Spectacle de théâtre musical, écrit et interprété en vers et en chansons par Kaddour Hadadi – chant et accordéon, Claire Bernardot – à La Scène Libre, Paris.
Quand on entre dans ce petit théâtre plein à craquer, il n’y a pas de feu de bois mais ça sent bon Brassens et Brel. Hugo, Jaurès, Apollinaire, Rimbaud, Louise Michel sont prêts à entrer en scène. L’accordéoniste (Claire Bernardot) vient se poser sur un banc, côté cour, en fredonnant, « ce soir je ne rentrerai pas au port, je pars car je dois changer de décor… »
Arrive sur scène côté jardin, le comédien Kaddour Hadadi, dit HK, portant une caisse plus grosse que lui, sa maison sur le dos, son théâtre imaginaire, sa bibliothèque, sa vie. Il en sort quelques vêtements qu’il accroche au porte-manteau placé derrière lui, de précieux objets qu’il installe avec soin, comme ses figurines-marionnettes petits formats à l’effigie de Joséphine Baker, Coluche et Georges Brassens qui seront ses témoins, ou ses parrains. Il fait l’inventaire de ses livres et se met à parler du trac qui monte avant un spectacle, comme d’un moment de grâce où l’on se sent prêt à tout, y compris à se défiler.
Justement, évadé du théâtre d’en face en plein spectacle, l’homme est vivement recherché. Reward ! Il fouille dans ses livres, à la recherche d’un texte à jouer ce soir et tombe sur L’Invincible espoir, de Georges Fourneau une histoire de 14/18 et de la guerre des tranchées. Il s’habille d’une capote militaire et d’un calot, prend sa besace en bandoulière. Acte I Scène 1, juste avant la bataille. Il est ce soldat qui mêle les mots empruntés à Hugo, et les larmes. C’est un adieu : « Demain dès l’aube je partirai… » et il introduit la superbe chanson écrite et interprétée par Jacques Brel, Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? « Demandez-vous belle jeunesse Le temps de l’ombre d’un souvenir Le temps du souffle d’un soupir, Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? »
HK part au combat, puis fait un casse, en rêve. Il se démobilise et rend son costume militaire : « Moi avant tout j’étais poète, donnez-moi un stylo et du papier à lettres… » Il joue avec les vers, fait référence aux écrivains, aux textes chantés qu’il entrelace à ses écrits, décline des jeux de mots, lance la métaphore, met ses pas dans les traces des artistes. Il tisse la toile de la poésie, c’est du cousu main. « Pour moi la poésie est un regard » déclare-t-il. On pourrait mettre en miroir Léo Ferré, dans Poètes, vos papiers… ! Il fait un détour du côté d’Apollinaire dans les mains de Lou-Andreas Salomé, « Lou, si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur… » On croise aussi la Joséphine de Bashung, et toute une série de portraits qu’on aime à revoir.
Puis le comédien reprend la trame de son livre d’images. L’Invincible espoir, Acte II Scène 1. On frappe à la porte, la maréchaussée scrute et traque le poète. « Je ne demande pas la lune… Ne m’enlevez pas mes poèmes, ne me prenez pas mes chansons. » Il écrase du pied la délation comme on écrase un mégot, méprise ceux qui « examinent les poubelles dans la petite ruelle sur laquelle donne l’entrée des artistes » puis, en compagnie de Rimbaud et armé de sa masse retrouvée dans la caisse, se transforme en forgeron, casquette et tee-shirt noir. « Nous allions au soleil, front haut, – comme cela -, dans Paris accourant devant nos vestes sales. Enfin ! Nous nous sentions Hommes… » Il fait l’éloge de la campagne, des cultures, raconte la Bastille. II est le peuple. Et signé du ministère des Affaires Populaires, Comme un air de révolution, nous rattrape, chanté par l’accordéoniste qui avec HK a dessiné ce parcours, impertinent et salutaire, poétique et véridique.
Tournez manège ! Portant un chapeau de paille d’Italie, le poète cherche sa place, déjoue la censure, fait tourner les têtes, sillonne le monde de bal en bal, et stationne devant son téléphone devenu muet. Il raconte ses galères dans la rue, feuillette ses livres, tombe sur le poème de Paul Éluard, Liberté, j’écris ton nom, ramasse les feuilles mortes. D’espoirs en désespoirs et de textes en chansons, du dit à la psalmodie, de l’accordéon à la déraison, HK circule jusqu’à ce qu’un gyrophare le repère. Pour toute arme son stylo et son carnet, pour compagnie l’accordéoniste qui reprend ce qu’elle fredonnait au début du spectacle : « Ce soir je ne rentrerai pas au port, je pars car je dois changer de décor… » Lui, l’homme en cavale, auquel se substitue une figure à son effigie, est déjà sorti par l’entrée des artistes après avoir lâché : « Nous sommes le monde de demain. »
Auteur-compositeur-interprète, Kaddour Hadadi trouve son inspiration aux quatre coins du monde et la restitue avec tendresse et malice. Il s’empare aussi des mots d’autres poètes et les polit comme des pierres précieuses, ainsi ceux de Claude Darnal, nordiste comme lui, venant de Douai, lui de Roubaix : « Dans une vieille caisse en bois Qui vient de Samoa Je vais faire un trois-mâts… Tant mieux si la route est longue, je ferai le tour du monde… » Et HK convoque le fantôme de Shakespeare : « Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles… »
Poète en cavale est de la belle œuvre signée Kaddour Hadadi qui construit avec ses mots, ses rythmes et ses idéaux, et qui butine de poème en poème à la recherche d’une toison d’or. C’est un manifeste contre l’arrogance, une ode à l’irrévérence et aux utopies, celles qui l’habitent et sont son oxygène, la liberté d’expression et le vivre-ensemble. Autour de lui, il observe, dénonce injustices et cirque médiatique, interprète et rappelle ce que vivre et chanter veut dire.
Brigitte Rémer, le 9 décembre 2024
Avec : Kaddour Hadadi (HK), interprétation et chant – Claire Bernardot et Mathilde Dupuch, accordéon et chant – écriture Kaddour Hadadi – compositionThibault Delbart, Kaddour Hadadi, Claire Bernardot – mise en scène Saïd Zarouri – création lumières Olivier Aillaud – Blue Line Productions et l’Épicerie des Poètes. Le texte Poète en cavale, précédé d’un récit autobiographique, Le Roubaisien de Bergerac, est publié par Riveneuve Éditions.
Du 30 octobre au 21 décembre 2024, du mercredi au samedi à 21h – Théâtre Libre / La Scène Libre, 4 Boulevard de Strasbourg, 75010 Paris – métro : Strasbourg St Denis – tél. : 01.42.38.97.14 – site : https://le-theatrelibre.fr/
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