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Bekannte Gefühle, Gemischte Gesichter

© Walter Mair

Sentiments connus, visages mêlés, spectacle de Christoph Marthaler, Anna Viebrock et la troupe de la Volksbühne, en allemand surtitré en français – Parc et Grande Halle de La Villette – dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

On est au cœur d’un grand espace intérieur de type entrepôt couleur béton brut duquel sourd une certaine tristesse. Plusieurs pianos sont placés de chaque côté du plateau. Un acteur pianiste joue et accompagne les actions à différents moments du spectacle. En fond de scène, une imposante porte à battants est le lieu de croisement entre les acteurs qui entrent et sortent en un mouvement quasi continu. Côté jardin deux portes d’ascenseur, superposées et une petite fenêtre de type passe-plat (décor d’Anna Viebrock – lumières Johannes Zotz).

Un vieil homme cherche une place pour poser la chaise qu’il porte, il semble hésitant et perdu. Il est vêtu d’une tunique /chemise de nuit et donne le ton de nos interrogations. Au premier regard on ne sait où l’on se trouve : dans une pension pour personnes âgées frappées d’Alzheimer, dans un musée, une salle de répétition, ou ailleurs. Un régisseur à l’ancienne, sorte d’appariteur en blouse grise (Marc Bodnar) transporte sur d’immenses chariots des acteurs mannequins qu’il dispose, comme dans une galerie ou dans un musée, et aussi de gros paquets étrangement emballés.

Du premier paquet, s’échappe une voix accompagnée d’un clavecin, duquel s’échappe peu après une femme, fausse cantatrice élégamment habillée comme pour un récital, qui disparaît par un surprenant saut périlleux, dans tous les sens du terme, à travers la minuscule fenêtre. Puis quand le paquet s’ouvre apparaît le claveciniste, tranquillement assis devant son instrument. Le second paquet ressemble à une grosse pierre. Une femme en sort, se dépliant comme un accordéon. Puis des caisses apparaissent. Dans l’une, une femme en sous-vêtements à qui l’appariteur laisse le temps de s’habiller, avant qu’elle ne s’extirpe. Dans une autre, une cantatrice, petite bonne femme au chignon impeccable. Une diva est royalement installée dans une troisième. Un homme surgit du plancher, s’électrocute avec le bouton d’ascenseur qu’il désosse. Une femme pose son coussin-cabas sur la chaise du piano et se met à jouer. L’intendant place méthodiquement les figures comme dans une salle d’exposition, personnages de son musée imaginaire qui se métamorphoseront au final. Merci, sera le dernier mot.

Cette méditation sur le temps fut conçue en 2016 par Christoph Marthaler à l’occasion du départ forcé de Frank Castorf de la Volksbühne de Berlin, qu’il a dirigée pendant près de vingt-cinq ans. C’était aussi un peu sa maison, il y avait créé nombre de spectacles. Par son mouvement régulier et incessant, Sentiments connus, visages mêlés évoque le flux et le reflux de l’eau, spectacle mélodique, construit comme une chorégraphie. Chaque acteur y a sa partition en même temps qu’il se fond dans un Ensemble, tant dans les actions et les déplacements, que vocalement. La traversée se fait en musiques, de Mozart et Boby Lapointe réunis en passant par Verdi, Haendel, Schubert et Schœnberg (musique Tora Augestad, Bendix Dethleffsen, Jürg Kienberger – son Klaus Dobbrick). C’est extravagant, burlesque, immensément loufoque et poétique. C’est d’une précision d’horlogerie et d’une nostalgie folle.

Né en 1951 à Erlenbach, Christoph Marthaler est musicien de formation et intègre un orchestre comme hautboïste. C’est par la musique qu’il entre en contact avec le monde du théâtre en composant pour des metteurs en scène. Il réalise son premier projet, Indeed, à Zurich en 1980, avec des comédiens et des musiciens, rencontre en 1989 la scénographe et costumière Anna Viebrock qui signera pratiquement tous les décors et costumes de ses spectacles. De 2000 à 2004, Marthaler codirige le Schauspielhaus de Zurich avec la dramaturge Stefanie Carp et poursuit son travail de metteur en scène de théâtre et d’opéra. Il présente le spectacle Papperlapapp en 2010 au Festival d’Avignon dans la Cour du Palais des Papes, y revient en 2012 avec Foi, Amour, Espérance d’Ödön von Horváth et Lukas Kristi – réalisé en partenariat avec l’Odéon-Théâtre de l’Europe et le Festival d’Automne à Paris – et en 2013 avec King Size.

