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Plenum / Anima

Musiques de Johann Sebastian Bach, Alexandre Borodine, Igor Stravinski – chorégraphies de Benjamin Millepied, Jobel Médina, Idio Chichava / Compagnie Converge +, L.A. Dance Project –  Orgue, Olivier Latry et Shin-Young Lee – à la Philharmonie de Paris/Grande Salle Pierre Boulez.

© Ondine Bertrand

L’orgue est à l’honneur dans cette grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris et résonne en majesté sous les doigts de deux musiciens : Olivier Latry, organiste titulaire de Notre-Dame de Paris à l’âge de vingt-trois ans et organiste émérite de l’Orchestre national de Montréal, invité des plus grands orchestres et qui se produit dans les salles les plus prestigieuses du monde ;  Shin-Young Lee, née en Corée du Sud dans une famille de musiciens, qui commence le piano dès son plus jeune âge, puis l’orgue, et qui se  produit dans les lieux les plus prestigieux. Ils jouent Stravinski à quatre mains dans la seconde partie du spectacle.

© Ondine Bertrand

Deux musiciens, trois pièces/trois chorégraphes et les danseurs des compagnies L.A. Dance Project de Benjamin Millepied et Converge + de Idio Chichava, tous remarquables, qui conversent avec la noblesse de cet instrument à vent. On est dans la danse à l’état pur, virtuosité au rendez-vous pour ce Plenum/Anima autour du souffle – celui de l’instrument et celui des danseurs – de l’âme et de la psyché, autant dire de la vie.

La première partie se compose de deux chorégraphies relativement courtes. La première, sur la Passacaille et fugue BWV 582 de Johann Sebastian Bach (1685-1750) – seule pièce du programme écrite pour orgue, les deux autres étant des transcriptions – sur une chorégraphie de Benjamin Millepied. Huit danseurs pour sept motifs musicaux et trois variations au centre de néons délimitant l’espace de la danse (Masha Tsimring, lumières).  Inspirée de la vie du Christ, l’oeuvre date du début du XVIIIème, moment où le jeune JS. Bach reçoit l‘enseignement d’un grand organiste de l’époque, Dietrich Buxtehude installé à Lübeck, ville active sur le plan musical et qui composait autant pour le public local que pour les liturgies. Le mot Passacaille a pour source espagnole les mots pasar/marcher et calle/rue, même si cette forme musicale est d’abord apparue en Italie au XVIIème siècle. Elle est née comme danse populaire et était jouée par des musiciens ambulants, avant que la noblesse ne l’accapare. Dans une esthétique globalement néo-classique où dialoguent d’autres styles de danses et signes gestuels, les danseurs se glissent dans un mouvement lent, plein de douceur au son de la basse sur laquelle s’appuie toute passacaille. Vêtus de longues robes ou tuniques comme pour une liturgie profane, vêtements fluides jouant du noir et du blanc (costumes d’Alessandro Sartori, pour Ermenegildo Couture) ils inventent toutes sortent de marches, courses, rencontres, travail au sol ou dans les airs dans différentes configurations et géométries, avec suspension parfois des mouvements sur la musique qui inlassablement se poursuit.

© Ondine Bertrand

La seconde pièce de cette première partie est signée du chorégraphe Jobel Médina, qui a collaboré au spectacle de Benjamin Millepied présenté l’automne dernier, Grace-Jeff Buckley Dance. en hommage au musicien très tôt disparu. Six danseurs interprètent les Danses Polovtsiennes, d’Alexandre Borodine (1833-1887), à l’origine un ensemble accompagné d’un chœur, dans le deuxième acte de l’opéra Le Prince Igor, œuvre inachevée. Michel Fokine en avait créé la chorégraphie pour les Ballets Russes, au Théâtre du Châtelet, à Paris, en 1909. Pour Plenum/Anima, Shin-Young Lee prend place devant le majestueux orgue aux quatre claviers et nombreuses pédales, côté cour du plateau là d’où je suis située, elle a la charge d’interpréter la vaste palette des cinq danses populaires, les Polovtsiennes dans un corps à corps absolu avec l’instrument, troublant pour le spectateur. Les danseurs du L.A. Dance Project en donnent les variations, entre solos, duos, marches dans la ville, étirements et rencontres urbaines, on a un peu de mal à trouver le cœur du sujet, on se laisse porter. Philippin d’origine, Jobel Médina vit et travaille à Los Angeles et croise différentes disciplines comme la danse, la performance, l’art contemporain, la photographie et le cinéma.

