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Lora / Hairy

Lora © Laurent Philippe

Deux pièces chorégraphiques : Lora, conception et chorégraphie de Rachid Ouramdane, avec Lora Juodkaitė – Hairy, chorégraphie de Dovydas Strimaitis, avec les interprètes – dans le cadre du Focus Lituanie, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt/Grande salle.

Dans Lora, la pièce qui porte son nom, Lora Juodkaitė écrit l’espace avec son corps, en pivotant sur elle-même à l’infini telle une derviche dont l’ombre se reflète sur le mur, en fond de scène. C’est sa dramaturgie, son histoire de vie qui se raconte et s’affiche à l’écran.

Cette maladie du tournoiement sur demi-pointes remonte à la petite enfance. Très tôt, elle comprend que cette manière de fuir le monde lui convient bien et qu’elle y trouve un refuge, du plaisir. Au début, dans la maison familiale, c’est une passion cachée, le tapis lui brule les pieds, assise sur le lit et lui faisant face, sa petite sœur la regarde, elle lui raconte des histoires, en tournant.

Lora © Laurent Philippe

Ses rotations sont d’une grâce infinie, avec accélérations, décélérations, désarticulation, régulation de la respiration, décompression. On entre dans l’inconnu et l’étrangeté de quelqu’un qui s’est construite dans cette mobilité circulaire. Elle s’invente des figures, bras, poings, mains, se cachant le visage et les yeux, tournant à l’aveugle comme une hélice alpha, inlassablement.

Viennent les visions, l’arbre, l’eau, l’oiseau derrière ses mains. Comme une chamane, elle voyage entre l’extase, la transe et le voyage initiatique. Et puisqu’elle tourne sans que rien ni personne ne l’arrête, comment finir cette pièce ? Elle pose la question à haute voix. et trouve la réponse en s’enroulant sur une musique de fête, dans des lumières d’un blanc qui évoquent un glacier, dernier mirage.

À ses côtés, fasciné par ses rotations qu’il découvre il y a une dizaine d’années, Rachid Ouramdane, chorégraphe et directeur de Chaillot-Théâtre National de la Danse. Avec Lora Juodkaitė, incandescente, il cisèle cet ardent solo où elle effleure le sol et vole, centrée sur elle-même, au sens physique comme mental. Un pur joyau !

Avec Hairy de Dovydas Strimaitis, le tournoiement se poursuit, dans un tout autre style, qui fait tourner les têtes. Un premier danseur/danseuse s’avance au son de la percussion qui tel un métronome, lui donne l’impulsion. Le mouvement consiste à lancer la tête, à l’aveugle, car les longs cheveux auburn ne laissent filtrer aucun regard et balayent le sol. La tête se balance de droite à gauche et vice versa puis le cou sert d’axe de rotation et la tête tourne sur elle-même, sans s’arrêter, jusqu’à l’extrême.

Hairy © D. Matvejevas

Le danseur/danseuse est rejoint par trois autres aux mêmes longs cheveux qui s’installent dans la diagonale et exécutent ces mêmes circonférences. Les quatre portent une combinaison en skai noire, brillante, manches longues qui ne laisse paraître aucun centimètre de peau, des chaussures et gants noirs, silhouettes type queer pour mettre le mouvement au centre de la danse.

Dovydas Strimaitis avait créé Hairy en solo, puis l’avait repris en trio au concours Danse élargie du Théâtre de la Ville en 2022, avant de le présenter ici en quatuor, chacun déployant en une force centrifuge sa longue chevelure. Des suspensions et des ruptures de rythme accompagnent la chorégraphie nocturne. On entend comme le bourdonnement d’un essaim pour accompagner le bruissement des cheveux avant que le violoncelle ne prenne le relais de la percussion. Bach s’invite dans cette mathématique lancinante où les lumières lancent leurs éclairs stroboscopiques.

Hairy © D. Matvejevas

Originaire de Lituanie, Dovydas Strimaitis s’est d’abord formé dans son pays, s’essayant à différents types de danse, comme le hip hop, la danse classique et contemporaine, avant de se former à Codarts, école supérieure des arts du spectacle de Rotterdam. Il vit et travaille en Belgique et en France où pendant trois ans il a dansé avec (LA)HORDE/Ballet national de Marseille. Il a donné son premier solo, The Art of Making Dances, à Vilnius, au festival New Baltic Dance, en 2021.

Le travail de Dovydas Strimaitis est repéré, il construit un vocabulaire minimaliste sur fond de répétitif, au sens de la musique répétitive comme style. L’objet est étrange dans son ressassement et les danseurs disparaissent sous le poids de leur chevelure, en principe symbole d’identité et de liberté, ici véritable élément dramatique de la pièce.

 Brigitte Rémer, le 17 octobre 2024

Lora : Conception, chorégraphie, Rachid Ouramdane, lumières Stéphane Graillot – décor Sylvain Giraudeau. Avec : Lora Juodkaitė – Hairy : création Dovydas Strimaitis – chorégraphie Dovydas Strimaitis avec les interprètes – lumières Lisa M. Barry – musique : composition originale de Julijona Biveinytė, Prélude de la Suite pour violoncelle N° 4 de Bach joué par Yo-Yo Ma, Sarabande de la Suite pour violoncelle N° 2 de Bach jouée par Jean-Guihen Queyras. Avec : Benoit Couchot, Line Losfelt Branchereau, Lucrezia Nardone, Hanna-May Porlon.

Du 10 au 12 octobre 2024, à 20h au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt / Grande salle – 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.comEn tournée : Festival Actoral, Marseille, du 4 au 5 octobre 2024 – La Biennale/Festival international des arts vivants Toulouse Occitanie, du 27 septembre au 13 octobre 2024 – Théâtre de la Ville, Paris, du 29 septembre au 20 octobre 2024 – Espace 1789, Saint-Ouen, le 15 octobre 2024 – Maison de la Danse, Lyon, du 28 au 29 novembre 2024 – Festival NeufNeuf, Toulouse, le 22 Novembre 2024.