Sentiments connus, visages mêlés est un magnifique hommage au théâtre. Acteurs et actrices, complices de longue date de Christoph Marthaler, portent avec virtuosité cet univers excentrique et plein d’humanité dans lequel, inexorablement, le temps fait son œuvre.

Brigitte Rémer, le 6 décembre 2019

Avec : Hildegard alex, Tora Augestad, Marc Bodnar, Magne Havard Brekkle, Raphael Clamer, Bendix Dethleffsen, Altea Garrido, Olivia Grigolli, Ueli Jäggi, Jürg Kienberger, Sophie Rois, Ulrich Voss, Nikola Weisse. Dramaturgie Malte Ubenauf, Stéphanie Carp – musique Tora Augestad, Bendix Dethleffsen, Jürg Kienberger – son Klaus Dobbrick – lumières Johannes Zotz – décors et costumes Anna Viebrock.

Du 21 au 24 novembre 2019 à 20h, dimanche à 16 h – Grande Halle de la Villette, 211 avenue Jean Jaurès. 75019 – métro Porte de Pantin – tél. : 01 40 03 75 75 – site : www.lavillette.com et www.festival-automne.com, tél. : 01 53 45 17 17 – En tournée : Teatros del Canal, Madrid, 17 et 18 janvier 2020 – Comédie de Valence, 12 et 13 février 2020 – Bonlieu Scène Nationale, d’Annecy, du 19 au 21 février 2020 – Teatro Municipal do Porto, 12 et 13 juin 2020 – Teatro Nacional Donna Maria II, Lisbonne, 19 et 20 juin 2020.

La Vita Nuova

© Veerle Vercautere

Performance – conception et mise en scène Romeo Castellucci – à la Grande Halle de La Villette, dans le cadre du Festival d’Automne.

Le spectateur est guidé dans les sous-sols de la Grande Halle, aménagés en un immense parking. Une cinquantaine de voitures dormant sous des housses blanches y sont scrupuleusement alignées en stationnement, dans un décor de Istvan Zimmermann et Giovanna Amoroso.

Cinq acteurs à la peau noire, vêtus de djellabas blanches, immaculées, émergent lentement du fond du garage, chaussés de sandales féminines à hauts talons, étrange contraste (réalisation des costumes, Grazia Bagnaresi). Ils sont loin de nous et portent à bouts de bras comme un bâton avec lequel ils dessinent des signes dans l’espace et accomplissent une série de gestes rituels. Ils sont concentrés et en majesté. Ils se regroupent ensuite autour d’un grand anneau doré, sorte de trophée qu’ils déposent au sol et qui sera ensuite repris et mis autour du cou de l’un d’entre eux, le chef de clan, comme un collier magique ou honorifique. Un arbre factice est déposé auprès des spectateurs. On assiste à une cérémonie païenne sans trop en comprendre le sens.

Les acteurs déplacent ensuite plusieurs voitures dont le frein à mains est desserré et nous font assister à un ballet silencieux de mise en place des véhicules. Puis ils se rejoignent près de l’une d’elle qu’ils couchent et font pivoter offrant au spectateur le ventre du véhicule où sont accrochés des objets assez kitch : une statue de plâtre, une tête de mort, un filet d’oranges dans lequel chacun puise, prenant solennellement un fruit, avant de pousser la voiture et de la mettre sur le toit.

Désincarnés et lointains, les acteurs exécutent une série de gestes cérémoniels. Lentement, ils revêtent un grand manteau blanc d’apparat. Une courte séquence se déroule au fond de la salle, à cent mètres des spectateurs avec la brève apparition d’un faucon, ou d’un aigle. La beauté de l’éclairage nous propulse comme dans la brousse. S’affiche alors un texte, abstrait, écrit par Claudia Castellucci, qui confirme un certain flou et de possibles interprétations. Au cours de la scène finale, dans l’une des deux voitures retournées se glisse un acteur qui, tournant la clé, met le moteur en marche.

Le geste posé par Romeo Castellucci est chorégraphique et poétique, d’une beauté énigmatique, sorte de mystère des temps modernes. Le son va et vient et sert de guide, avec ses bruissements élaborés, collectés dans la nature – pépiements d’oiseaux, sonneries de cloches, bêlements de moutons – avec des sections en référence au garage et à la mécanique (musique  de Scott Gibbons). On a le sentiment d’assister à une célébration, dans un lieu, confidentiel et souterrain, est-ce la promesse d’une vie nouvelle, à la manière de Dante, signataire d’un ouvrage portant ce même titre, La Vita Nuova ? Une forme de résistance ou de révolte ? Est-ce l’espérance à la clé, comme le philosophe allemand Ernst Bloch l’évoque, dans son Esprit de l’utopie ?