© Ondine Bertrand

Après l’entracte, interprété à quatre mains par les deux organistes – Olivier Latry et Shin-Young Lee, mari et femme à la ville – le Sacre du Printemps, tableau de la Russie païenne en deux parties composé par Igor Stravinski (1882-1971) ouvre son chant poétique à la compagnie Converge + de Idio Chichava travaillant entre la France et le Mozambique, certains de ses danseurs se mêlant aux danseurs du L.A. Dance Project. Nous avions vu de lui en 2024, Vagabundus présenté à l’Atelier de Paris et en avions rendu compte dans notre article du 9 juin 2024.

La partition est d’une richesse, d’une complexité rythmique et harmonique, d’une puissance et d’une sauvagerie, nouvelles dans l’œuvre de Stravinski, composée pour orchestre symphonique. « J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, en observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps » écrivait-il. L’orgue doit ici rendre compte des cuivres et des bois avec ses différentes clarinettes, du basson et des percussions, des rythmes saccadés et des chants plus aériens, quatre mains ne sont pas de trop. Stravinski, pianiste lui-même en avait écrit l’adaptation pour piano à quatre mains. Lorsque Debussy entendit cette version quelques temps avant la création, il lui écrivit : « Votre Sacre me hante comme un beau cauchemar, et j’essaye vainement d’en retrouver la terrible impression… C’est pourquoi j’en attends la représentation comme un enfant gourmand auquel on aurait promis des confitures. »

Dirigée par Pierre Monteux, l’œuvre a été créée dans une chorégraphie de Vaslav Nijinski par les Ballets russes de Diaghilev au théâtre des Champs-Elysées, le 29 mai 1913. Elle a provoqué un véritable scandale artistique et l’une des plus grandes controverses de l’histoire de la musique. Le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez la décrit comme « une sorte de barbarie très bien étudiée, qui a tout l’air d’une barbarie, mais qui, en fait, est un produit extrêmement élaboré. » La première partie, des Augures printaniersdanses des adolescentes et Rondes printanières, à L’Adoration de la Terre où tout est joie et où l’on danse la Terre, se développe avec légèreté et insouciance. La seconde partie, Le Sacrifice, depuis les Cercles mystérieux des adolescentes à L’Action rituelle des ancêtres suivie de la Danse sacrale finale, offre une montée dramatique vertigineuse. Tous les grands chorégraphes ont affronté l’oeuvre de Stravinski, pour n’en citer que quelques-uns Maurice Béjart en 1959, Pina Bausch en 1975, Martha Graham en 1984, Angelin Preljocaj en 2001. Certaines versions ont fait date.

© Josh S. Rose

L’aspect rituel de l’œuvre s’inscrit entre l’orgue, sobre ou qui se déchaîne, et les concepts chorégraphiques de Idio Chichava. Converge + travaille entre le traditionnel et le contemporain, conduit les danseurs à faire corps, corps global, organique et social où chacun à tour de rôle est un potentiel leader. Ici, la rencontre entre les danseurs de la compagnie et ceux du L.A. Dance Project est d’autant plus intéressante que, malgré des techniques différentes, elle crée de l’horizontalité et du partage. Les costumes (de Coline Omasson) sont de couleur chaude et minérale, blanc, terre, ocre, rouille. Une folle énergie s’empare du plateau, quatre hommes et quatre femmes avec des solos éblouissants, des sauts, le travail des jambes, la mobilité. On s’ancre dans la terre. Il y a l’appel par la voix et les incantations qui affleurent, la transe, la course, le saut, le tribal, les mouvements d’ensemble. Il y a des élu(e)s, le souffle et la prière expiatoire. Le rythme des danseurs épouse le tremblé et les sinuosités du grand-orgue blanc où ils stationnent à certains moments, assis sur une marche autour des organistes hyper-concentrés, faisant le pont entre la musique et la danse.

Fondé en 2012 à Los Angeles, le L.A. Dance Project de Benjamin Millepied, directeur artistique, table sur la contamination des cultures au sens le plus positif du terme et selon le concept de l’ethno-sociologue Jean Duvignaud, tout en gardant le cap sur l’excellence. Plenum / Anima en cela est une réussite et un pas en avant vers l’expérimentation de la rencontre. Entre la France et les États-Unis, Benjamin Millepied poursuit avec détermination sa quête des ailleurs.

