Une exposition collective itinérante, en prélude à la COP21 – Direction artistique Jean-Michel Champault, Scénographie Franck Houndégla.
Des peintres, des sculpteurs, des photographes et des vidéastes africains issus de cinquante-quatre pays différents présentent leur vision de l’Afrique des Lumières dans le Grand Foyer du Palais de Chaillot. Le symbole est fort car c’est là que fut signée en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme alors que le Palais faisait fonction de siège des Nations unies. L’exposition d’aujourd’hui – réalisée à l’initiative du fonds de dotation African Artists for Development créé par Gervanne et Matthias Leridon – s’en fait l’écho. Elle évoque la lumière au sens premier d’énergétique et du droit d’accès à l’énergie pour tous, comme au plan philosophique et de la connaissance de l’état des Afrique(s). Ces bouteilles à la mer sont en lien avec la réflexion mondiale engagée sur le réchauffement climatique.
Le parcours débute en haut des escaliers monumentaux par une vaste carte géographique collée au sol qui restitue la proportion réelle des continents. Le visiteur peut traverser l’Afrique à pieds de pays en pays, introduction au sujet de ce vaste puzzle qui raconte le monde d’aujourd’hui à travers cinquante quatre regards. Chaque œuvre est accompagnée d’un message vidéo de cinquante-quatre secondes, cahier des charges des artistes permettant de mettre des mots sur leur lumière intérieure ou leur petit vélo à guidon chromé comme le dirait Georges Pérec. Ces vidéos sont présentées au pied de l’escalier, dans une installation monumentale. Le visiteur s’engage ensuite dans un long couloir où sont accrochées sur une structure de métal des œuvres aux esthétiques très diverses menant jusqu’à une petite pièce noire, à l’autre bout, dont l’installation joue d’ombre et de lumière. Il dérivera en chemin dans l’amplitude de l’espace ouvert devant le Trocadéro où se trouvent sculptures et autres objets. Altérité, diversité sont les maîtres mots des œuvres de ces artistes, connus et reconnus pour certains, plus confidentiels pour d’autres, aux esthétiques et aux techniques très diverses.
Abdoulaye Konaté du Mali, qui dirige le Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia de Bamako, travaille le textile et présente L’Homme Nature, composé d’une multitude de morceaux de tissus alignés en ondes de couleurs allant du sombre au lumineux devant lequel un homme blessé d’un point rouge dans le dos, est en arrêt. Aston, du Bénin présente sa drôle de mappemonde, Weziza, réalisée à partir d’objets récupérés, de fils tendus comme des rayons, de perles noires. Et quand disparaît la lumière, reste sa propre image dans le miroir. Nabil Boutros, photographe et scénographe d’Egypte, nous attire dans sa boîte noire avec une installation lumineuse qui transforme le visiteur en magicien capable (coupable ?) d’éteindre la lumière en passant devant un rayon. Dans ce fondu enchaîné quand la lumière se coupe, apparaît un slogan phosphorescent bien en phase et en espérance avec notre monde d’aujourd’hui, rédigé en sept langues différentes : De l’ombre jaillit la lumière. Gonçalo Mabunda du Mozambique, artiste engagé témoin de la guerre civile dans son pays, dénonce l’absurdité des guerres et transforme les armes récupérées qu’il déstructure et élabore en sculptures. Ainsi The Light at the end of the tunnel qui évoque ici la mémoire collective.
Les femmes sont aussi très présentes et donnent leurs points de vue, ainsi Amina Zoubir d’Algérie, plasticienne et réalisatrice questionne la condition des femmes et sa projection dans l’espace urbain. Elle présente ici une œuvre pour cire et clous sous plexiglas intitulée Le doute est désagréable mais la certitude est ridicule ; Aïda Muluneh d’Ethiopie, photographe et cinéaste, avec Darkness give way to light travaille sur les femmes dans la diaspora africaine et l’image de l’Afrique ; Berry Bickle du Zimbabwe, construit son œuvre à partir du thème de l’exil et de la mémoire et présente ici Touch, photographies et manipulation digitale. On pourrait nommer toutes et tous les artistes : Athi-Patra Ruga d’Afrique du Sud avec sa Miss Azania, pur baroque à la croisée de la mode et de l’art contemporain ; Emeka Okereke du Nigéria qui s’attache aux problèmes sociopolitiques et parle d’échange et de coexistence ; Franck Lundangi d’Angola qui utilise des techniques variées comme l’aquarelle, la peinture, la gravure et la sculpture ; John Goba de Sierra Leone qui s’inspire du savoir-faire traditionnel et des figures mythiques et présente ici une sorte de figure totem en bois et métal, recouverte de peinture aux couleurs vives et couvertes d’épines de porc-épic lui conférant des vertus protectrices et magiques.
Il faudrait cinquante-quatre pages pour parler de chacun, dans la diversité de leurs œuvres. Leurs démarches, à la fois locales – car tous manifestent un lien très fort à leurs pays – à la fois inscrites dans le monde d’aujourd’hui, font le pont entre mémoire, Histoire, et avenir, de façon directe ou décalée. Tous sont en recherche de sens et de connaissance en lien avec leur environnement politique, culturel et social, et en expérimentation artistique sur ce thème Lumières d’Afriques dont la profondeur de champ à la lueur des tragédies d’aujourd’hui contredit tous les stéréotypes.
Brigitte Rémer
Du 4 au 24 novembre 2015, au Théâtre national de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris XVIe –www. theatre-chaillot.fr – En complément à l’exposition, Chaillot célèbre les Afriques et a programmé au cours de la saison plusieurs spectacles d’artistes africains – Lumières d’Afriques sera ensuite : en décembre 2015 pendant la COP21, à la Gare du Nord à Paris, puis en tournée sur le continent africain – Côte d’Ivoire, Ghana, Ethiopie, entre autre – à Londres puis Washington. African Artists for Development : www.aad-fund.org
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