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Loin des hommes « essentiels »

© Pascal Gély.

Écriture et mise en scène Vincent Fontano – avec Véronique Sacri et Vincent Fontano, compagnie Kèr Béton (La Réunion) – au Lavoir Moderne Parisien.

C’est la septième pièce qu’écrit Vincent Fontano et la première fois qu’il le fait en français. Les précédentes étaient en créole, fort marqueur de l’identité à l’Île de La Réunion d’où il est originaire et où il a créé sa compagnie, en 2011.

Depuis une douzaine d’années, il s’inscrit au cœur des nouvelles écritures théâtrales réunionnaises et interroge la société dans laquelle il vit : ses traumatismes à travers la colonisation, le métissage interculturel – dans la cohabitation de nombreux peuples sur un petit territoire, le métissage interreligieux autour des trois principales communautés – chrétienne, hindouiste et musulmane.

Loin des hommes est écrit en deux parties, deux monologues, celui de l’homme suivi de celui de la femme. Noir désert. L’acteur (Vincent Fontano) entre en scène, ou plutôt dans la nuit, dans sa nuit qu’il tentera d’oublier. La ville est vide, le temps suspendu. Un homme est là face à lui-même, le public pour témoin. Il tisse l’histoire familiale et ses blessures, donnant la parole à la mère, figure totem : « Mon fils est né moche et je l’ai vu dès qu’il est sorti de mon ventre… Les femmes ne t’aimeront pas mon fils, je le sais parce que je suis ta mère. » Et elle guide sa route avec autorité et sans fléchir, lui déléguant, au départ du père, le rôle de l’aîné, de la responsabilité. Lui, aurait préféré continuer à voyager dans ses pensées.

© Pascal Gely

Quand le plus jeune de la fratrie, le plus beau et le fils préféré, qu’il aimait aussi, disjoncte et se transforme en délinquant, elle lui assigne la mission de le rayer de la carte familiale et arme son bras. « Quand elle a posé les yeux sur moi, j’ai appuyé sur la détente et le diable a chanté… Je suis un homme, l’homme que ma mère a voulu que je devienne. » Moments du passé, moments de cruauté.

Puis l’homme avance et se cogne à l’idée du désir, désir de femme et désir d’homme, aux effleurements, et on ne sait plus ce qui est de son imagination ou de la réalité de la rencontre. « Parfois je vois une grande ombre courir, des matraques à ses trousses et je sais qu’il va mourir. Parfois dans un coin sombre, j’entends un grand cri, et je sais que c’est le dernier… »

L’homme est sorti, entre la femme (Véronique Sacri) qui a vu ce baiser d’hommes, la femme et son rêve éveillé, son cauchemar. La femme comme une terre asséchée qui refait son propre chemin, tournant et retournant dans la tête des idées de culpabilité et de rédemption. Une famille bienveillante, mais un soir de violence entre le père et la mère coule le sang sur une assiette blanche. « Il l’a frappée juste pour qu’elle se taise. Sans colère et sans rage… » La faille, la solitude, la détresse qui s’installent à jamais. « J’ai pris la peur et je l’ai trempée dans la nuit… » les ratages, les espoirs, l’absence de perspective, l’anéantissement attendu. « Je n’ai plus envie de mentir. J’ai juste envie de disparaître. » Elle s’éloigne. « Ainsi va mourir la femme qui n’a pas vécu. »

Loin des hommes a été créé en 2018 et porte quelque chose de cinématographique, dans l’intimité recherchée – Vincent Fontano a aussi réalisé des courts métrages – Il a introduit dans l’écriture le mot « essentiels » pour cette nouvelle version scénique où on aimerait que les acteurs habitent davantage l’espace du Lavoir Moderne Parisien, dans l’errance des personnages et dans la ville. Le texte est de toute beauté, puissant. Les lumières (signées Marie Cerisy) accompagnent les acteurs dans leur nuit obscure. La mer lèche le mur du fond, à peine perceptible (vidéo Pierre Erudel). « Le diable se venge et tu ne le vois pas venir » conclut le texte où se mêlent le mal, le désir et la solitude.

Brigitte Rémer, le 21 octobre 2024

Écriture et mise en scène Vincent Fontano, avec Véronique Sacri et Vincent Fontano – musique et son Jako Maron – vidéo Pierre Erudel – lumière Marie Cerisy – La spectacle a été créé au Théâtre du Train Bleu, à Avignon le 8 juillet 2023 – Le texte est publié aux éditions Passage(s).

Du 9 au 13 octobre 2024, mercredi au samedi à 21h, dimanche à 17h – au Lavoir Moderne Parisien, 5 rue Léon. 75018. Paris – site : www.lavoirmoderneparisien.com