Brigitte Rémer, le 10 février 2025

Programme : Johann Sebastian Bach, Passacaille et fugue BWV 582- Alexandre Borodine, Danses Polovtsiennes – Igor Stravinski, Le Sacre du printemps (version pour piano quatre mains du compositeur) – Orgue : Olivier Latry, Shin-Young Lee – Chorégraphes : Benjamin Millepied, Jobel Medina, Idio Chichava – Danseurs/euses, L.A. Dance Project : Lorrin Brubaker, Jeremy Coachman, Daphne Fernberger, David Adrian Freeland Jr., Shu Kinouchi, Audrey Sides, Hope Spears, Nayomi Van Brunt – Danseurs/euses, Compagnie Converge+ : Osvaldo Passirivo, Paulo Inacio, Cristina Matola.

Équipe technique : Masha Tsimring, lumières – Alessandro Sartori, pour Ermenegildo Couture, costumes de Passacaille et fugue BW 582 – Coline Omasson, costumes des Danses Polovtsiennes et du Sacre du Printemps Équipe administrative : Sebastien Marcovici, directeur artistique associé – Nathan Shreeve-Moon, directeur de production – Alisa Wyman, production et manager tournée – Venus Gulbranson, éclairagiste – Elisabeth Herst, manager de scène – Silvana Pombal, productrice Compagnie Converge+ – Coproduction L.A. Dance Project, Philharmonie de Paris.

Présenté le samedi 8 février à 20h et le dimanche 9 févier à 15h et 20h – Philharmonie de Paris/ Cité de la musique/Grande Salle Pierre Boulez, 221 avenue Jean Jaurès. 75019 Paris – métro : Porte de Pantin – tél. : 01 44 84 44 84 – site : www.philharmoniedeparis.fr

Triade – Moving Parts – Me.You.We.They.  

Trois pièces chorégraphiques de Benjamin Millepied, L.A. Dance Project, Le Balcon – musique Nico Muhly, direction Maxime Pascal et le collectif Le Balcon – orgue Alexis Grizard – à la Philharmonie de Paris-Cité de la Musique /La Villette.

Me.You.We.They.© Antoine Benoit-Godet

C’est une histoire d’amitié entre deux artistes qui se sont rencontrés en 2006 – Benjamin Millepied, chorégraphe, réalisateur et danseur, directeur de la compagnie L.A. Dance Project et Nico Muhly, compositeur – en même temps qu’un moment chorégraphique et musical intense. Ensemble, au fil de leurs parcours, ils ont notamment réalisé pour l’American Ballet en 2007, Theatre From Here On Out/À partir de maintenant ; pour l’Opéra de Paris en 2008, Triade ; pour le Dutch National Ballet en 2010, One Thing Leads to Another ; pour L.A. Dance Project en 2012, Moving Parts. Et ils ont fondé en 2022 avec Qatar Creates et Qatar Museums, un festival de danse international, Festival in Motion.

Benjamin Millepied et Nico Muhly présentent aujourd’hui dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris une nouvelle version de Triade et de Moving Parts, et ils signent ensemble une nouvelle création, Me.You.We.They. sous la direction musicale de Maxime Pascal et du collectif Le Balcon, qu’il a fondé.

