyeur. Pris à témoin il a de quoi vaciller, car l’histoire advient entre virginité bradée, instincts animaliers, prostitution, désunions, obligations. Chantal, l’entremetteuse, se révèle comme la figure phare de la barbarie. La scène initiale se rejoue entre un Jean-Baptiste sans âge et l’ombre de Séverine, par les aveux de celle qui a assisté au meurtre, la fille de la servante. Les lieux et personnages traversent le temps et les générations se croisent et se superposent, créant du flou. Nuit de noces, Éros et Thanatos se côtoient, obligeant au glissement et à la torsion pour une tentative de compréhension.

Troisième station, le public se fait face. On est dans un no man’s land de type bureau avec un photocopieur et quelques livres. L’homme est assis, ligoté, un sac plastique sur la tête. Une séance de torture se prépare. Autour, les femmes, telles les sorcières de Macbeth, s’agitent, prêtes à matérialiser leur vengeance. Elles racontent leurs crimes, celui du père, saoul, achevé, l’encombrement du corps, les plans pour le faire disparaître. Elles remontent l’histoire et ce qui s’est joué, leur rôle propre à chaque étape, et l’on compose le puzzle.

L’écriture au plateau pour méthode de travail allonge le temps d’élaboration du spectacle, la première s’est donc vue reportée et les équipes techniques de Berthier ont joué d’inventivité pour gérer la complexité des plateaux. Actrices et acteur sont à féliciter pour la belle énergie déployée. Ni Érinyes ni Suppliantes, les actrices – protagonistes –  marquent de leur empreinte ce parcours de vengeance, un plat qui se mange froid, dit le dicton. « J’en ai assez d’attendre les restes, je veux avoir le premier choix. Je veux être celle qui décide en premier » lâche Séverine.

Le spectacle fait penser à une série parfois, par ses excès et par l’écran formé de ces parois de verre derrière lesquelles l’intimité est regardée et qui, en même temps, nous protègent. Son concepteur-réalisateur, Simon Stone, est incontestablement un virtuose au sens d’alchimiste changeant le plomb en or, ou d’un Méphistophélès rimbaldien revu et corrigé par les tentations et la luxure de Jérôme Bosch, ou son jugement dernier. Il définit sa cosmogonie et donne en même temps de l’eau au moulin de nos débats actuels sur la place de chacun(e), longtemps passée sous silence. Force est de constater que le dérèglement des relations familiales et la violence symbolique, hantent souvent nos plateaux.

Brigitte Rémer le 30 mars 2019

Avec : Valeria Bruni Tedeschi, Eric Caravaca, Servane Ducorps, Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard, Alison Valence et la participation de Benjamin Zeitoun. Traduction et collaboration artistique Robin Ormond – scénographie Ralph Myers et Alice Babidge – costumes Alice Babidge – lumières James Farncombes – musiques et son Stefan Gregory.

Du 8 mars au 21 avril 2019, mardi au samedi à 19h30, dimanche à 15h. Relâche le lundi – Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès 75017. Paris (angle du Bd Berthier), métro : Porte de Clichy – 01 44 85 40 40 / www.theatre-odeon.eu

 

Les Trois Sœurs

© Thierry Depagne

Un spectacle de Simon Stone, d’après Anton Tchekhov – Odéon Théâtre de l’Europe – Création française d’après la production originale du Theater Basel en version allemande.

La vie quotidienne vaut-elle d’être mise en exergue et en représentation, comme une star ? Miroir, mon beau miroir… ! Elle n’est pas vraiment poétique et se met en scène d’elle-même chaque jour dans les transports, les boutiques, les familles, dans le langage et l’imaginaire parfois proche du zéro pointé. Alors que faire de la chronique d’une famille bobo d’aujourd’hui qui se retrouve dans la villa familiale des vacances cinq ans après la mort du père, belle maison transparente qui tourne sur elle même comme un manège et livre les actes de la vie quotidienne où petits bobos et grands états d’âme des uns(es) et des autres s’entremêlent : potins sur les dernières emplettes, banalités en tous genres – bouchons sur la route, clé égarée, retour de piscine ou de plage, boulot chez SFR –

Les Simon Stone’s Trois sœurs présentent l’histoire de ce club des trois, quatre ou cinq, où on s’ennuie ferme, se demandant, si, comme dans un multiplexe, on ne s’est pas trompé de salle. Le système Simon Stone qui collait si bien à Medea, présenté il y a peu par l’artiste en résidence à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, ici ne fonctionne pas, la passion l’alimentait. La vie comme elle va est beaucoup moins captivante. Autant faire un collage personnel sur le sujet plutôt que d’offrir ce bouillon léger sous label tchekhovien – et même si c’est d’après Tchekhov puisqu’il n’en reste rien que cet exercice de style d’une soi-disant transposition.

