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Vestiges

© Jean-Michel Coubart

Carte blanche à Satchie Noro et la compagnie Furinkaï – Hôtel de Sully, en partenariat avec le Centre des Monuments nationaux et le Théâtre de Châtillon – Présenté par Art’R/Lieu de fabrique itinérant pour les arts de la rue à Paris et en Île-de-France.

Une première partie se tient au centre du jardin de l’Hôtel de Sully aux arbres centenaires, lieu magique s’il en est. Les Arpenteuses arrivent l’une après l’autre en flânant et s’installent nonchalamment sur les chaises de bois qui se trouvent là, comme dans tout jardin, de part et d’autre des bosquets. À tour de rôle et très tranquillement elles se lèvent et commencent à empiler ces chaises et à bâtir comme un jeu de construction, une installation. Elles se percheront dans les niches qu’elles aménagent tels des oiseaux dans leur nid, par ouverture et fermeture des chaises, jeu de pliage et dépliage.

© Jean-Michel Coubart

Entre Babel et Pise elles construisent de guingois leurs équilibres instables, leur chorégraphie solidaire est savante, sophistiquée et ludique, leur créativité malicieuse et d’une précision métronomique. Satchie Noro a pensé cette installation éphémère sur une conception-construction-agrès-chaises de Silvain Ohl avec qui elle travaille depuis plus d’une douzaine d’années et sur une musique de Carlos Canales. Natacha Kierbel, Fleuriane Cornet et Laure Wernly en sont les vestales, Les Arpenteuses. Cette pièce est une réécriture du projet Sillas, créé et interprété à l’origine par une équipe chilienne composée de Nicolàs Eyzaguirre, Juan Larenas et Carlos Canalès.

Le public est ensuite invité à changer de place et s’installe sur la terrasse où la scénographie de veStige l’attend, juste devant le bâtiment. Elle se compose d’une plate-forme de bois circulaire en rotation, entrainée par des moteurs permettant une grande variété de vitesse et d’accélération et l’engagement total du corps. Comme une trace laissée au sol, une empreinte, Satchie Noro s’élance et inscrit son alphabet entre sol, air, volume et, dans le cadre de l’Hôtel de Sully, pierre et nature.

Trois narrations composent veStiges : un solo où Satchie Noro joue d’abord avec un anneau de bois, avant de balayer l’air de deux morceaux de bois courbes – prolongement de ses mains – qui lui donnent l’équilibre du funambule, l’élégance de l’incertitude et la précision de l’écriture. Elle va chercher au plus profond d’elle-même une gestuelle qu’elle élabore et développe avec une grande fluidité ; un solo où deux corps apparaissent et disparaissent, se coordonnent ensuite et se complètent, construisent des volumes et entrecroisements, se superposent et se disjoignent sans jamais se toucher. Transparentes et invisibles l’une à l’autre, renvoyant fugacement les images réciproques de leurs réalités dissemblables, elles sont à l’intersection de plusieurs mondes. Yumi Rigout, danseuse et acrobate aérienne, fille de Satchie Noro, se révèle admirable dans cette pièce, elle y est tonique et inventive, se lance avec frénésie et contrôle, se drape dans un tissu noir fluide dans lequel elle sculpte des plis. Des roseaux séchés en fagots se répandent et la danse devient paysage, en milieu végétal ou minéral.

Une pièce musicale ferme le spectacle, troisième volet de veStiges qui inscrit ses pleins et ses déliés dans un langage scénique épuré et vibrant porté par la chanteuse et flûtiste franco-japonaise Maia Barouh et le percussionniste japonais Léo Komazawa. Les chants enracinés venant d’une île située au sud du Japon que porte la chanteuse, jusqu’aux sons les plus modernes qu’elle fait émerger en dialogue avec les percussions en métal et en bois, résonnent à travers l’Hôtel de Sully. L’harmonie de cette soirée ce sont aussi les costumes créés par la plasticienne Aurore Thibout, ses fibres de soie tissées aux couleurs rares parlent aussi de mémoire.

© Jean-Michel Coubart

Magicienne singulière et puissante, Satchie Noro voyage entre action et rémanence, et reprend inlassablement des rituels archaïques et hypnotiques où se mêlent des éléments de la nature. Elle avait fait ses premiers pas dans le dojo de son père, maître d’Aïkido, avant de s’investir dans la danse classique, puis d’apprendre les techniques aériennes. Elle décale les disciplines comme elle change de pays, passant de Berlin – où elle se frotte à la scène alternative et participe à de nombreuses performances – à New-York, avant de revenir en France où elle travaille dans différentes compagnies de danse. En 2002 elle fonde sa propre compagnie, Furinkaï, espace de création artistique et de recherche qui fête cette année ses vingt ans où elle crée une quinzaine d’événements de style et d’inspiration différentes – spectacles, performances, installations et films. Elle inscrit aussi son travail autour de la transmission ainsi que dans des actions à responsabilité sociale et élabore avec des publics dit empêchés des dispositifs artistiques.

Au croisement des disciplines et des esthétiques, veStiges explore ce qui tourne et s’inscrit dans un cercle, comme un tourbillon de la vie. La carte blanche dont s’est emparée Satchie Noro et son équipe dans ce contexte lumineux de l’Hôtel de Sully se décline avec liberté et poésie, dans l’amplitude et l’altitude de son chant des courbes.

Brigitte Rémer, le 21 juin 2022

Chorégraphie Satchie Noro – danse Satchie Noro et Yumi Rigout – scénographie et construction Silvain Ohl, Éric Noël – plasticienne et créatrice textile Aurore Thibout – musique Maïa Barouh, Léo Komazawa – création lumière Thierry Arlot – régie son Michael Sacchetti – accompagnement artistique Élise Ladoué, Jean-Marc Puissant – Les Arpenteuses, interprétation Natacha Kierbel, Fleuriane Cornet et Laure Wernly.

Les 16, 17 et 18 juin 2022 à 20h30, Hôtel de Sully, entrée par le 5 place des Vosges. 75004. Paris. Site : www. furinkaï.com