Triade © Antoine Benoit-Godet

Triade, la première pièce du programme, fut créée en 2008, en hommage à Jérôme Robbins qui dirigea le New York City Ballet où Benjamin Millepied dansa, de 1995 à 2011, chorégraphe qui l’inspira. Écrite pour quatre danseurs, cette pièce fait alterner les sons cristallins de sonnailles aux variations de type asiatique – enregistrés sur une bande son – avec les mélodies des trombones, le décalé et les suspensions du piano. Tout est rythme. Un premier danseur vêtu de noir s’élance en solo et se déploie comme un gerfaut en plein vol, multipliant pirouettes et saltos avec beaucoup de grâce. Il est suivi d’un second danseur en débardeur rouge, dégageant une certaine puissance. Un dialogue s’engage entre eux avant que ne s’avance une danseuse vêtue d’une mousseline courte couleur brun-roux, formant un duo qui bientôt devient jeu à trois, portés de l’un à l’autre au son du piano qui monte de plus en plus et rythme la séquence. Une seconde danseuse, short et haut de dentelle, noirs, se fond dans la danse. Le danseur la regarde, une chorégraphie à quatre s’élabore, suivie d’une danse en duos. Légère comme une plume dans les portés et défiant les lois de la gravité, le duo vêtu de noir s’envole sur notes répétitives du piano solo. Puis vient un autre duo sur fond de jeux de la séduction, avant que tous dansent sur piano forte. Arrivent les trombones, entre énergie et ralentis, qui accompagnent les deux duos, interprétés de manière plus fantaisiste et acrobatique. Puis le dialogue avec le piano reprend et telle une sculpture, les danseuses retrouvent le sol. De toute beauté, cette pièce apporte une impression de fragilité-cristal.

Moving Parts © Antoine Benoit-Godet

La seconde pièce du programme, Moving Parts a été créée en 2012 pour six danseurs et se dessine à travers des praticables-murs qui roulent et voyagent à divers endroits du plateau formant différentes figures. Recouverts d’écritures, de lettres et de chiffres, de clés de sol type graffitis ces structures permettent construction – déconstruction, apparitions -disparitions (installation visuelle Christopher Wool). Elle débute par le solo d’un danseur, pantalon noir, gilet clair, qui vole et tourne avec vivacité au son de la clarinette sur lequel se greffent orgue et violon. Puis apparaît une danseuse portant une robe argentée et un danseur, ils dansent au sol en duo, sur une variation de musiques douces ; leurs gestes sont vifs. Suit un splendide solo pour orgue, on aperçoit le musicien placé très haut, face au public, dans cette grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris aménagée pour la danse. Un homme, un cri, un appel, le groupe est au sol et exécute un remarquable travail des bras similaire aux battements d’ailes. Puis s’enchaîne, sur un morceau de violon sans archet, un duo puissant interprété par deux danseurs, suivi d’un solo homme puis d’un solo femme sur clarinette, auxquels se joignent les autres danseurs sur la musique d’orgue, lancinante et créative. Alexis Grizard, organiste, se produit régulièrement en solo, avec ensemble de musique de chambre ou avec orchestre, il a participé entre autres en 2021 à l’enregistrement d’une intégrale de l’œuvre d’Olivier Messiaen à la cathédrale Saint-Étienne de Toul.

Me.You.We.They. © Antoine Benoit-Godet

Après un entracte, la seconde partie de la soirée donne à voir et à entendre en création mondiale Me.You.We.They. pièce pour dix danseurs et orchestre de chambre – ici le collectif Le Balcon dirigé par Maxime Pascal – construite sur la base d’un tempo uniforme et de figures musicales qui reviennent et se répètent, comme un ressac. « Tout est parti d’une conversation avec Benjamin Millepied alors que nous arpentions ensemble le désert du Qatar : nous imaginions la pulsation d’une note unique explosant ensuite en différentes variations » dit Nico Muhly le compositeur, qui souligne cette note avec un trio de vents et ajoute : « Un choral assez développé confié à deux vibraphones et un célesta accompagne la ligne soliste des vents. Suit une dernière section beaucoup plus épineuse qui explose en une conclusion à la joie presque menaçante. »

Me.You.We.They. © Antoine Benoit-Godet

Alignés au fond du plateau le long du rideau noir de scène, une dizaine de musiciens, noir sur noir, avec leurs instruments dont un grand tambour. Salutations des danseurs aux musiciens. Cela commence par des percussions cristallines sur un duo. Répartis de chaque côté du tapis de danse, de cour à jardin, les danseurs sont assis au sol, attendant le moment de leurs entrées et sorties. Trios et duos, pieds nus ou pas, sur flûtes et vents, légers, tour à tour, puis tous, précis et libres. Les costumes sont de couleur gris-vert foncé (costumes Camille Assaf pour les trois pièces). Entre dans le mouvement, en contrepoint, une danseuse, élégante jupe plissée sur envers jaune qui tourne de manière ludique sur des sons aigus, pépiements, flûtes et violons. Il y a quelque chose d’aquatique sur scène et des moments de suspension. Puis le tambour major ponctue la danse de deux femmes en duos, de manière vertigineuse, elles s’élèvent et virevoltent. Suit une montée musicale pour duo argenté, sur petites notes continues et un travail sur les cercles qui se font et se défont. Mouvement vif, marqué par les cloches. Tambour, accélération jusqu’à ce que l’un, puis tous, s’immobilisent. C’est à la fois riche et épuré, d’une grande beauté et correspondance entre la musique et le geste. La chorégraphie se fond dans la partition et le moment musical, et l’inverse, dans ce dialogue fécond entre deux artistes, Benjamin Millepied avec les danseurs du L.A. Dance Project et Nico Muhly avec la formation Le Balcon et son chef, Maxime Pascal qui entrent dans la danse. Il y a du monde sur le plateau.