Formé à la peinture et à la scénographie, les spectacles de Romeo Castellucci croisent les arts plastiques et les arts de la scène dont il maîtrise avec virtuosité toutes les fonctions, de manière iconoclaste et visionnaire. La Vita Nuova est une expérience, à coups sûrs, pour le spectateur qui avance hors des sentiers  balisés, sur un chemin de grande randonnée, hors du temps, dans la contemplation du néant où la tension dramatique crée l’émotion. C’est une métaphore où tout devient paradoxal et que chacun peut interpréter à sa manière.

Brigitte Rémer, le 25 novembre 2019

Avec : Sedrick Amisi Matala, Abdoulay Djire, Siegfried Eyidi Dikongo, Olivier Kalambayi Mutshita, Mbaye Thiongane – texte Claudia Castellucci – musique, Scott Gibbons – décor Istvan Zimmermann, Giovanna Amoroso – Plastikart studio – réalisation des costumes, Grazia Bagnaresi – production Socìetas (Cesena) // coproduction Bozar, Center For Fine Arts

Du 19 au 24 novembre 2019, Parc et Grande Halle de La Villette, 211 avenue Jean-Jaurès. 75019 – www.lavillette.com tél. : 01 40 03 75 75 – et www.festival-automne.com – tél. : 01 53 45 17 17

Transit

© Emmanuel Burriel

Spectacle de cirque présenté sur une idée originale de la Compagnie Flip Fabrique – direction artistique Bruno Gagnon – mise en scène Alexandre Fecteau – Dans le cadre de Villette en cirques.

Le Québec est à l’honneur pendant plus d’un mois, au Parc et à la Grande Halle de La Villette. A l’affiche, une riche programmation avec des expositions et spectacles de théâtre et de cirque. De grands noms croisent les artistes émergents de la scène québécoise.

Fondée en 2011, la Compagnie Flip Fabrique oeuvre dans la ville de Québec et fait partie de la nouvelle génération du cirque canadien. Elle se compose de cinq circassiens et une circassienne, tous issus de l’Ecole de Cirque de Québec, et qui ont travaillé avec le Cirque du Soleil ou la Compagnie Eloize. Leur premier spectacle, présenté en 2012, Attrape-moi, retraçait l’histoire individuelle de chaque artiste et leur histoire commune. Ils sont une joyeuse bande, liée par l’amitié. Leur travail s’élabore de manière collaborative et met en exergue les points force de chacun, et tous apportent leur pierre.

Avec Transit, ça déménage, leur belle énergie et humeur s’envole dans les airs, tombe et rebondit, fait mine de, imagine et scintille. La troupe visiblement s’amuse et nous amuse sur fond de musique pop, les circassiens font corps. Les équilibres de toute configuration et inventivité s’adaptent aux obstacles que sont notamment de gros buffets qui se renversent et font des galipettes avec eux. Les pyramides qu’ils construisent touchent le ciel. Les lancers acrobatiques se font avec aisance et virtuosité. Les numéros de sangles aériennes sont maitrisés avec gros plans sur l’artiste qui se filme, par la caméra de son téléphone. Le jonglage, avec jeux de balles et de quilles stroboscopiques, se décline en harmonieuses figures aux mille couleurs. Les diabolos montent haut, se croisent et se rattrapent. Les cordes à sauter s’entremêlent mais jamais ne s’emmêlent. Les voltigeurs s’élancent dans les cerceaux, tels des lions à travers le feu, ou bien dansent et s’amusent follement, ou parfois se concurrencent dans un concours de hula-hoop. Au trampo-mur ils excellent, sur un rythme endiablé montant et descendant d’une haute muraille de caissons qui leur sert de niches.

C’est ludique et bon enfant, virtuose, humoristique et poétique. Les séquences s’enchaînent comme des saynettes ponctuées de petits dialogues qui racontent l’itinéraire d’une troupe dans sa dernière tournée. Jade, petit bout de femme faite de souplesse et de grâce mène son monde : cinq baraqués qui se dépassent et se jouent de tout, même peut-être de la peur. Humour, fraîcheur, prouesses, sont autant de mots qui caractérisent cette belle soirée où une pluie de sous-vêtements vole dans le public à la fin du spectacle, dernière pirouette potache dont on peut retenir l’inventivité et la virtuosité, en voltige comme en jonglage.