La photo de famille est prise devant l’urne contenant les cendres du père, qui encombre un tant soit peu, là se battent les cartes des mélancolies urbaines des personnages qui vont et viennent : les trois sœurs, Olga, Macha et Irina dont c’est l’anniversaire, leur frère André sous substance illicite, amants, amis, une petite communauté privilégiée. On les suit, de pièce en pièce, du rez de chaussée – entre cuisine salon et terrasse – au premier étage dans les chambres et jusqu’aux actes intimes de la salle de bains et des toilettes. On se trouve tout au long du spectacle comme sous caméra de surveillance et dans un vide sidéral, à tel point qu’on a du mal à croire, plus tard, à l’acte final.

La trame serait d’Anton Tchekov, – né en 1860, mort en 1904 – les Trois Sœurs seraient d’aujourd’hui, elles joueraient la partie entre indépendance, féminisme, amourettes, grands problèmes existentiels et tout le kitsch qui va avec, passant de la victoire de Trump aux jugements de valeur version café du commerce, mais qu’est-ce qu’on s’en fout ! Elles se regardent avec complaisance, tentent la séduction, l’alcool et jouent de légèreté. Aucune épaisseur ni nostalgie, aucune vie, on pourrait se croire sur un plateau télé où l’on attend que le temps passe, malgré le jeu d’acteurs/trices qui tricotent comme ils/elles peuvent avec un argument devenu diaphane. Et même si la déclaration d’intention du metteur en scène tend à le justifier dans sa très libre interprétation des choses : « Tchekhov fait commencer toutes ses pièces en indiquant qu’elles se déroulent dans le temps présent, et à cet égard je le prends au mot » notre temps présent, vu sous cet angle ne vaut guère le détour.

Brigitte Rémer, le 29 novembre 2017

Avec : Jean-Baptiste Anoumon – Assaad Bouab – Éric Caravaca – Amira Casar – Servane Ducorps – Eloïse Mignon – Laurent Papot – Frédéric Pierrot – Céline Sallette – Assane Timbo – Thibault Vinçon – Teodor (Kouliguine) – Alex (Verchynine) – Andrei Olga – Natacha Irina – (Touzenbach) Roman Macha Herbert (Fedotik / Rodé) Viktor (Saliony). Traduction française Robin Ormond – décors Lizzie Clachan – costumes Mel Page – musique Stefan Gregory – lumière Cornelius Hunziker.

Tournée 2018 : du 8 au 17 janvier TNP, Villeurbanne – du 23 au 26 janvier Teatro Stabile, Turin – du 1er au 3 février DeSingel, Anvers – 16 et 17 février Le Quai, Angers.

 

 

Medea

© Sanne Peper

D’après Euripide – Texte et mise en scène Simon Stone, artiste associé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe où le spectacle est présenté – en néerlandais surtitré.

C’est la présence de deux enfants d’une dizaine d’années, qui au point de départ et avant que la lumière ne baisse, attire l’attention du spectateur en train de s’installer. L’un est à demi allongé le long d’une corbeille à l’avant-scène, l’autre en bord de plateau, ils vont et viennent. Prologue.

Quand le rideau se lève il dévoile un immense plateau blanc où le sol se fond dans le mur de scène, glacier ou désert à perte de vue, mirage ou psyché, le blanc éblouit. L’horizon se confond avec le sol, la terre avec le ciel. A mi-hauteur un écran où les visages sont repris en gros plan monte et descend, et sert parfois de limite ou de séparation.

