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Festival d’Avignon 2022 – 76ème édition

© Jean Couturier

La soixante-seizième édition du Festival d’Avignon se tiendra du 7 au 26 juillet 2022, dernière édition pilotée par l’équipe en place, Olivier Py directeur et Paul Rondin directeur délégué annoncent le programme en conférence de presse. Pour cette dernière édition qu’il pilote après deux mandats de cinq ans, le directeur du Festival d’Avignon remercie les tutelles engagées dans son financement – ministère de la Culture, ville d’Avignon, Communauté d’Agglomération du Grand-Avignon, Région et DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, département et préfecture du Vaucluse, ministère de la Justice, ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports notamment par les collèges et lycées de la ville.

Il remercie ensuite les publics qui lui ont fait confiance et égrène la liste de ses collaborateurs – dont les 750 saisonniers chaque année – et celle des partenaires qui l’ont accompagné dans sa mission de direction depuis dix ans. « Je n’ai tenu en rien à faire un Festival récapitulatif ou commémoratif » prévient-il d’emblée. Il garde la ligne définie dans les autres éditions et son engagement, le travail mené pour défendre la place des femmes et leur identité, l’intérêt qu’il a toujours manifesté pour d’autres cultures, notamment le Moyen-Orient et l’Afrique, l’ouverture vers le jeune public et la décentralisation du Festival à travers le territoire.

L’édition 2022 s’étend sur 20 jours, présente 46 spectacles et prévoit 270 levers de rideau, 120 000 billets à la vente et 25 000 entrées libres. En comptant lectures et débats ce sont plus de 400 rendez-vous, qui sont proposés aux festivaliers dans les différents lieux de la ville dont l’opéra rénové qui ré-ouvre cette année avec Iphigénie, de Tiago Rodrigues qui succédera en 2023 à Olivier Py, spectacle mis en scène par Anne Théron (7 au 13 juillet).

Beaucoup de découvertes, fidélités et retrouvailles sont à l’affiche. Le Moine noir, d’après Anton Tchékhov du metteur en scène russe Kirill Serebrennikov ouvre le Festival dans la Cour d’honneur du Palais des papes (7 au 15 juillet), Miss Knife et ses sœurs d’Olivier Py le clôture le 26 juillet sur la scène de l’Opéra d’Avignon en compagnie des Dakh Daughters, artistes ukrainiennes et d’Angélique Kidjo. Olivier Py met aussi en scène Ma Jeunesse exaltée, dialogue entre deux générations, au Gymnase Aubanel (8 au 15 juillet) tandis que dans la Cour d’Honneur, Jan Martens présente Futur proche avec le Ballet de Flandres (19 au 24 juillet) et Kae Tempest un spectacle de poésie et musique, The line is a curve (le 26 juillet).

Survivre au chaos du monde est un thème que défend Olivier Py, autour de la résilience. En transit, d’Amir Reza Koohestani, d’après Anna Seghers, témoigne de la déportation (7 au 14 juillet, au Gymnase du Lycée Mistral) ; Via Injabulo, spectacle de danse raconte les townships d’Afrique du Sud (10 au 17 juillet, Cour minérale de l’Université). Quatre spectacles du Moyen-Orient sont programmés : de Palestine, Milk de Bashar Murkus (10 au 16 juillet, à Vedene, l’autre scène du Grand Avignon), Et la terre se transmet comme la langue, d’après Mahmoud Darwich (14 juillet, cour du Collège Joseph Vernet), Elias Sanbar son traducteur et ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco en est le récitant, des musiciens l’accompagnent dont le compositeur de jazz et vibraphoniste Franck Tortiller ; quatre poétesses de différents pays du Maghreb et du Moyen-Orient sont présentées par Henri Jules-Julien dans un spectacle intitulé Shaeirat (16 au 19 juillet, Gymnase et Jardin du Lycée Saint-Joseph) ; Ali Chahrour de Beyrouth dansera Du temps où ma mère racontait (21 au 26 juillet, Cour minérale de l’Université).