Brigitte Rémer, le 31 décembre 2017

Avec Jérémie Arsenault, Cody Clay Russell, Hugo Ouellet Côté, Jade Dussault, Bruno Gagnon, Yann Leblanc. Scénographie Ariane Sauvé – chorégraphie Annie Saint-Pierre – costumes Geneviève Tremblay – son Antony Roy – lumières Bruno Matte.

Du 21 au 31 décembre 2017, Espace Chapiteaux, Parc et Grande Halle de La Villette. Métro : Porte de La Villette – www. flipfabrique.com – Tél. : 01 40 03 75 75

Afriques Capitales

© Ouattara Watts
Citizen Of the World

Exposition réalisée à la Grande Halle de La Villette – Sur une proposition de Dominique Fiat – Commissaire d’exposition Simon Njami.

Evénement-phare du Festival 100% Afriques – dont l’objectif est de présenter la scène contemporaine africaine sous toutes ses formes : danse, théâtre, musique, mode, design, exposition, création culinaire – l’exposition Afriques Capitales est une invitation au voyage au cœur de la création contemporaine africaine.

Une cinquantaine d’artistes toutes générations confondues, regardent le continent et partagent, par leurs dessins, peintures, photographies, vidéos, sons et installations, leurs réflexions, rêves et interrogations. Chambres d’écho de leurs pays et de l’Afrique, certains exposent pour la première fois en France, d’autres sont déjà connus et on a plaisir à suivre leur parcours, une dizaine d’entre eux réalisent une œuvre produite par La Villette. Ils invitent à la rencontre avec humour et gravité, couleurs, symboles, imagination et poésie.

On passe Le Salon imaginé par Hassan Hajjaj, artiste marocain constructeur de meubles à partir d’objets de récupération, designer et performeur qui habille ses modèles de vêtements colorés cousus mains. Sur le seuil de la Grande Halle avant même de se lancer dans cette balade urbaine et africaine, on est frappé par quelques œuvres monumentales posées au sol et d’autres, arrimées à la charpente métallique de cette belle architecture de fer et de verre. En haut, au zénith, les maisons à l’envers de Pascale Marthine Tayou (Cameroun), Falling Houses, attirent le regard et rappellent que le monde parfois peut tomber sur la tête ; au Nord, Un rêve en forme de nuage signé Nabil Boutros (Egypte) passe à travers un cercle de barbelés, comme le fauve au cirque saute dans un cerceau de feu. « Illustrer ou démontrer n’est pas le propos ; plutôt construire une image ou un objet qui, par le chemin du rêve, donne à penser » dit le sculpteur. En bas, à l’Est, Oukam Fractals de Sammy Baloji (République Démocratique du Congo) rapporte, par un assemblage d’images, les transformations urbaines de Lébous, un quartier de Dakar ; une ville éclatée, des restes de murs, une poétique de l’espace, la destruction, Labyrinth, oeuvre de Youssef Limoud (Egypte), évoque un chaos bien ordonné ; Des pavillons s’étirent le long de rues reconstituées, un minaret s’illumine, une lumière crue côtoie la pénombre. Le bruit et la fureur des villes accompagnent le parcours à travers des hauts parleurs, des bribes de phrases nous parviennent  : « La ville est un labyrinthe, la ville est faite pour se perdre, la ville est un organisme vivant, la ville est un mystère, la ville est une surprise permanente… »

On est dans la ville imaginaire de poètes, concept élaboré par un maître ès arts visuels, critique d’art et philosophe des Afriques, Simon Njami qui définit la ville et ses problématiques en posant un geste fort qui a valeur de Manifeste : « Les capitales du monde ont ceci en commun qu’elles n’appartiennent vraiment à personne : elles constituent des zones franches, des xenopoleis… Il n’y a jamais une ville mais des villes. Comment, dans le même espace géographique, cohabitent des réalités contradictoires et tout à la fois complémentaires ? Comment les citadins organisent-ils un réseau parallèle de relations et d’interdépendances ? Notre pari a été d’inventer la ville de toutes les villes… »

