Chorégraphie de Bouziane Bouteldja, compagnie Dans6T, au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine.
Danseur et chorégraphe, Bouziane Bouteldja dirige la compagnie, Dans6T depuis 2007 et crée sa première pièce, Pas si compliqué, en 2009. Il avait auparavant pratiqué la break dance et côtoyé les chorégraphes du hip hop tels que Karim Amghar, Kader Attou, Tayeb Benamara et Olé Khamchania tout en s’ouvrant à la danse contemporaine. De ces métissages est née sa danse d’aujourd’hui dans une dimension sociale et une démarche citoyenne : le chorégraphe monte des projets participatifs et militants, des actions de formation entre autres en milieu scolaire, il est engagé dans la Politique de la ville, à Tarbes où la Compagnie travaille et mène des projets dans les quartiers. Pour Ruptures, les danseurs viennent d’horizons différents – d’Algérie, de France et du Maroc – d’expériences diverses, de différents styles de danses. Ils repoussent toute vulnérabilité et trouvent une énergie commune ici parfaitement maîtrisée.
Ruptures, qui s’interroge sur les déplacements de population, travaille sur la perception de l’autre. La pièce débute par un solo acrobatique, avant que les danseurs ne s’alignent dos au public agitant les bras, mains et coudes, comme des sémaphores désarticulés, travaillant la fluidité et les asymétries. Pieds nus, en short et tee-shirt noir, ils laissent des traces sur la terre qui recouvre le plateau et qui, plus tard formera en s’envolant, comme des fumeroles et un épais brouillard.
La musique est puissante, multiforme, électronique, parfois aquatique mettant en jeu des cordes, parfois déchaînée allant jusqu’au tonnerre (création musicale Arnaud Vernet Le Naun). Il y a une dramaturgie de la musique, le compositeur et le chorégraphe ont fait voyage commun à travers plusieurs spectacles, il y a aussi une dramaturgie de la chorégraphie. On traverse des moments d’hésitation, de désespoir avec spasmes et tremblements, de déchirements intérieurs. Les corps ne se touchent pas. Certaines séquences comme des rituels de mort appellent l’apocalypse, on pense à Jérôme Bosch. Puis on se trouve soudain dans le magma, au centre de la terre, ou dans l’évocation de l’animalité. Parfois, le mouvement se suspend et chaque danseur réinvente une histoire, peut-être la sienne. Plus tard, au sol, les visages posés contre la terre brune se pétrifient et les lumières latérales font effet de radiations (lumière de Cyril Leclerc). Un rideau de pluie soudain troue l’horizon de la scène, comme auprès d’une oasis les danseurs s’y rafraîchissent et mènent leur lutte avec l’ange (scénographie Clément Vernerey).
Dans Ruptures les énergies circulent, il y a comme un chœur ou une vague qui emporte tout. L’alphabet chorégraphique de Bouziane Bouteldja est riche et multidimensionnel, il puise dans différentes cultures et styles – entre autres, les danses gnawas et sud-africaines, les rites anciens de la fertilité – et cultive une danse sociale, au même titre que Lia Rodrigues le fait au Brésil. Pour Ruptures le chorégraphe s’est nourri du Sel de la terre du photographe Sebatião Salgado ; de l’Atlas de l’Anthropocène de François Gemenne et Aleksandar Rankovic qui mettent en images le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la pollution atmosphérique et les catastrophes naturelles ; de Sapiens, une brève histoire de l’humanité et d’Homo Deus, une brève histoire de l’avenir, de l’historien Youval Noah Harari.
Ici, des figures acrobatiques virtuoses transforment les danseurs en toupies, ils forment cercle, à genoux et tournent sur eux-mêmes, au sol. La femme porte l’homme, des crépitements surgissent, des rires se suspendent, des jeux de miroir démultiplient les danseurs et les gestes. La lumière baisse accompagnant le solo d’une femme, la peur, la solitude reviennent en lame de fond. Les danseurs se referment. La chorégraphie est pleine de grâce et nous tend la main.
Brigitte Rémer, le 10 décembre 2022
Interprétation : Mathide Rispal, Clara Henry, Alison Benezech, Zineb Boujema, Faouzi Mrani, Redouane Nasry, Med Medelsi – assistante chorégraphique Alison Benezech – création musicale Arnaud Vernet Le Naun – lumière Cyril Leclerc – scénographie Clément Vernerey.
Vu le 2 décembre 2022 au Théâtre Jean Vilar de Suresnes, 1 Place Jean Vilar, 94400 Vitry-sur-Seine – tél. : 01 55 53 10 60 – site : theatrejeanvilar.com et www.dans6t.com – en tournée : 17 et 19 janvier 2023, Foix, L’estive scène nationale – 21 janvier 2023, Saint Gaudens,Théâtre Jean Marmigon – 24 janvier 2023, Albi, Scène nationale.
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