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De Fugues… en Suites… 

Conception et chorégraphie de Salia Sanou – musique Jean-Sébastien Bach, Marin Cardoze, Ali Keita, Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko – compagnie Mouvements perpétuels, au Théâtre de la Ville/Abbesses.

© Laurent Philippe

Loin de son alphabet chorégraphique et musical et pourtant si près, le danseur et chorégraphe burkinabé Salia Sanou entre dans l’Art de la Fugue, les contrepoints et les suites de Bach, à la recherche de l’harmonie. « Bach appartient aussi à l’Afrique, à une mémoire familière et universelle, aidant à réunir les continents » dit-il. Pour lui, le compositeur appelle l’enfance et la féminité, pour avoir été bercé par les voix des femmes, dont celles de sa mère et de sa tante et pour avoir découvert la musique classique dans sa formation de danseur. Par Bach, c’est un hommage qu’il rend aux femmes de son enfance.

Pour traduire son propos et entrer dans la perception de ce grand classique, le chorégraphe réunit six danseuses de géographies différentes (Ema Bertaud, Dalila Cortes, Ida Faho, Awa Joannais, Elithia Rabenjamina, Alina Tskhovryebova), de techniques et d’expériences diverses portant pantalon noir moulant avec délicat liseré et haut noir (costumes Mathilde Possoz). Venant de la danse classique ou contemporaine, du jazz ou du hip-hop, de la danse africaine, elles interprètent, chacune avec sa personnalité, le piano lancinant de Jean-Sébastien Bach auquel le chorégraphe mêle la kora et le balafon. La mobilité des bras, le travail de dentellière des mains, des doigts, d’une grande rigueur et créativité, mis en exergue dans les cercles de lumière, appellent l’admiration de ces vestales, qui viennent à nous une à une, avant de faire Ensemble.

© Laurent Philippe

Le groupe se constitue collégialement, avec harmonie et élégance, chacune dans ses spécificités, la maitrise et la souveraineté de ses gestes. Une envolée d’oiselles traverse le plateau, la musique, joue entre coordination et incoordination, jamais dans la confusion. Les déplacements en tracés géométriques sont au cordeau, comme les mains du pianiste sur le clavier. Équilibres déséquilibres, montées, descentes. Diagonales. Parfois la musique se suspend, la qualité du silence s’amplifie, parfois l’accord du piano est tenu, et s’éteint dans le geste.

Des lumières latérales s’intègrent à mi-parcours de la chorégraphie, participant de mouvements plus rapides apportés par le piano et sculptant la pénombre (lumières, Sylvie Mélis). Deux groupes de trois danseuses évoluent parallèlement, les pieds tapent le sol et scandent la mathématique rythmique, rattrapant l’Afrique de Salia Sanou. L’une ou l’autre tentent quelques échappées avant que le temps se suspende.

© Laurent Philippe

La complicité de toutes est une des clés de ce travail des harmoniques. Les danseuses se regardent, dialoguent, communiquent. Une joute parfois se dessine, quelques gestes pantomimes s’amorcent. Elles tournent comme un essaim d’abeilles, ou une passée d’hirondelles faisant bande ou tribu. On entre dans la forêt où bruissements, chuintements et glissements feutrés ouvrent sur un monde végétal et animal où chacune définit ses repères. Des percussions les accompagnent avant que la kora de Toumani Diabaté ne ferme le spectacle avec leurs sauts, leur joie et la nôtre, une grande liberté, des figures qu’elles dessinent dans l’espace, sans se lâcher et avec beaucoup d’expressivité.

De Fugues… en Suites… est un plaisir de danse et de musique, sous les mains sensibles de deux pianistes aux vibrations singulières, la Chinoise Zhu Xiao Mei, passée des geôles de Mao au clavier tempéré de Bach et la jeune Franco-Haïtienne Célimène Daudet, formée au Conservatoire de Paris et qui a monté un festival de musique classique en Haïti, rejointes par le grand maître malien de la kora, Toumani Diabaté disparu l’été dernier, en duo avec le bien aimé Ballaké Sissoko, le pianiste canadien Bruce Liu et un jeune compositeur électronique, Marin Cardoze.