La déambulation conduit de maison en maison, à travers une pluralité de propositions. Chaque démarche vaut qu’on s’y attarde, nous ne pouvons en évoquer ici que quelques-unes : les grandes toiles peintes de Ouattara Watts, au langage énigmatique et aux notes de musique comme des écritures, pur jazz et collages (Côte d’Ivoire) ; un triptyque vidéo sur les migrants intitulé Crossings, de Leïla Alaoui – jeune artiste disparue dans l’attentat de Ouagadougou, en 2016 – évoquant le traumatisme du voyage, par mer, route ou rails et le choc du passage (France/Maroc) ; une installation réalisée par Poku Chemereh, faite d’étrangeté, Pokój : dans ma chambre, sanctuaire de mon repos, chambre aux meubles de spaghettis, de chewing-gum mâchés et de carambars, murs de briques en biscottes et caramel en guise de ciment (Ghana) ; un visage composé de clous juxtaposés, l’Acupeinture, ainsi qu’un Radeau de la Méduse d’après Géricault, ré-interprétés par Alexis Peskine, (France) ; signe de l’envahissement des produits made in China sur le continent africain, Je suis Africain de François-Xavier Gbré s’écrit sur un écran en mandarin et lettres de néon (France/Côte d’Ivoire) ; un cheval guerrier et son cavalier retourné, sculpture installation de Lavar Munroe Of the Omens He Had as He Entered His Own Village, and other Incidents that Embellished and Gave a Colour to a Great History, réalisée à partir de matériaux pauvres – cartons, bandes de papier, adhésifs -, remet en question les modèles historiques liés à la construction de monuments (Bahamas).

Plusieurs artistes présentent des photographies comme autant de points de vue mis en perspective, sur divers supports : Akinbode Akinbiyi, du Nigéria, raconte la vie quotidienne dans les grandes villes africaines, à travers Cities ; Ala Kheir, soudanaise, avec Revisiting Khartoum pointe le décalage entre le Khartoum de son enfance et la ville d’aujourd’hui ; avec Memories in Development, Aïda Muluneh, d’Ethiopie, part à la recherche de sa propre histoire et questionne l’Afrique ; Mnabtyd/Untitled de Franck Abd-Bakar Fanny (Côte d’Ivoire), rassemble trois séries de photographies, fruit de ses déambulations nocturnes dans trois villes d’Amérique du Nord ; Heba Hamin présente Project Speak2Tweet, traces de la révolte du 27 janvier 2011 en Egypte, moment où, avec un groupe de programmateurs, elle développe une plateforme permettant de poster des nouvelles sur Twitter alors que l’accès à internet est coupé. Evoquant les migrations d’un bout de la planète à l’autre, Abdulrasaq Awofeso, du Nigeria, réalise une série de petits personnages en bois, répartis sur trois grandes tables, A Thousand Men Can Not Build A City ; et William Kentridge, d’Afrique du Sud, imagine une animation graphique comme une danse des morts, More Sweetly Play the dance, longue procession de personnages défilant sur huit écrans placés en demi-cercle de cour à jardin : « La colonisation de l’Afrique a souvent signifié qu’on apporterait, disait-on, la lumière au continent noir. Mais cette lumière fut signe d’autoritarisme ou de dictature. Le seul sens acceptable se trouve entre la nuit et la lumière » dit le plasticien et metteur en scène, qui symbolise avec un talent fou la rencontre entre le monde du spectacle et le monde de l’art.

Cette exposition, intelligente et sensible par le choix des œuvres, témoigne de la ville comme objet social, lieu des tensions, des solitudes, de l’imagination, et se fait l’écho de tout le continent africain. La scénographie sert la métaphore avec simplicité et pertinence, permettant, au coin d’une rue ou d’un carrefour, de découvrir une photo, une tenture, des lumières, un imaginaire, des idées, l’altérité. Chacun évoque sa réalité et construit la mémoire collective. « Car une ville ne se raconte pas. On la vit » dit le commissaire de l’exposition, Simon Njami, en ce chapitre I. L’exposition se prolonge à l’extérieur, dans les jardins autour de la Grande Halle, en partenariat avec le Mois de la Photo du Grand Paris où une trentaine d’oeuvres sont en libre accès. Le second chapitre d’Afriques Capitales, est en train de s’écrire – en lettres capitales toujours – à Lille, sous le titre : Vers le Cap de Bonne Espérance.

Brigitte Rémer, le 22 avril 2017

Du 29 mars au 28 mai 2017, Parc et Grande Halle de La Villette, du mercredi au dimanche, de 12h à 20h – Jusqu’au 3 septembre 2017 pour les photos en extérieur – métro Porte de Pantin – Tél. : 01 40 03 75 75 – www.lavillette.com – et aussi, du 6 avril au 3 septembre 2017, exposition Vers le Cap de Bonne Espérance, Gare Saint-Sauveur de Lille.