Acte 1 scène 1, le retour d’Anna. Dans la famille, Anna, la mère, sort d’un hôpital psychiatrique pour avoir tenté d’empoisonner son époux, Lucas, infidèle, postulat de départ chez Simon Stone. Femme apparemment ordinaire dans une vie ordinaire, Anna rentre et Lucas son (ex) époux l’accueille avec bienveillance, admire une toile qu’elle a peinte et la complimente. On la croit guérie, une seconde chance lui est offerte. Comme une mouette aux ailes blessées elle tente la séduction, espère retrouver l’amour et reconstruire une vie familiale, avec les deux enfants. « Ce soir tu es à moi » dit-elle à Lucas, « je vais te reconquérir. » L’homme est chercheur dans un labo et selon elle « plus amoureux de ses éprouvettes que d’elle.» Elle y travaillait aussi. Et la conversation dévisse quand elle se risque à la question qui la brûle : « Tu l’as revue ? » Elle, c’est Clara, vingt-quatre ans, fille de Christopher, directeur du labo, devenue la nouvelle compagne de Lucas et belle-mère appréciée des enfants. L’arrivée d’Anna perturbe le fragile édifice. A la garde de leur père, les enfants essaient d’approcher leur mère et sont vite pris dans un conflit de loyauté. Passionnés d’images, ils tournent un court métrage et se serrent les coudes. Autour de Médée tout le monde s’inquiète, à commencer par Marie-Louise, assistante sociale chargée de l’accompagner dans sa réinsertion. Le patron du labo, futur beau-père de Lucas, la désavoue et lui demande de rendre son badge d’accès aux espaces de travail. Elle supplie mais il n’y a plus de place pour elle, ni familialement ni professionnellement.

Et l’histoire avance, jour après jour, les relations se dégradent. Une partie de ballon entre Anna et ses fils apporte un semblant d’insouciance, mais Anna boit et la bouteille, avec laquelle elle fait semblant de jouer lui est confisquée. Des déchirements ponctuent ses rencontres avec Lucas. Elle pense à un nouvel emploi dans la vente de livres, et fait lecture d’une scène cruelle : l’histoire d’une femme qui pendant le sommeil de son homme lui coupe le pénis et le jette par la fenêtre. Des connotations sexuelles ponctuent le spectacle. La dégradation de ses relations avec Lucas, pleine de non-dits sur le sexe – qu’elle qualifie de sexto, mi-texto mi-sexejustifie sa tentative d’assassinat. Une des premières questions qu’elle lui lance, à son arrivée : « Tu ne penses plus au sexe ? » Lucas lit Les Métamorphoses d’Ovide, les enfants jouent, traversant le plateau de cour à jardin en roulant sur un fauteuil de bureau. Marie-Louise interroge les garçons sur leurs relations avec Anna et avec Clara. La vie comme elle va, hier comme aujourd’hui. Rien de solennel, rien de mythique.

Trois semaines plus tard… affiché sur écran. Anna ne se réveille pas pour emmener les enfants à l’école, ils la pressent et tentent de la sortir de ses brumes. Pris en étau entre la supporter, la rejeter et la fuir, Lucas essaie de composer. Il annule le voyage aux Iles Fidji prévu avec Clara. Anna essaie de faire pencher la balance en sa faveur. Elle passe un deal avec Lucas : je signe la demande de divorce si « tu me baises ». Il décline, lutte, mais elle ne lâche rien, évaporée et mythomane. Après le passage à l’acte en coulisses et l’arrivée des garçons qui filment la scène, après l’agressivité d’Edgar à l’égard de son père (« Je te hais… ») et le visionnage des ébats devant Clara qui ne laisse rien paraître de son amertume devant Anna, l’étau se resserre et le drame avance. La montée dramatique est vertigineuse.

Deux jours plus tard… Une cendre fine et noire tombe des cintres et petit à petit fait tâche au centre du plateau blanc. Une discussion s’engage entre Anna et Clara pour la garde des enfants : «  Je les ai gardés, je les ai élevés dit la jeune femme. » Clara tente de déjouer la stratégie d’Anna, blessée au poignet après une probable tentative de suicide. Son état se dégrade, elle suit son destin, derniers sursauts avant l’horreur. Anna et Lucas se retrouvent sous la cendre qui continue de tomber. Elle, ne le lâche toujours pas. Alors il abat d’autres cartes et annonce que Clara est enceinte. Hystérique, Anna jette un cri et pleure comme une petite fille. Lui l’immobilise, la parole échangée a valeur de règlement de comptes, rythmée par la logorrhée d’Anna qui donne coup pour coup : « Nous faisions semblant d’être heureux… Nous n’aurions pas dû avoir les enfants, après tu ne me baisais plus… La première fois que j’ai couché avec toi… tu me faisais des cadeaux, tu t’arrangeais pour me rencontrer à la cantine… Tu m’as volé ma carrière… Je t’ai appris à penser… Tu baisais avec la chef de labo je le savais mais j’ai eu le tort de tomber amoureuse de toi…. Tout ce que tu me dois… Prendre les enfants, une mauvaise idée. » Tous deux sont dos au public et se tournent le dos. Elle, se roule dans la cendre.