Moving Parts © Antoine Benoit-Godet

Chorégraphe, réalisateur et danseur, Benjamin Millepied s’est formé au Conservatoire de Lyon avant de rejoindre la School of American Ballet de New York puis d’intégrer en 1995 le New York City Ballet dont il devient principal dancer en 2001 et où il interprète des ballets de George Balanchine et Jerome Robbins entre autres. Il a travaillé pour les plus grandes compagnies aux États-Unis et en Europe dont le San Francisco Ballet, le ballet de l’Opéra de Paris, le Mariinsky Ballet, le Staatsballett Berlin. Il a toujours collaboré avec d’autres artistes dont les compositeurs Nicholas Britell, David Lang, Bryce Dessner. En 2002 il fonde Danses Concertantes, un ensemble issu du New York City Ballet et c’est en 2012 qu’il cofonde la compagnie de danse, L.A. Dance Project, basée à Los Angeles. De 2014 à 2016 il prend la direction du ballet de l’Opéra de Paris et commande de nouvelles œuvres à de nombreux chorégraphes – William Forsythe, Justin Peck, Jérôme Bel, Wayne McGregor, Crystal Pite, Tino Seghal, Nico Muhly et James Blake. Côté cinéma Il signe la chorégraphie du film Black Swan de Darren Aronofsky en 2010, se trouve au cœur du documentaire Reset qui suit son travail au ballet de l’Opéra, en 2015, réalisee plusieurs courts métrages sur la danse. Carmen, son premier long-métrage, est sorti en France en 2023.

Compositeur américain, Nico Muhly est l’auteur d’œuvres orchestrales, de musique de chambre et de musique sacrée, il compose également pour la scène, et pour des bandes originales de films. Il collabore avec des artistes contemporains comme Maira Kalman et Oliver Beer, et avec des institutions comme la National Gallery de Londres et l’Art Institute de Chicago, pour lesquelles il a créé des pièces sur mesure. Son travail se nourrit de nombreuses collaborations, avec des chorégraphes comme Benjamin Millepied au ballet de l’Opéra de Paris, Bobbi Jene Smith à la Julliard School, Justin Peck et Kyle Abraham au New York City Ballet, des artistes musicaux comme Sufjan Stevens, The National, Teitur, Anohni, James Blake, Paul Simon. il est aussi cofondateur du label indépendant Bedroom Community, qui a édité ses deux premiers albums Speaks Volumes, en 2006 et Mothertongue, en 2008.

De g. à dte, Nico Muhly, Maxime Pascal, Benjamin Millepied, musiciens et danseurs © Antoine Benoit-Godet

A la direction d’orchestre, Maxime Pascal qui a fondé en 2008 le collectif Le Balcon, avec Florent Derex, ingénieur du son, Alphonse Cemin, pianiste et chef de chant et trois compositeurs : Juan Pablo Carreño, Mathieu Costecalde et Pedro García-Velásquez. Il explore un répertoire lyrique, symphonique et chambriste – avec une prédilection pour la période allant de 1945 à nos jours – en effectuant un travail ambitieux sur la spatialisation et la diffusion du son. Il est invité à diriger de nombreux orchestres en France – il a collaboré à plusieurs reprises avec l’Opéra national de Paris – en Europe, au Japon et en Amérique du Sud et défend aussi bien des créations lyriques de notre temps que des opéras du répertoire.

La conjugaison de leurs talents, la virtuosité en même temps que la liberté des danseurs de L.A. Dance Project interprétant les trois pièces du programme, de nature différente, sont un moment de grâce. La création, Me.You.We.They. apporte, dans sa simplicité et son amplitude, un certain magnétisme dont il est difficile de sortir en quittant la salle.

