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Khady Demba

© Stéphane Olry

D’après Marie NDiaye – Adaptation et jeu Corine Miret, La Revue Éclair – au Théâtre Paris-Villette, dans le cadre du festival SPOT #8.

Marie NDiaye avait obtenu le Prix Goncourt en 2009 pour Trois femmes puissantes. Trois récits, sans titre, et qui mettent en exergue ce que l’auteure appelle un contrepoint final, autrement dit une ligne mélodique ou un thème secondaire qui se superpose au thème principal.

Khady Demba du titre du spectacle, est le troisième récit. C’est le nom d’une jeune veuve qui ne possède pas grand-chose et qui perd tout à la mort de son époux : son travail – le propriétaire de la buvette où elle était employée avec lui, l’ayant congédiée ; ses repères – elle n’avait pas de famille « ses propres parents l’avait fait élevée par sa grand-mère, morte depuis longtemps… elle avait perdu toute trace d’eux, après ne les avoir vus que de loin en loin lorsqu’elle était enfant… » sa vie – elle n’a pour ressource que d’aller vivre dans sa belle-famille « qui ne pouvait lui pardonner de n’avoir aucun appui, aucune dot et qui la méprisait ouvertement et avec rage de n’avoir jamais conçu. » En trois ans de mariage et de relatif bonheur elle n’avait pas réussi en effet à avoir d’enfant, ce fut l’un de ses drames. Quand sa belle-mère lui intima l’ordre de préparer ses affaires, lui donnant quelques billets de banque pour viatique et l’interdiction de revenir, elle n’en fut pas vraiment surprise.

« Peu lui importait qu’elle ne comptât, elle, pour personne, que nul ne pensât jamais à elle » elle prit son destin en mains avec une certaine fierté et le sentiment d’exister, elle qui « n’avait jamais rien compris ni rien appris à l’école » comme elle le reconnaissait, se laissant envahir de sensations, rêveries et émotions. « Elle qui, par chance, avait encore le nom de Khady Demba. » Le lecteur / le spectateur suit le voyage intérieur de Khady, son faux-départ par la mer dans une barque qui prend l’eau, sa grave blessure à la jambe, la rencontre avec Lamine et son rêve d’Europe, le voyage au sommet d’un camion plein de ballots et surpeuplé, où il fallut s’agripper pour ne pas tomber, le passage de frontière et l’agression des militaires envers Lamine, la prostitution pour survivre, l’argent gagné l’argent volé par cet ami qui disparaît, la cabane dans la forêt, sa destruction par la police, la tentative d’escalader les barbelés, de s’évader vers plus de liberté, la chute. « C’est que je suis, moi, Khady Demba » eut elle la force d’affirmer à la fin de son voyage initiatique. Et, dans l’harmonie du contrepoint final, une petite musique s’envole : « Et alors il parlait à la fille et doucement lui racontait ce qu’il advenait de lui, il lui rendait grâce, un oiseau disparaissait au loin. »

Partant de la force de l’écriture de Marie NDiaye, comment faire théâtre ? Corine Miret choisit de juxtaposer trois univers : celui du récitatif, qu’elle porte sur un ton neutre et désincarné, statique et en retrait ; celui du souffle de l’instrumentiste, présente sur scène (Isabelle Duthoit), souffle qui arrache et devient bruitage obsessionnel plutôt que musique, pour souligner la tragédie ; un univers plastique (Johnny Lebigot) par une installation composée de traces tressées en bois, plumes et végétaux, qui font penser à des capteurs de rêve et forment comme un toit qui se prolonge sur le mur de fond de scène. Ces univers ne se croisent pas, ils proposent un environnement, comme le lecteur se construit le sien prenant connaissance du récit, sorte d’exploration intérieure de Khady Demba et qui parle des migrants d’aujourd’hui.

Corine Miret invente avec Stéphane Olry des parcours diversifiés au sein de La Revue Éclair depuis plus de vingt ans. Multidisciplinaire et en prise avec les réalités sociales et culturelles, leur approche est documentaire. La petite musique de Marie NDiaye passe ici par des gestes artistiques, comme des esquisses qui se superposent à son univers.

Brigitte Rémer, le 2 octobre 2021

Avec : Corine Miret, jeu – Isabelle Duthoit, musique/improvisation libre à la clarinette – installation Johnny Lebigot – regard extérieur Stéphane Olry – répétiteur Sergio Guedes.

Les 27 et 28 septembre 2021, Théâtre Paris-Villette – 211 Av. Jean Jaurès, 75019 Paris – métro Porte de Pantin – site : theatre-paris-villette.fr – tél. : 01 40 03 72 23.