© Laurent Philippe

Formé au théâtre et à la danse africaine au Burkina Faso, Salia Sanou travaille entre son pays et la France, toujours en quête d’altérité. Il a intégré la compagnie Mathilde Monnier à Montpellier en 1993, fondé sa compagnie avec Seydou Boro en 1995 avec qui il a reçu le prix Découverte RFi Danse trois ans plus tard lors des 2ndes Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien. Il fut artiste associé à la Scène nationale de Saint-Brieuc de 2003 à 2008, puis en résidence au Centre national de la Danse à Pantin, en 2009/2010. Avec Seydou Boro, il a créé en 2006 à Ouagadougou La Termitière, un Centre de développement chorégraphique ainsi que la Biennale Dialogue de corps, avant de fonder à Montpellier  la compagnie Mouvement perpétuels, en 2011.

De chorégraphie en chorégraphie Salia Sanou creuse la question des frontières, des différences et de la pluralité. Au Burkina Faso il a animé des ateliers dans les camps de réfugiés maliens, au nord du pays et sillonné les salles de classe des écoles primaires avec Papa tambour, un spectacle portatif, sur un poème de Capitaine Alexandre. Il a présenté cette année au Théâtre de la Ville dans le cadre des Olympiades culturelles Paris 2024 le spectacle À nos combats qui réunissait sur un ring une boxeuse et une danseuse, avec la participation d’une cinquantaine d’amateurs et amatrices. À Montpellier il anime des stages avec les jeunes du quartier de la Mosson, dans le cadre de l’Été culturel, un dispositif initié par le ministère de la Culture, à partir de la danse et de la boxe, ses deux axes de travail. Le chorégraphe a débuté une collaboration avec le Festival Dança em Trânsito de Rio de Janeiro, dans la visée de la Saison croisée France/Brésil qui se tiendra en France en 2025.

Salia Sanou a reçu le Prix chorégraphie de la SACD en 2023. Au sujet de sa chorégraphie De Fugues… en Suites… il dit : « Le spectacle est une invitation à découvrir ma perception de Bach, comment elle fait sens avec la musique africaine qui a bercé mon enfance. Je réitère mon intérêt à faire le lien artistique entre nos deux continents et son importance. » C’est son acte de foi, si nécessaire aujourd’hui.

Brigitte Rémer, le 13 novembre 2024

Avec : Ema Bertaud, Dalila Cortes, Ida Faho, Awa Joannais, Elithia Rabenjamina, Alina Tskhovryebova – bande-son, Marin Cardoze – lumières, Sylvie Mélis – costumes, Mathilde Possoz – régie, Nathalie de Rosa et Delphine Foussat – conseillers artistiques, Patricia Carette et Stéphane Maisonneuve. Musique : Jean-Sébastien Bach, Marin Cardoze, Ali Keita, Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko – Contrapunctus XIII Rectus de Jean-Sébastien Bach, interprété par Zhu Xiao-Mei – montée Balafon de Marin Cardoze, interprété par Kalifa Hema – Nuitée 1 de et par Marin Cardoze – Contrapunctus XI de Jean-Sébastien Bach, interprété par Zhu Xiao-Mei – Contrapunctus I de Jean-Sébastien Bach, interprété par Célimène Daudet – Contrapunctus VI in estile francese de Bach, interprété par Célimène Daudet – Nuitée 2 de et par Marin Cardoze – Gigue de Jean-Sébastien Bach, interprété par Bruce Liu – Hommage de Aly Keita, interprété par Kalifa Hema – Roulements et piétinements de et par Marin Cardoze – Loure de Jean-Sébastien Bach, interprété par Bruce Liu – Royal Dance de et par Guem – Roulements et tensions de et par Marin Cardoze – Bi Lamban de et par Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko – Sarabande de Jean-Sébastien Bach, interprété par Bruce Liu. Lumière Sylvie Mélis – costumes Mathilde Possoz – régie lumière Nathalie de Rosa – régie son Delphine Foussat ou Marin Cardoze – direction de production : Stéphane Maisonneuve – diffusion Anouk Dupont-Seignour.

Du 5 au 9 novembre 2024 – Théâtre de la Ville/Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris – métro : Abbesses, Pigalle, Anvers – site : theatredelaville-paris.com – tél. : 0142 74 22 77. En tournée : le 21 mars 2025, au CNDC d’Angers/Festival Conversations – les 6 et 7 mai 2025, Pau/Espaces pluriels, scène conventionnée.

À nos combats

Conception et chorégraphie Salia Sanou – texte Dieudonné Niangouna – lumière Marie-Christine Soma – musique live Séga Seck – maître de cérémonie Soro Solo – compagnie Mouvements perpétuels, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt.