Plusieurs spectacles évoquent la nature, l’écologie et le rapport au cosmos comme A l’orée du bois de Pierre-Yves Chapalain (8 au 26 juillet, dans treize communes du Grand Avignon) et Dans ce jardin qu’on aimait, d’après Pascal Quignard et Siméon Pease Cheney, mis en scène de Marie Vialle (9 au 16 juillet, Cloitre des Célestins). Beaucoup d’autres spectacles sont à l’affiche, drôles, parfois cruels, pour jeune public, en interdisciplinarité, propositions en danse, musique, théâtre et performance. La programmation est riche et pour toutes les sensibilités, tous les goûts.

Deux grandes expositions s’inscrivent dans cette soixante-seizième édition : First but not last time in America de Kubra Khademi, réfugiée afghane qui a dessiné l’affiche, à la Fondation Lambert ; les photographies de Christophe Raynaud de Lage, L’œil présent/ photographier le Festival d’Avignon au risque de l’instant suspendu, à la Maison Jean Vilar. De nombreux événements, rencontres et débats apportent au Festival une dimension sociale, poétique et intellectuelle dont le cinéma à l’Utopia, les activités de la Maison Jean Vilar, France Culture et la Grande Table, les conversations du Syndicat de la critique, les Ateliers de la pensée, des dialogues acteurs/spectateurs aux CEMEA, Artistes en exil et Amnesty International…

« C’est cela le théâtre populaire, la connaissance de ce désir du peuple d’être plus grand que les étiquettes qui lui sont collées sur le front. Il n’y a pas de Démocratie il n’y a pas de Liberté, il n’y a pas d’Égalité sans l’éducation et la culture… » écrit Olivier Py dans son éditorial, lui qui, après Vilar, créateur du Festival en 1947, fut le premier artiste à le diriger. Il le quittera à la fin juillet 2022 et d’ores et déjà lui souhaite « d’être toujours le lieu de la jeunesse, de la parole et de ce qui vient. »

Brigitte Rémer, le 3 avril 2022

Festival d’Avignon, Cloître Saint-Louis, 20 rue du Portail Boquier, 84000 Avignon – tél. : 33 (0) 4 90 27 66 50 – site : festival-avignon.com – Ouverture de la billetterie par internet le 21 mai 2022 à 14h, 10 000 places mises à la vente, le 7 juin par téléphone, le 11 juin aux guichets.

Les Os Noirs

© Jean-Luc Beaujault

Sur une idée originale, dramaturgie, mise en scène et scénographie de Phia Ménard, compagnie Non Nova – créé et interprété par Chloée Sanchez – dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville – au Théâtre Le Monfort.

C’est un solo pour femme né de la rencontre de Phia Ménard, jongleuse, performeuse et metteuse en scène, avec Chloée Sanchez. C’est un poème, un chant nocturne qui met en œuvre la métempsycose, cette recherche de l’âme cosmique avec migration des âmes vers un nouveau corps après la mort. Phia Ménard, née Philippe Ménard, la travaille en noir profond, comme Soulages creuse son noir-lumière ou outrenoir. « J’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité » dit la metteuse en scène.

Le dispositif qu’elle propose relève du cycle des Pièces du Vent, avec ce matériau de plastique noir qu’elle sculpte et apprivoise pour devenir vêtement, scénographie et abysses. Elle crée, comme le dit Borges, un Jardin aux sentiers qui bifurquent. D‘abord un grand vent auquel rien ne résiste, puis une mer démontée dans laquelle se laisse porter une femme, déesse des eaux qui épouse les vagues avant de s’y lover (Chloée Sanchez). Suit une inquiétante forêt dans laquelle elle se perd et construit son histoire extraordinaire à la manière d’Edgar Poe. La déesse-fleuve sort des eaux, drapée d’un majestueux manteau en plastique noir à longue traine, avant de le plier, introduisant le thème de l’emballage, cher à Kantor, artisan du Théâtre de la Mort. Est-elle femme, ou marionnette ? La pièce se déploie devant un grand castelet. Elle y danse, vêtue d’une robe légère et noire, seins, sexe, visage noir, incendie. Une fin du monde, des cris rauques, des tremblements de lave, des fumerolles, des cendres, du soufre. Tentation du néant. Elle saute par la fenêtre. Se sauver ? Mourir ? L’illusion et la théâtralité sont puissantes.