Nouvelle tentative de se désengager pour Lucas qui annonce sa nomination comme chef de projet en Chine, son départ le lendemain avec Clara et les enfants. Les garçons passent comme des ombres. « Je ne vais pas te laisser faire » dit Anna « Je le peux j’ai la garde des enfants » répond Lucas. Le soir, les enfants partent dîner avec leur mère pour la soirée d’adieux, des enfants à remettre à leur père le lendemain midi. Puis tout bascule, Clara est tuée par Anna d’un coup de couteau dans la gorge, dans la mise en scène ce sont les enfants, mains innocentes, qui versent le sang. S’ensuit une image forte de Clara et de son père, main dans la main, face au public. Puis les appels téléphoniques incessants d’Anna à Lucas préparant son départ. Excédé, pendant un temps il ne décroche plus. Quand il le fait tout est achevé, le geste est accompli. Les enfants sont couchés sur les cendres. Anna les recouvre et continue à parler dans le vide. « Je pensais te sauver, Lucas… J’ai tout sacrifié à ton bonheur.» Puis elle raconte le meurtre : « Devant la télévision je leur ai donné un médicament, je les ai embrassés, ils se sont endormis… Ils seront heureux là où ils vont. » La lumière vire au rose orangé très pâle, couleur indéfinissable des aurores ou de l’au-delà. Marie-Louise poursuit le récit alors que l’immeuble est en feu. Lucas arrive et reste en état de sidération devant les flammes. Zoom sur les corps calcinés. L’écran descend, Lucas reste désespérément seul, de l’autre côté du mur de l’incompréhension.

On est à la fois loin et proche de Médée et de la mythologie, par l’écriture qui ici traverse le quotidien. Le geste de mise en scène est d’une grande force et justesse. Simon Stone s’est inspiré du cas de Deborah Green qui l’avait saisi et fasciné dans les années 90, pour construire son récit. La montée de la tension est très progressive jusqu’au paroxysme tragique et à la déchirure finale. Une musique sourde souligne et soutient les moments les plus sauvages. Résolument contemporaine, cette Médée offre une relecture du mythe, d’une intelligence et d’une sensibilité rares. Les acteurs du Toneelgroep d’Amsterdam – théâtre que dirige Ivo van Hove, où fut créée la pièce en décembre 2014 – sont justes dans les différents registres qui vont du quotidien à la tragédie grecque, et justement dirigés.

Né à Bâle de parents australiens, Simon Stone s’installe en Europe à partir de 2015, adapte et monte les grands textes comme Tchekhov, Ibsen, García Lorca et Wedekind. Il développe un travail fondamentalement collectif, interrogeant le théâtre et cherchant de nouvelles formes, ce qu’il fait et qu’il réussit si bien avec l’infanticide Medea, la mythique, l’intemporelle. Il ré-écrit le mythe et le transpose dans l’ordinaire avec un talent fou qui laisse à la tragédie tout son sens.

Brigitte Rémer, le 22 juin 2017

Avec : Fred Goessens (Herbert) – Aus Greidanus jr. (Lucas) – Marieke Heebink (Anna) – Eva Heijnen (Clara) – Bart Slegers (Christopher) – Jip Smit Fas Jonkers (Marie-Louise). En alternance, les enfants : Faas Jonker ou Rover Wouters, Edgar – Poema Kitseroo ou Stijn van der Plas, Gijs – Traduction Vera Hoogstad, Peter Van Kraaij – dramaturgie Peter Van Kraaij – scénographie Bob Cousins – lumière Bernie van Velzen – son Stefan Gregory – costumes An D’Huys.

Du 7 au 11 juin 2017 – Odéon/Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, 75006 – Métro Odéon et RER B Luxembourg – www.theatre-odeon.eu – Tél. : 01 44 85 40 40