© Nadège Le Lezec

Le public est assis de chaque côté d’un ring monté pour l’occasion dans le grand hall du Théâtre de la Ville. Le spectacle commence au son du chant Indépendance cha cha, rumba congolaise qu’interprétait Grand Kallé en 1960, et du tour de piste que fait Soro Solo, maître de cérémonie de haut vol, chemise jaune et casquette sur la tête, avant de prendre place devant un micro, au niveau du public. Il sera le narrateur et disons l’ambianceur de ce moment partagé.

Le concept de la soirée dont s’inspire Salia Sanou, figure importante de la danse franco-africaine, part du légendaire combat The Rumble in the Jungle qui opposa les boxeurs Muhammad Ali et George Foreman en 1974 à Kinshasa, et sa réinterprétation ici par deux femmes, l’une boxeuse l’autre danseuse : la tigresse noire « qui a livré son premier combat dans le ventre de sa mère » et qui a remporté cent cinquante victoires en cent cinquante combats, contre la panthère blanche, toutes deux entourées de leurs coachs (Ousséni Dabaré, Marlène Guivier, Marius Sawadogo, Fatou Traoré). Une trentaine de figurants bénévoles disséminés dans le public interviennent épisodiquement et les soutiennent par leurs proclamations et leurs danses.

© Nadège Le Lezec

Au début de À nos combats, poing levé, chacun s’enroule un ruban de couleur autour de la main, comme un bandage boxe préparant le passage du gant. Surgi de nulle part, le batteur percussionniste Séga Seck, originaire de Saint-Louis du Sénégal, rejoint ses instruments – grosse caisse, caisse claire, toms, cymbale charleston – à l’étage du théâtre. Selon l’endroit où l’on est situé, il est difficile de le voir mais il garantit le tempo et donne le rythme tout au long du spectacle. En Afrique « les combats de boxe s’accompagnent toujours de musique » entend-on. Outre la batterie, la musique se diversifie et se mêle entre autres aux gospels, à d’autres citations musicales ainsi qu’au texte poétique de Dieudonné Niangouna : « Il faut boxer, dans l’extrême misère, dans le ghetto, dans les Townships, dans les favelas, dans la pauvreté parfaite du tiers-monde, il faut boxer pour sa survie, pour sa liberté ! Boxer ! Boxer la situation !  Le corps sait faire ce qu’on ignore toujours. »

Les deux boxeuses-danseuses s’élancent après un rituel de préparation – soins, massages et encouragements du coach. Elles construisent leur gestuelle à partir de jeux de jambes, de corps-à-corps, d’uppercuts et d’esquives, entre le centre du ring et les cordes qui le bordent. Elles se jaugent et s’approchent, lentement, sur des cris guerriers repris par l’ensemble de la troupe. Quand la cloche retentit le combat se suspend, une minute de répit, avant que les coachs ne reviennent et se toisent du regard, qu’ils dansent et que le combat ne reprenne. Des quadrilles se mettent en place, shorts en  satin jaune ou orange, gants de même couleur, beaucoup de finesse chorégraphique derrière l’aspect sportif, avant que s’enchaînent d’autres rounds. Puissance et fragilité, gestes à distance ou gestes rapprochés, fluidité, l’engagement des danseurs est entier dans ce combat transcendé, plein de passion.

© Nadège Le Lezec

Salia Sanou inscrit sa démarche dans une proximité entre l’art de la danse et la lutte, comme il l’a fait il y a quelques années avec La Clameur des Arènes (cf. notre article du 21 février 2015). Les sports de combat le fascinent, ils sont très populaires au Sénégal car emblématiques de la position sociale autant que du combat pour la vie. « Les règles légitimes du combat étant le contrat moral entre les deux adversaires, fondé uniquement sur des motivations sportives ». Le spectacle transmet cette ferveur et ouvre sur des mouvements d’ensemble sur le ring. Rythmé par la batterie, des diagonales se mettent en place. « Je ne joue pas, j’essaie. Le monde est un coup de poing. J’engage » dit le texte. » Et dans les Townships on danse aussi pour sa dignité.

Dans les chorégraphies de Salia Sanou se trouve toujours un thème, explicite ou caché. Ici, la boxe au féminin et, dans la vie, le combat quotidien des femmes. Être femme en Afrique – mais on pourrait dire dans n’importe quel pays du monde – demande d’être combattante et combative pour honorer ses différents cahiers des charges, le patriarcat ayant semé le trouble, les abus et la désolation. Salia Sanou questionne la place des femmes dans ce sport, la boxe, et son spectacle parle de fierté. Il se termine par un mouvement d’ensemble vif et joyeux, engagé, poing levé. Le chorégraphe prend la boxe comme « métaphore de la relation du Je et du Nous. »  Il mêle le chant, la musique, l’ardeur du chœur amateur qu’il convoque autour des danseurs, le quatuor des combattantes accompagnées de leurs mentors, dans leur beauté cachée.

