Auteur-compositeur et chef d’orchestre, créateur du groupe musical El Tanbura et fondateur du centre El Mastaba, à Port-Saïd (Égypte).
Né à Port-Saïd en 1952 d’une mère originaire de la ville et d’un père venant de Haute Egypte, Zakaria Ibrahim tient une place singulière dans le paysage musical égyptien. Investi très jeune dans le chant et la musique, il a consacré sa vie à la sauvegarde et la renaissance de la tradition musicale, remettant sur le devant de la scène le chant et les instruments traditionnels de la région de Port-Saïd, ville située à l’embouchure du canal de Suez. Il vient de disparaître, le 29 février 2024.
D’éducation musulmane, d’emblée les autres cultures l’animent et il est attiré par le chant. Il observe les musiciens de rue et connaît par coeur le répertoire du grand Abd el Halim Hafez. Sa jeunesse est marquée par la violence des événements politiques – la guerre liée à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser d’une part, l’Égypte s’étant opposée à l’alliance tripartite entre Israël, la France et la Grande-Bretagne, en 1956 alors qu’il n’a que quatre ans ; la guerre des Six jours d’autre part, en 1967, alors qu’il en a quinze. Il est contraint avec sa famille et comme beaucoup d’autres à s’exiler plus de deux ans à l’intérieur du pays. Son père meurt quand il a dix-huit ans.
Désertant la violence et l’absence, Zakaria Ibrahim s’investit dans la musique et commence à chanter et à danser la Bamboutia, une danse traditionnelle de Port-Saïd. À partir de 1971 il engage des études au Caire où il crée un groupe musical à la Faculté d’Agriculture de l’Université Ein Shams et n’a de cesse de faire connaître la musique populaire à partir de la simsimiyya – une lyre ancienne que l’on trouve sur les bas-reliefs, dans les tombes des Pharaons – en préservant son authenticité. Au départ, le groupe intervient surtout lors des mariages. En 1980, quand il revient à Port-Saïd, Zakaria Ibrahim est devenu un militant activiste, ce qui lui vaut quelques mois de prison. Puis ce sont des rencontres avec quelques vieux maîtres de chants soufis qui lui permettent de structurer un groupe musical autour des joueurs de simsimiyya, qui attire aussi des jeunes. La troupe El Tanbura naît en 1988 et rassemble des musiciens de tous âges qui exercent d’autres métiers tout en étant artistes. Leur vocabulaire repose sur la simplicité, Zakaria Ibrahim n’illustre pas la tradition, il en transmet l’âme. Et les musiciens jouent comme ils vivent et font entendre leur musique.
Frédéric Lagrange dans son ouvrage Musiques d’Égypte, donne des précisions sur les instruments – « Tanbûra et simsimiyya désignent sensiblement le même instrument : une lyre à cinq cordes tendues sur une boîte de résonance ronde, utilisée sur la côte de la mer Rouge et au Yémen. » Il précise que la tanbûra, est utilisée dans la région d’Aswaân, en Haute-Égypte, tandis que la simsimiyya venant du Delta s’est diffusée dans la région du Canal de Suez dans la seconde partie du XXème siècle. On en jouait dans les cafés de Port-Saïd.
Zakaria Ibrahim a travaillé tout au long de son parcours musical et de sa vie, sur la transmission, en collectant la musique traditionnelle de la région de Port-Saïd, et dans la générosité du partage. A partir de 1994 El Tanbura commence à jouer au Caire et à former un public. La troupe fait une première tournée à l’étranger, en France, et donne un concert à la Cité de la Musique, en 1996. Puis elle voyage et diffuse sa musique – locale et globale – à travers les festivals, partout dans le monde. Chaque mercredi El-Tanbura se produit avec ses chanteurs, danseurs, joueurs de simsimiyya, percussionnistes et joueurs de triangle, à Port-Fouad – ville portuaire au débouché méditerranéen du canal et située sur sa rive orientale – attirant beaucoup de monde.
En mêlant les musiques et cultures traditionnelles, Zakaria Ibrahim a célébré la vie. Il a fondé en 2000 le centre El Mastaba pour fédérer d’autres groupes musicaux issus de toutes les régions d’Égypte, faisant le pont entre la tradition et la modernité. La sauvegarde de la tradition musicale et la transmission se sont inscrites chez lui comme des priorités et comme un art de vivre. Il a porté le projet Al-Samsimiya jusque devant l’Unesco pour demander son inscription sur la liste du patrimoine mondial immatériel.
Son absence à Port-Saîd ainsi que sur les scènes d’Égypte et d’ailleurs laisse un grand vide. Que le son des harpes antiques et traditionnelles l’accompagne !
Brigitte Rémer, le 10 août 2024
* Joueuses de harpe cintrée, luth, double-hautbois et lyre, tombe de Djeser, à Thèbes, (c.1420-1411 av. J.-C.)
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