Texte et mise en scène Ahmed Madani – Création théâtrale partagée – Focus femmes ! Madani Compagnie.
Depuis 1985 Ahmed Madani s’entoure de collectifs d’artistes et fouille dans les cultures urbaines. Il transforme la réalité en spectacle, au plus près des faits de société et s’intéresse particulièrement aux français d’origine étrangère, témoignant de leurs perceptions et regards sur la vie. Directeur du Centre dramatique de l’Océan Indien de 2003 à 2007 il reprend ses activités et sa démarche au sein de la Madani Compagnie, à son retour et monte différents spectacles – dont Le théâtre de l’amante anglaise de Marguerite Duras – qui tournent en France et à l’étranger. Depuis 2011 Ahmed Madani développe un projet intitulé Face à leur Destin, une aventure artistique menée avec les jeunes des quartiers populaires du Val Fourré. Illumination(s) en 2012 en est le premier volet, versant masculin de F(l)ammes, présenté aujourd’hui et réalisé avec de jeunes femmes vivant dans des zones urbaines sensibles. Le texte s’est écrit au fil des répétitions.
Neuf chaises en fond de scène, face au public. Neuf jeunes femmes se lèvent tour à tour et se présentent pour déposer leur récit, morceau de leur biographie transcendée par la distance de l’humour, de l’auto dérision et de la poésie. L’énergie qu’elles dégagent, la force de vie qui les habite, sont une belle leçon. Côté public, même si l’on sait : les brimades, les incidents, les insultes, la difficulté d’être autre et de s’intégrer, le sentir à travers ces jeunes femmes qui, droit devant et avec simplicité, le disent, provoque une grande émotion. Elles sont la pluralité des cultures venant d’Algérie, de Guinée, d’Haïti et de tous les pays du monde, et font référence à Claude Lévi-Strauss dénonçant l’ethnocentrisme dans son ouvrage Race et Histoire, publié en 1952.
« N’aie jamais honte de là d’où tu viens » disent les pères à leurs filles et les filles à leurs pères et mères. Anissa, Lorène, Dana, Chirine, Maurine, Ludivine, Haby, Inès et Yasmina parlent en leur nom propre, du père, forestier en Guinée Conakry et « de la forêt qui est en nous », de celui qui fut ouvrier chez Renault, de celui qui a servi la France sous les drapeaux, du regard des profs, du bruit des avions et de l’appartement qui tremble, d’une rencontre dans le métro, du travail chez les autres, du défrisage, de l’excision. Le voile provoque une vraie fausse bagarre, copie conforme à la réalité, à s’y méprendre. « Le rêve que j’ai en moi, c’est mon père qui me l’a transmis ». Les rêves de l’ailleurs et les gestes traditionnels observés et enregistrés, les signes et tatouages, la préparation de la mahjouba cette crêpe feuilletée venant d’Algérie, ma grand-mère « qui m’a appris l’arabe tandis que je lui ai appris à compter. » Leurs vérités sont énoncées, leurs utopies tracées. A mes enfants, « Ne pas transmettre ma peur du monde » dit l’une ; « Être une fille, une prison pleine d’amour » dit l’autre ; « Nos racines sont sur nos têtes », surenchérit une troisième. Et rien dans les livres d’histoire.
Elles sont d’une vivacité et d’une liberté à couper le souffle dans ce qu’elles disent et dans leur manière d’être sur le plateau : elle savent chanter, danser (Salia Sanou, chorégraphe) persiffler, se héler, émouvoir. Elles sont de flammes et de voix, des écorchées bien vivantes. Les récits qu’elles font de leurs vies et leur force pour avancer parlent d’altérité dans la France d’aujourd’hui. Quelques images les accompagnent, justes et bien dosées (Nicolas Clauss création vidéo).
Belle rencontre entre un auteur-metteur en scène et une parole libérée qui renvoie en miroir les heurts et malheurs d’une jeunesse éclatante. « Ma démarche artistique pose le postulat que l’art doit interroger le sens que nous donnons à notre existence et nous aider à mieux nous comprendre » dit Ahmed Madani. Il prépare pour l’automne 2018 un spectacle intitulé J’ai rencontré Dieu sur Face Book. A suivre de près.
Brigitte Rémer, 31 octobre 2017
Avec Anissa Aou, Ludivine Bah, Chirine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Haby N’Diaye, Inès Zahoré. Assistante à la mise en scène Karima El Kharraze – regard extérieur Mohamed El Khatib – création vidéo Nicolas Clauss – création lumière et régie générale Damien Klein – création sonore Christophe Séchet – chorégraphie Salia Sanou – costumes Pascale Barré et Ahmed Madani – coaching vocal Dominique Magloire et Roland Chammougom – photographie François-Louis Athénas – Le texte est publié aux éditions Actes Sud-Papiers.
Jusqu’au 29 octobre, Maison des Métallos, 94, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011. Métro : Couronnes, Parmentier – Tél. : 01 47 00 25 20 – Site : www.maisondesmetallos.paris
Du 16 novembre au 17 décembre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du champ de manœuvre. 75012 – Métro ligne 1, Château de Vincennes (sortie 6), puis bus 112 ou navette Cartoucherie – Tél. : 01 43 28 36 36 – Site : www.la-tempete.fr
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