À nos combats tourne depuis deux ans entre la France et le Burkina Faso. Les Zébrures-Francophonies de Limoges, parmi d’autres, l’avaient accueilli. Le spectacle est aujourd’hui au Théâtre de la Ville qui développe tout un programme de danse intérieur et extérieur, et poursuit sa route. Prochaine étape, les Cévennes.

Brigitte Rémer le 4 juillet 2024

© Nadège Le Lezec

Avec : Ousséni Dabaré, Marlène Guivier, Jérôme Kaboré, Fatou Traoré et les amateurs et amatrices Gabriela Aranguiz, Valérie Arbib, Louise Barzilay, Florine Bernardin, Nadia Charikhi, Sija Chen, Rosa Cisse, Édith Clavel, Amadou Diaby, Esther Ebbo, Nina Gonzalez, Olena Havrylchyk, Amir Kerkour, Élodie Leconte, Anne-Marie Lescastreyres, Sophie Mariez, Delphine Mayeko, Nour Noomane, Dominique Padeau, Michaël Pedreny, Monica Prada, Gilles Renaud, Jacqueline Samulon, Aida Sarr, Michèle Treillet, Aref Yasen. Musique : Losso Keita, Macéo Parker, Valentin Stip, Victor Démé, Fela Kuti, Manu Dibango, Grand Kalle – lumières Marie-Christine Soma – régie générale Rémy Combret – régie lumières Raphaël De Rosa.

Du 21 au 23 juin 2024 à 19h, le 24 juin 2024 à 20h, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet, 75004. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com. Prochaines représentations les 5 et 6 juillet 2024 à Alès, dans le cadre du Festival Cratère Surfaces, Place de Belgique.

D’un rêve

© Laurent Philippe

Conception et chorégraphie de Salia Sanou, avec la Compagnie Mouvements Perpétuels et le soutien du Centre de développement chorégraphique La Termitière à Ouagadougou – dans le cadre du Festival Montpellier Danse – à l’Opéra Berlioz/Corum de Montpellier.

Le parcours artistique de Salia Sanou s’est construit entre le Burkina Faso et la France, le danseur-chorégraphe a l’art de la rencontre. Initié aux rites et traditions bobo à partir de 1992, il s’est formé à la danse africaine avec Drissa Sanon, du ballet Koulédrafrou de Bobo Dioulasso ; Alasane Congo, de la MJC de Ouagadougou ; Irène Tassembedo, de la compagnie Ebène ; Germaine Acogny, du Ballet du Troisième Monde. Il rencontre Seydou Boro à l’Union Nationale des Ensembles Dramatiques de Ouagadougou et développe avec lui un projet chorégraphique autour de la danse contemporaine, loin des stéréotypes exotiques. Leur rencontre avec Mathilde Monnier en 1993, directrice du Centre Chorégraphique National de Montpellier, est fondamentale, elle leur donne carte blanche. Ils créent notamment Pour Antigone – Nuit – Arrêtez, arrêtons, arrête – Les lieux de là, puis fondent la compagnie Salia nï Seydou en 1995 et créent Le Siècle des fous. 

De nombreuses créations dessinent le parcours de Salia Sanou : L’Héritage, reçoit le premier prix en Art du spectacle lors de la Semaine Nationale de la Culture, au Burkina Faso ; Fignito l’oeil troué, obtient le Prix Découverte de RFI Danse, en 1998 ; Weeleni/L’Appel, pièce intimiste interprétée par des danseurs et musiciens originaires du Maroc et du Burkina Faso fait date, en 2002. De 2001 à 2006 Salia Sanou est directeur artistique des Rencontres Chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien, avec le soutien du Centre national de la Danse de Pantin. En 2006, il fonde et dirige avec Seydou Boro le Centre de Développement Chorégraphique La Termitière de Ouagadougou, avec l’aide de l’Ambassade de France. « Je suis très attaché à la circulation des cultures, ouvrant des espaces de sens et d’altérité, donnant à voir, à entendre et à comprendre la force de la création comme vecteur de tolérance » déclare-t-il.