La réapparition fantomatique et sépulcrale de cette Reine de la nuit à la manière d’Amadeus – Mort et désespoir flamboient autour de moi ! dit la partition mozartienne – est d’une grande force mystique. On dirait un resurgissement après apocalypse dans le chaos d’un désert noir aux blocs d’anthracite. Un personnage du feu, vêtu d’une combinaison ignifugée, sorte de sculpture d’amiante et de piéta, porte un cadavre calciné. Tout est douleur, on est aux extrêmes. La création lumières comme la scénographie commentent ces fins du monde et sont en osmose avec le geste de mise en scène. Sans texte apparent, le spectacle se nourrit de références qui se fondent dans le geste chorégraphique et artistique. A peine quelques mots enregistrés – un extrait du Métier de vivre de Pavese « La mort viendra et elle aura tes yeux » – et un conte péruvien sur les oiseaux et le clair de lune. L’actrice travaille sur le cri, le souffle, le râle. Une bande son très élaborée accompagne de ses variations cette méditation funèbre, entre musique électro-acoustique et musique répétitive, souffle du vent constant, battements d’ailes et mouvements de l’eau. Elle porte l’actrice, en prise avec les éléments et en lutte avec sa condition humaine – accompagnée en coulisses de trois régisseurs présents au salut, casques et lampes frontales de travail.

Par ses performances et ses chorégraphies, par son univers plastique et son imaginaire, Phia Ménard construit un parcours unique et singulier. Elle apprend le langage du corps et de l’objet, du mouvement et de l’équilibre par la jonglerie, auprès de Jérôme Thomas et travaille dans le registre Présence, mobilité et danse avec Hervé Diasnas et Valérie Lamielle. Elle fonde sa Compagnie, Non Nova, en 1998, qu’elle définit par son manifeste : « Non nova, sed nove, Nous n’inventons rien, nous le voyons différemment. » Elle cherche ses langages, est compagnie associée auprès de plusieurs scènes nationales dont celle de Château-Gontier puis de Chambéry et de la Savoie et présente ses spectacles performances au Festival Montpellier Danse et à Avignon dans Sujet à vif, ainsi qu’à la Documenta de Kassel. Elle travaille sur les matières comme la glace, l’eau, la vapeur et le vent et dans Les Os Noirs avec le plastique, le tissu, le papier et le métal.

Phia Ménard pose un acte politique en même temps que philosophique et esthétique dans ses spectacles et explore les interdits, « ces zones de flou, que l’on ne veut pas dire ni nommer, les questions de la norme, de la sexualité, du plaisir, du genre. » Certains de ses spectacles ont fait date et tournent toujours comme la pièce P.P.P. Position parallèle au plancher ou encore L’après-midi d’un foehn, pièce pour un interprète et un marionnettiste, qui joue de vents contraires et de poésie avec des sacs plastique.

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux écrit Musset dans sa Nuit de Mai. Avec Les Os Noirs Phia Ménard ne dément pas l’adage et trace son cercle de l’infini entre Solaris de Tarkovski et Nuit Obscure de Saint Jean de la Croix. Ses trois passages à l’acte énoncés en voix off, passage à l’acte suivant s’entend, sont autant de jeux de mots et de métamorphoses dans cette pièce d’une grande beauté, d’une sensibilité et d’une intelligence rares.

Brigitte Rémer, le 12 avril 2018

Du 29 mars au 14 avril 2018, à 20h30 – Le Monfort Théâtre, 106 rue Brancion, 75015 – tél. 01 56 08 33 88 – site : www.lemonfort.fr – La Compagnie Non Nova sera présente au Festival Montpellier Danse avec Contes immoraux/Partie 1-Maison Mère en juillet prochain, puis au Festival d’Avignon avec Saison sèche.

Collaboration à la mise en scène et dramaturgie Jean-Luc Beaujault – composition sonore et régie son Ivan Roussel – créations lumières et régie lumière Olivier Tessier – création costumes Fabrice Ilia Leroy assisté de Yolène Guais – création machinerie et régie générale plateau Pierre Blanchet et Mateo Provost – construction décor et accessoires Philippe Ragot, avec Manuel Ménès et Nicolas Moreau.