Brigitte Rémer, le 7 avril 2024

Danseurs du L.A. Dance Project © Antoine Benoit-Godet

Avec les danseurs, compagnie L.A. Dance Project : Courtney Conovan, Jeremy Coachman, Lorrin Brubaker, Daphne Fernberger, David Adrian Freeland Jr, Eva Galmel (danseuse invitée), Shu Kinouchi, Audrey Sides, Hope Spears, Nayomi Van Brunt – direction de la production, Nathan Shreeve-Moon – régie, Betsy Herst – création lumière associée Venus Gulbranson – création costumes associée Aliénor Figueiredo – organisation des tournées Alisa Wyman. Direction artistique, Benjamin Millepied – direction exécutive, Lucinda Lent – Benjamin Millepied, chorégraphie – Nico Muhly, musique – Le Balcon, Maxime Pascal, direction d’orchestre – Alexis Grizard, orgue – coréalisation La Villette, Philharmonie de Paris – coproduction L.A. Dance Project, Philharmonie de Paris – avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet, Grande Mécène Fondatrice de Musique en Scène.

Collectif Le Balcon, musiciens – et danseurs

Triade, tribute to Jerome Robbins, pour 4 danseurs – chorégraphie Benjamin Millepied – musique Nico Muhly, avec l’aimable autorisation de Première Music Group – costumes Camille Assaf – création lumière Masha Tsimring – création le 20 septembre 2008, à l’Opéra Garnier, Paris – Maxime Delattre, tromboneSébastien Gonthier, trombone basse – Alphonse Cemin, piano  (21 minutes environ) – Moving Parts, pour 6 danseurs – commande Glorya Kaufman Presents Dance at the Music Center, Los Angeles (CA) – chorégraphie Benjamin Millepied – musique Nico Muhly, avec l’aimable autorisation de Première Music Group – costumes Camille Assaf – création lumière Masha Tsimring – installation visuelle Christopher Wool – création le 22 septembre 2012, au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles (CA) – musiciens Hélène Maréchaux, violon – Iris Zerdoud, clarinetteAlexis Grizard, orgue, (25 minutes environ) – Me.You.We.They, pour 10 danseurs – chorégraphie Benjamin Millepied, en collaboration avec les danseurs de L.A. Dance Project – musique : One Speed, Many Shapes de Nico Muhly, avec l’aimable autorisation de Première Music Group – costumes Camille Assaf – création lumière : Masha Tsimring – création le 29 mars 2024, à la Philharmonie de Paris – musiciens : Hélène Maréchaux, violon – Laura Vaquer, violon – Elsa Seger, alto – Askar Ishangaliyev, violoncelle – Héloïse Dély, contrebasse – Claire Luquiens, flûte – Quentin d’Haussy, hautbois – Ghislain Roffat, clarinette – Julien Abbes, basson – Joël Lasry, cor – Henri Deléger, trompette – Maxime Delattre, trombone – François-Xavier Plancqueel, percussions – Akino Kamiya, percussions – Alphonse Cemin, piano, (23 minutes environ).

Vendredi 29 et samedi 30 mars 2024, à 20h, dimanche 31 mars à 16h et 19h, à la Philharmonie de Paris-Cité de la Musique/La Villette, 221 avenue Jean-Jaurès. 75019. Paris – métro : Porte de Pantin – tél. : +33 (0)1 44 84 44 84 – site : philharmoniedeparis.fr.

Yoann Bourgeois et Patrick Watson

© David Gallard

Conception Yoann Bourgeois, mise en scène Yoann Bourgeois en complicité avec Patrick Watson et les interprètes – composition musicale et interprétation Patrick Watson – à la Philharmonie de Paris.

Le spectacle est né de la rencontre entre deux artistes de haute tension, Yoann Bourgeois, l’envolé, danseur aérien, chorégraphe et performeur, directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble, et l’auteur-compositeur-interprète canadien Patrick Watson, maître du rock indépendant et de la pop, posé avec piano, instruments et pupitres sur une plateforme surplombant l’ensemble du dispositif. Belle et inventive la scénographie construit des espaces extravagants et poétiques dont s’emparent les quatre interprètes danseuses-danseur et acrobates qui entourent Yoann Bourgeois. Ensemble ils pénètrent avec intensité dans l’univers musical de Patrick Watson qu’ils interprètent en apesanteur à travers plusieurs scénarios.