En 2011 les chemins artistiques de Salia Sanou et Seydou Boro se séparent, chacun souhaitant développer son projet personnel. Ensemble ils gardent la direction artistique de La Termitière. Depuis 2010, date de la fondation de sa Compagnie, Mouvements Perpétuels, Salia Sanou oriente son travail de manière plus engagée, sur l’observation de l’état du monde et du réel. Il présente en 2016 Du désir d’horizons au Théâtre National de Chaillot à partir de son expérience dans des camps de réfugiés, au Burkina Faso et au Burundi où il avait animé des ateliers. En 2018/19 avec Multiple-s, il s’intéresse à la question de la représentation et du frottement des disciplines (danse, littérature et musique) par trois face-à-face qu’il présente : avec Germaine Acogny, fondatrice de l’École des Sables au Sénégal, dans De beaucoup de vous ; avec l’auteure Nancy Huston par sa poésie Limbes Limbo hommage à Samuel Beckett ; avec le compositeur-interprète Babx dans Et vous serez là.

Le Festival Montpellier Danse que dirige Jean-Paul Montanari suit depuis des années les créations de Salia Sanou et établit un véritable compagnonnage : en 2000, le chorégraphe a présenté Taagalà/ Le Voyageur ; en 2008, Poussières de sang ; en 2012, Au-delà des frontières ; en 2014, Clameurs des arènes. Aujourd’hui, en cette 41ème édition, il donne à voir sa pièce D’un rêve, qui cherche autour de la relation entre la danse, le chant et la musique.

Nous sommes dans un champ de coton qui recouvre le plateau, au cœur de la ségrégation et de la colonisation (scénographie Mathieu Lorry-Dupuy, lumière Marie-Christine Soma). Salia Sanou nous fait voyager dans le temps au son de gospels magnifiquement interprétés par quatre chanteuses qui reprennent entre autres la chanson de Billie Holiday, Strange fruits et s’inscrivent avec fluidité dans la chorégraphie. Des images montrent sur grand écran des manifestations qui rappellent les pires moments du peuple Afro-Américain (vidéo Gaël Bonnefon) jusqu’à ce que Martin Luther King exprime ce rêve collectif de justice et de liberté : « I have a dream… » Le coton est porté dans de grands paniers, le sol blanc s’efface, poussé par de grands balais, on entre comme dans une seconde partie du spectacle, en contraste avec la gravité et l’austérité de la première. « Seul l’espoir demeure » dit le texte, élaboré par le poète-slameur camerounais Marc Alexandre dit Capitaine Alexandre et l’auteur-compositeur-rappeur franco-rwandais Gaël Faye, un hymne à la vie, plein de couleurs et de rythmes. La création musicale est signée de Lokua Kanza, Congolais de RDC, chanteur et guitariste, multi-instrumentiste et compositeur. Chanteuses et danseurs dessinent des figures, sorte de quadrilles : une chanteuse/un danseur, deux chanteuses/deux danseurs.

Salia Sanou nous mène ensuite dans un contexte de music-hall aux néons colorés et aux costumes vifs où la joie de vivre éclate (costumes Mathilde Possoz). Tout devient ludique et flamboyant.  « Everybody want to dance like Joséphine Baker… » Des couples métissés commencent à se former, la chanson funk de James Brown, Sex machine permet un solo vigoureux. Deux groupes de percussions se forment et se mêlent aux musiques enregistrées et aux rythmes africains. Danseuses et danseurs se glissent dans des langages multiples avec beaucoup d’aisance. La dernière image les montre main levée en un acte de foi.

Avec D’un rêve, Salia Sanou propose une chorégraphie-spectacle chargé de sens et de poésie créant des passerelles avec d’autres artistes tout aussi talentueux que lui et dans une interprétation magistrale tant dans le chant que dans la danse. Artiste associé au Grand R Scène nationale de La Roche-sur-Yon – où il a présenté cette année Papa Tambour, poème de Capitaine Alexandre spectacle pour une interprète présenté dans les classes pour les enfants des écoles primaires – il poursuit sa route dans l’altérité et l’interculturel avec conviction et finesse.

Brigitte Rémer – Vu le 9 juillet 2021

Avec Lydie Alberto, Milane Cathala-Difabrizio, Ousséni Dabaré, Ange Fandoh, Mia Givens, Virgine Hombel, Kevin Charlemagne Kabore, Dominique Magloire, Lilou Niang, Elithia Rabenjamina, Marius Sawadogo, Akeem Washko. Musique Lokua Kanza – Texte Capitaine Alexandre et Gaël Faye – vidéo Gaël Bonnefon – scénographie Mathieu Lorry-Dupuy – lumière Marie-Christine Soma costumes Mathilde Possoz.