Archipel

©dr

© DRC

Montage d’extraits de romans, de pièces de théâtre et d’interviews de Marie NDiaye – Adaptation et mise en scène Georges Lavaudant, au Théâtre des Bouffes du Nord.

C’est une suite de courtes séquences où se croisent l’absurde et la dérision, le comique et la parodie, la vibration et l’émotion. On se fait à certains moments des frayeurs, pensant frôler la soirée scoute et puis l’embarcation se met à pencher de l’autre côté et le metteur en scène capitaine du navire et son équipe d’acteurs gardent le cap, entre humour noir et cruauté.

Le cœur du sujet est Marie NDiaye, que l’on voit à trois reprises comme en trois rounds, dans un face à face à la télé, ici théâtralisé. Autour, l’œuvre, qui croque férocement mais l’air de rien les relations familiales entre vide sidéral et dialogue de sourds, l’esprit province profonde et la difficulté de communiquer. Née en France de mère française et de père sénégalais qu’elle n’a vu que de rares fois, Marie NDiaye est une femme libre, qui ne se reconnaît sous aucune étiquette. Formée à la linguistique, elle se met à l’écriture dès l’adolescence, publie des romans et des nouvelles à partir de 1985, des romans pour la jeunesse, une dizaine de pièces de théâtre – dont Papa doit manger, pièce inscrite au répertoire de la Comédie Française – travaille pour le cinéma sur des scénarios – dont White Material de Claire Denis -. Elle obtient le Prix Femina en 2001 pour Rosie Carpe, puis en 2009 le Prix Goncourt pour Trois femmes puissantes. 

Les textes choisis par Georges Lavaudant nous mènent de disparitions en absences, entre Kafka et le meilleur des polars. Ils parlent de M. Herman, à la recherche de sa femme et de sa fille disparues, en cette fin de vacances ; de la mort d’une jeune fille ; de la bourgeoisie crasse et démago avec sa femme de peine ; du mal-être du père qui n’a plus sa place au foyer, remplacé par le chat Nounou dit le p’tit ; des groupies de Claude François entre hystérie et bavardages ; du retour de la sœur et d’un dialogue évasif avec son frère ; de la réunion des parents d’élèves virant au cauchemar avec ses non-dits et sa cruauté, face à une mère en détresse dénonçant le viol de son fils par l’instituteur ; du mariage ou de sa parodie, entre cuite et danse, une longue séquence où le ridicule ne tue pas.

A l’opposé, une autre longue séquence en final, d’une toute autre veine, qui puise dans le récit des Trois femmes puissantes conte la terrible histoire de Khady Demba, répudiée par sa belle famille d’Afrique après la mort de son mari et son impossibilité d’enfanter. Khady qui essaie de faire face à l’aridité et la violence de la vie, quand on ne vous reconnaît pas, que Lamine, l’ami d’un temps la trahit, et qu’après tant d’errance, pensant trouver la liberté, elle s’écroule devant le grillage de la frontière. « C’est moi, Khady Demba, songeait-elle encore à l’instant où son crâne heurta le sol et où les yeux grands ouverts, elle voyait planer lentement par-dessus le grillage un oiseau aux longues ailes grises – c’est moi Khady Demba, songea-t-elle dans l’éblouissement de cette révélation, sachant qu’elle était cet oiseau et que l’oiseau le savait. » Fin du récit, fin du spectacle. Le plateau retrouve sa gravité dans le lien avec ce qui, aujourd’hui, nous interpelle et dont chaque jour l’actualité témoigne : l’exode d’une partie de la planète.

Archipel joue de simplicité, enchaînant les séquences tels les gros titres d’un journal, en fondu enchaîné et sonore. Quelques tables et quelques chaises font et défont l’espace scénique et nous amènent d’une rive à l’autre. Les acteurs jouent collectif, pas de rôle, pas d’ego, le maître de cérémonie Georges Lavaudant les emmène à bon port, ils troublent le spectateur. Iconoclaste à souhait le spectacle s’inscrit entre sincérité et jaune acide, à la manière de Marie NDiaye.

Brigitte Rémer, 28 avril 2016

Avec : Valérian Behar Bonnet, Elias Benizio, Hugo Brunswick, Rosa Bursztein, Bérénice Coudy, Clovis Fouin, Kevin Garnichat, Benoît Hamon, Fannie Outeiro, Barbara Probst. Création lumières Georges Lavaudant – création son Philippe Gomes – coiffures perruques Jocelyne Milazzo – maquillage Sylvie Cailler – régie générale Grégoire Boucheron.

Du 26 au 30 avril 2016 au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis bd de la Chapelle, 75010 – Métro: ligne 2, arrêt La Chapelle – Tél 01 46 07 34 50 – Site : www.bouffesdunord.com