Le premier, sur une grande plateforme de bois de forme carrée qui tourne sur elle-même, la danseuse acrobate recherche son aplomb, marche, court, avant-arrière, et accompagne la mobilité du support. Sur ce même carré de bois qui tourne de plus belle, elle dialogue, au cours d’une autre séquence, avec une danseuse qui l’a rejointe. Ensemble, elles recherchent la gravitation et leur équilibre. Second scénario, à partir de mobilier truqué – chaises et tables qui les catapultent – les performeurs se jettent et plongent d’une paroi toboggan aussi à pic que l’aiguille des Drus et sont rattrapés sur un tapis roulant. Là ils exécutent de savantes figures, remontent et retombent en une course folle et des mouvements récurrents. Autre séquence, subaquatique, une femme en robe blanche, une mariée peut-être, dansant comme une sirène dans le cylindre-aquarium situé au centre du dispositif qui, dans ce monde inversé, fait penser à Chagall et à ses personnages s’envolant au-dessus de la ville. Enfin l’éblouissante partition sur trampoline où les acrobates agissent avec un naturel désarmant, regardant le monde de travers.

Yoann Bourgeois et Patrick Watson proposent un spectacle plein de poésie, entre action et méditation. Bien connu des scènes françaises, le premier provoque toujours, par sa virtuosité, la même admiration, on le connaît avec de nombreux spectacles présentés depuis une vingtaine d’années dont Celui qui tombe, Opening, Minuit, ou encore Fugue Trampoline sur la musique de Philip Glass. Récemment c’est avec la pianiste Célimène Daudet qu’il a présenté à la Philharmonie LHomme est un point perdu entre deux infinis. Dans le dialogue qu’il construit ici avec Patrick Watson – piano presque classique en introduction, éblouissante partition vocale, instruments inventifs dont le musicien joue au cours du spectacle pour soutenir l’action, épisodes folk et pop – tout nous réjouit dans leur échange et l’entremêlement de leurs univers.

© David Gallard

Cette rencontre artistique entre les deux hommes s’est construite dans le cadre d’une nouvelle collaboration entre le Lieu unique à Nantes et le webzine musical La Blogothèque, qui ont donné carte blanche à Yoann Bourgeois pour une création pluridisciplinaire, avec l’artiste musical de son choix. « En haut de ma liste figurait Patrick Watson » dit le performeur. C’était début 2020, peu avant le début de la pandémie, autant dire que l’élaboration du spectacle fut nourrie d’une profonde inquiétude et le temps de création, très court, cela lui donne une force de résonance singulière.

Le spectacle, Yoann Bourgeois et Patrick Watson,  jongle en effet entre les disciplines – cirque, danse, musique, théâtre – et les lois de la pesanteur. Les interprètes-performeurs, acrobates et danseurs, font corps avec la musique – neuf chansons, dont deux écrites pour l’occasion et plages instrumentales – et l’accompagnent en profondeur, devenant oiseaux, animaux aquatiques ou funambules. Ils s’envolent comme des Icare. Nous sommes en haute altitude, Yoann Bourgeois et Patrick Watson inventent leur nouveau monde et le font partager.

© David Gallard

Conception, mise en scène, scénographie et interprétation, Yoann Bourgeois, composition musicale Patrick Watson, interprétation Marie Bourgeois, Yoann Bourgeois, Emilie Leriche, Olivier Mathieu, Fanny Sage et Patrick Watson.

Scénographie Goury et Yoann Bourgeois, lumière Jérémie Cusenier, régie générale David Hanse, régie plateau Nicolas Anastassiou et Eric Prin, coproduction Le lieu unique, La Blogothèque, le CCN2 de Grenoble, la Philharmonie de Paris – en partenariat avec Marine Serre pour les costumes.

Spectacle du 3 au 7 novembre 2022 à la Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean-Jaurès. 75019 Paris – métro : Porte de Pantin – tél. : +33 (0)1 44 84 44 84 – site : philharmoniedeparis.fr – voir aussi l’installation monumentale créée par Yoann Bourgeois : Face au vide une œuvre à pratiquer, au Centquatre-Paris, jusqu’au 29 janvier 2023 – site : www.104.fr

Brigitte Rémer, le 10 novembre 2022