Du 8 au 10 juillet 2021 à l’Opéra Berlioz / Corum de Montpellier – Esplanade Charles De Gaulle – 34000 Montpellier – tél. : +33 0(4) 67 61 67 61 – site : montpellierdanse.com – tél. Montpellier Danse : 04 67 60 83 60.

En tournée, en 2021 : 24 septembre, Marrakech, biennale de la danse en Afrique – 21 octobre, Mâcon, Le Théâtre Scène nationale – 28 et 29 octobre, Bruxelles, Charleroi danse – 23 et 24 novembre, Alès, Le Cratère Scène nationale – 15 et 16 décembre, Annecy, Bonlieu Scène nationale – 19 décembre, Foix, L’Estive, Scène nationale. En 2022 : 11 janvier, La Roche-sur-Yon, Le Grand R Scène nationale – 10, 11, 12 février, Paris, Théâtre du Châtelet – 1er et 2 mars, Brive, L’Empreinte Scène nationale – 24 mars, Amiens, Maison de la Culture.

Du désir d’horizons

© Laurent Philippe

Chorégraphie Salia Sanou – compagnie Mouvements perpétuels – dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville – au CentQuatre/104, Paris.

Salia Sanou a travaillé dans les camps de Sag-Nioniogo et de Mentao, camps pour réfugiés maliens fuyant la guerre du Sahel, établis au Burkina Faso, son pays. Il y a animé des ateliers pendant plus de trois ans avec des danseurs, des comédiens, des musiciens et un cameraman photographe, dans le cadre d’un programme conduit par l’association African Artists for Development. Il avait auparavant effectué une courte mission au Burundi, pour le programme Refugees on the Move. Dans le prolongement des rencontres faites sur le terrain et pour garder trace, il choisit de témoigner de l’exil et du déracinement, et derrière la solitude, de l’espoir. Il opte non pas pour la voie documentaire mais pour la métaphore et le conte poétique. Il s’appuie pour cela sur le texte de Nancy Huston, elle-même s’inspirant de Cap au pire, un roman court et dense de Samuel Beckett datant de sa dernière période. « S’il s’agit de ce que j’ai éprouvé en tant qu’artiste dans les camps de réfugiés, je crois encore et encore que les mots me manquent pour arriver à décrire la violence et les conditions de vie indignes et insupportables. Très vite j’ai compris que c’est par la danse et seulement avec la danse que je pourrais » dit le chorégraphe.

La pièce Du désir d’horizons débute avec le solo d’un danseur, moment de solitude intense, dans le silence. Apparaissent ensuite un par un danseuses et danseurs, jusqu’à former un collectif. Tous sont différents et de couleurs minérales : terre, vieux rose, beige, ardoise, grège. La gestuelle d’ensemble, sur le flux et le reflux d’une partition de piano, bientôt se désagrège en gestes désordonnés, avant de s’échouer. « Les gens, à peine gens, frappés d’immobilité, ni d’ici ni de là, enfermés, sans savoir où aller » écrit Nancy Huston. On lutte pour la vie, on évite le naufrage au sens propre comme au figuré.

Tous les signes du corps disent le déséquilibre et les difficultés, l’agitation des pensées affleure, la nostalgie voyage. Un chant de l’adieu, une danse du couple se dessinent et s’effacent. Une trentaine de lits jusqu’alors empilés les uns sur les autres côté jardin se déplient et composent un dortoir. Des duos duels s’y forment et tous les psychodrames s’y développent. Les lits deviennent forêt de boucliers quand il faut régler des différends La récitante crée sa route labyrinthe dans le groupe des danseurs auquel elle appartient, on ne la repère pas immédiatement. La musique plus vigoureuse parfois, gronde dans des batucadas ou entraine les danseurs dans une ronde sirtaki offrant une parenthèse de détente collective. Parfois la vie reprend son cours et l’emporte, ainsi le marathon des motos, quatre motos clinquantes, tous phares allumés, qui pétaradent dans un manège bruyant et presque joyeux, ou qui se croisent en diagonales. Quand le corps se met en mouvement des horizons se reconstruisent, et pour un instant s’oublient l’absence de perspective, la violence et l’errance.

Tête de file du mouvement de danse contemporaine en Afrique sub-saharienne, Salia Sanou utilise son arme, la danse, pour faire parler les corps, donner un horizon et des espoirs, lutter contre la tentation de fermeture qui très vite peut s’installer. Avant la danse il s’était formé à l’art dramatique, il garde ici le texte pour fil d’Ariane. Au début des années 90 il se forme à la danse et intègre la compagnie de Mathilde Monnier à Montpellier où il danse dans Pour Antigone. Il se lance très vite dans la chorégraphie et crée en 1997, avec son ami et compatriote Seydou Boro, la compagnie, Salia nï Seydou. Tous deux rentrent au Burkina Faso en 2000 et mettent d’abord en place un festival, Dialogues de corps, avant de fonder le Centre de développement chorégraphique La Termitière dans un des quartiers populaires de Ouagadougou. En 2010 les chemins artistiques des deux amis se séparent et Salia Sanou crée sa compagnie, Mouvements perpétuels. Son expérience dans les camps le pousse aujourd’hui à travailler sur l’altérité, c’est un message fort qu’il transmet dans Du désir d’horizons à travers l’énergie des danseurs et leur liberté, et par la dramaturgie qu’il construit.  « L’horizon c’est le futur, c’est l’espoir, dès lors je m’autorise à rêver un monde meilleur sans en gommer la cruauté et l’absurdité. Ainsi le travail avec les interprètes se déplie en tableaux qui s’inscrivent dans une traversée où tous les possibles peuvent advenir. » Il convie le public à cette traversée.

Brigitte Rémer, le 15 avril 2018

Avec Valentine Carette, Ousséni Dabaré, Catherine Denecy, Jérôme Kaboré, Elithia Rabenjamina, Mickaël Nana, Marius Sawadogo, Asha Imani Thomas – texte de Nancy Huston, extraits de Limbes, Limbo, Un hommage à Samuel Beckett (publication Actes Sud, en 2000) à partir de Cap au pire de Samuel Beckett (publication aux Éditions de Minuit, en 1982) – scénographie Mathieu Lorry-Dupuy – création lumières Marie-Christine Soma – création musicale Amine Bouhafa.

Du 12 au 14 avril 2018, au CentQuatre/104 – 109 rue Curial, 75019 – métro : Riquet. Tél. : 01 53 35 50 00 – site : www.104.fr – dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville, tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com

Tournée 2018 : 9 et 10 mars, Tanzhaus de Düsseldorf, Allemagne – 13 mars, L’Onde, Vélizy Villacoublay – 23 et 24 mars, Internationaal kunstcentrum deSingel, Anvers, Belgique – 27 au 29 mars, Maison de la Danse, Lyon –  5 et 6 avril, Pôle Sud, Strasbourg – 20 avril, Les Quinconces, Le Mans – 15 mai, Espace des arts, Chalon-sur-Saône – 18 mai, Le Moulin du Roc, Niort – 8 juin, Teatro municipal do Porto, Portugal – 19 juin, Le Théâtre, Narbonne.

 

 

Clameur des Arènes

Conception et chorégraphie de Salia Sanou, avec huit danseurs et quatre musiciens. Compagnie Mouvements perpétuels. Au Tarmac – La Scène internationale Francophone.

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Crédit photos © Marc Coudrais

Danseur et chorégraphe engagé depuis une vingtaine d’années dans la recherche de langages chorégraphiques singuliers, Salia Sanou travaille à partir de sa terre d’origine le Burkina Faso, et de ses expériences françaises.

En France, il a notamment participé comme danseur, puis comme chorégraphe, aux créations du Centre chorégraphique national de Montpellier dirigé par Mathilde Monnier, il a été artiste associé à la Scène nationale de Saint-Brieuc, puis en résidence au Centre national de la Danse. Au Burkina-Faso où il a été formé à la danse et au théâtre, il dirige avec Seydou Boro la biennale Dialogues de Corps de Ouagadougou, qui propose des résidences d’écriture, des ateliers et des rencontres autour d’une programmation internationale de danse. Puis ils fondent tous deux en 2006, à Ouaga, le premier Centre de développement chorégraphique africain, Termitière. En 2011, il crée sa Compagnie, Mouvements Perpétuels, implantée à Montpellier et chorégraphie Au-delà des frontières, pour le Festival Montpellier Danse, l’année suivante. Son implication pour le développement de la danse dans le monde est régulièrement saluée et récompensée.

Avec Clameur des Arènes, sa démarche s’inscrit dans une proximité entre l’art de la danse et la lutte, sport qui le fascine, très populaire au Sénégal car emblématique de la position sociale autant que du combat pour la vie. Il est entouré de trois danseurs et cinq lutteurs, graves et sculpturaux, qui mènent le spectateur sur un chemin initiatique et jusqu’au cœur du sujet, l’arène, qui sera ce moment de lutte finale où ils s’affronteront avec puissance et grâce. Il est porté par la création musicale d’Emmanuel Djob – dont la voix de gospel aux profondeurs ancestrales marque les différentes séquences de la chorégraphie – interprétée en direct par quatre musiciens chanteurs, sensibles et à l’écoute.

Quand danseurs et lutteurs prennent lentement possession du plateau, tout est concentration et gravité, rituel et gestes sacrés. L’environnement scénographique de Mathieu Lorry Dupuy construit une installation en fond de scène, composée de coussins aux formes pulpeuses, couleur carmin, soigneusement alignés dans une structure de bois. Elément vivant, il devient aussi mur d’entraînement dans lequel se fondent les danseurs.

Des jeux d’étoffe de même couleur donnent de la grâce et de la maitrise aux mouvements d’ensemble – visages cachés, puis voilés – jusqu’à la confection d’un pagne qui se superpose au premier, et s’ajuste en dansant. Les musiciens aux aguets accompagnent finement les différents moments chorégraphiques, laissant des respirations et des silences : ensembles, quadrilles, dialogues, gestuelles en décalage, l’individualité s’écrit avec le collectif. L’énergie évoque Béjart dans sa Messe pour le temps présent, elle conduit à la danse traditionnelle, avec son ancrage à la terre et l’écoute de la forêt. Les bras s’ouvrent comme chauves-souris aux ailes de grande amplitude sous les lumières crues d’Eric Wurtz qui accompagnent glissements, déhanchements, croisements, jeux rituels et guerriers. Puis un cercle s’élabore, avec des sacs que les danseurs déposent, délimitant ainsi l’aire des lutteurs, savamment agencée.

Alors deux clans s’affrontent, soutenus chacun par ses supporters, ainsi que par les musiciens entrant dans l’espace de jeu, pour les porter. Echauffement, mise en spectacle, arrêt, reprise, conciliabule, intimidation, parade, passage de témoin, coups de griffes, pattes de velours, tête contre tête, espace de liberté du corps, de l’expression, de la sensualité. Il n’y a aucune agressivité. Nous sommes au coeur des pratiques magiques et de la liberté des corps. Danseurs et lutteurs remontent ensuite lentement le plateau, masqué d’un tissu blanc où se dépose l’empreinte de leur sueur, puis ils sortent, un à un, comme ils sont venus.

« Le projet illustre pour moi une confrontation passionnante du spectaculaire en Afrique » dit Salia Sanou. « Qu’il s’agisse des conseils de famille, des cérémonies rituelles, des enterrements, des baptêmes, des fêtes pour les mariages. L’espace délimité est le cercle, c’est-à-dire le Fogo qui définit en soi l’espace du dedans vers le dehors. C’est, d’une certaine manière, la configuration de l’arène qui contient l’espace émotionnel, et, de façon tout à fait inconsciente, rassemble de façon collective. » Il y a tant de fluidité dans la gestuelle et de délicatesse qu’on ne sait plus qui est lutteur et qui danseur. La disparité des techniques s’efface et la présence de tous et de chacun participe d’une sorte de chant choral.

Brigitte Rémer le 21 février 2015

Avec, en alternance, les danseurs : Ousséni Dabaré, Jérôme Kaboré, Ousséni Sako, Ousséni Dabaré, Jérôme Kaboré, Romual Kaboré, Konan Jean Kouassi, Jean-Paul Mehansio, Nicolas Mombounou, Pape Ibrahima Ndiaye, Ousséni Sako, Marius Sawadogo, Marc Veh –  Les musiciens : Emmanuel Djob, Bénilde Foko, Elvis Megné, Séga Seck musique créée et interprétée par Emmanuel Djob – création sonore et mix live Hughes Germain – scénographie Mathieu Lorry Dupuy – lumière Eric Wurtz – régie Générale Rémi Combret – administration de production Stéphane Maisonneuve

Vu au Tarmac, scène internationale francophone, 159 avenue Gambetta. 75020. Paris – métro : Gambetta – Tournée en France de février à avril 2015 : Hivernales d’Avignon, le 23 février – Scène nationale de Narbonne, le 27 février – Scène nationale de Chambéry, le 3 mars – Arsenal Metz en scène le 2 avril – Théâtre de Grasse, les 10 et 11 avril – Le Moulin du Roc Scène nationale de Niort, le 14 avril.