Chorégraphie de Dada Masilo, d’après Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky – musique Ann Masina, Leroy Mapholo, Tlale Makhene, Nathi Shongwe – à la Grande Halle de La Villette.
Originaire de Soweto, Dada Masilo s’est formée à la danse contemporaine dès l’âge de onze ans puis à la danse classique. En Belgique elle a fréquenté le centre PARTS fondé par Anne Teresa De Keersmaeker – inspirée de l’école Mudra de Béjart – et qui fut un laboratoire multiforme ouvert aux grands chorégraphes internationaux dont Trisha Brown, William Forsythe et Pina Bausch. De retour en Afrique du Sud, en 2008 elle fonde sa compagnie puis devient artiste associée de la Dance Factory, à Johannesburg. Elle a présenté en 2012 au Festival d’Avignon le spectacle Refuse the hour, auquel William Kentridge avait collaboré, et elle relit aussi les classiques de la danse occidentale dans une pure réinterprétation métissée de danse africaine. Son Lac des Cygnes fut nominé aux Bessie Award en 2016, Giselle reçut le Prix Danza & Danza de la meilleure Performance, en 2017, elle s’est aussi penchée sur Roméo et Juliette et sur Carmen dont elle a donné sa libre interprétation.
Dada Masilo cherche son langage entre la danse contemporaine et la danse rituelle du Botswana, appelée danse tswana – du nom de petits animaux qui se meuvent avec élégance – et qui s’exprime en des styles différents selon les événements de la vie qu’elle accompagne, tels que mariage, naissance, fête traditionnelle ou enterrement. La danseuse-chorégraphe avait appris cette forme de danse pendant plusieurs mois, avec un professeur particulier. « À Johannesbourg, la danse tswana fait partie de notre paysage quotidien ; si on se promène dans un centre commercial, on peut voir les jeunes danser, c’est fascinant. J’ai voulu explorer cela » dit-elle. L’hybridation est sa matière vive.
Le Sacrifice a été conçu il y a quatre ans, il était programmé au Festival d’Avignon et fut reporté deux fois en raison de la pandémie, avant sa présentation l’été dernier. Après La Villette, le spectacle poursuivra sa route, en France et à l’étranger.
Sa référence et source d’inspiration puisent dans Le Sacre du Printemps que Dada Masilo avait découvert par la chorégraphie de Pina Bausch lors de ses études à Bruxelles. Elle s’interrogeait sur la manière de s’approprier l’œuvre à travers rituels et traditions d’Afrique du Sud. La composition de quatre musiciens sud-africains présents sur scène (Ann Masina, Leroy Mapholo, Tlale Makhene, Nathi Shongwe) s’est substituée à la musique d’Igor Stravinsky. Voix, violon, clavier et percussions rythment le cérémoniel qui a gardé pour titre le second tableau de l’œuvre de Stravinsky, Le Sacrifice, tandis que le premier, L’Adoration de la Terre glorifie le printemps et prête ici à des rythmes scandés par les dix danseurs, frappant le sol des pieds et tapant des mains. On aurait voulu davantage encore la voix et la présence habitées d’Ann Masina, à la fois à elle seule Terre, Mère et Cosmogonie. Une expression de contraste basée sur les rituels et traditions de l’Afrique du Sud s’organise dans un dialogue entre danseurs et musiciens où Stravinsky est présent-absent. « J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps » écrivait le compositeur.
Dada Masilo, qui tient le rôle de l’élue travaille la confrontation des styles. Elle ouvre le spectacle par un solo et reste omniprésente tout au long de la chorégraphie. Son groupe, composé de magnifiques danseurs et danseuses, est d’une grande cohésion et fait communauté autour d’elle. De couleur au départ, les costumes se métamorphosent en un blanc majestueusement symbole de pureté (costumes David Hutt), de même que le lys, autre signe porté. Lignes, diagonales, cercles servent un académisme aux géométries parfaitement maîtrisées et une danse partant de l’intérieur pour aller vers l’extérieur tout en jouant de rythmes complexes. Pour la chorégraphe c’est un peu un retour aux sources et à ses racines, une manière de reconnaître ses ancêtres. Dans un esprit de transmission de la tradition, d’hybridation et de fusion entre les registres de danse, elle expérimente. Ici le printemps se dessine, malgré le sacrifice.
La chorégraphie est d’une grande beauté formelle et marque le passage d’une saison à l’autre, d’un état à l’autre par cette célébration rituelle d’un être humain, évoquant le renouveau de la nature. L’interprétation que fait Dada Masilo de son rôle d’élue est pleine de grâce et sa chorégraphie tirée au cordeau dans une recherche du plus que parfait chargée d’énergie et qui communique pour le public, avec l’émotion.
Brigitte Rémer, le 23 décembre 2022
Avec les danseurs : Leorate Dibatana, Lwando Dutyulwa, Thuso Lobeko, Dada Masilo, Lehlohonolo Madise, Songezo Mcilizeli, Refiloe Mogoje, Steven Mokon, Thandiwe Mqokeli, Eutychia Rakaki, Tshepo Zasekhaya – compositeurs et interprétation Ann Masina, Leroy Mapholo, Tlale Makhene, Nathi Shongwe – costumes David Hutt – lumières et vidéo Suzette Le Sueur – son Thabo Pule – assistant production Thabiso Tshabalala.
Vu le 7 décembre 2022 à la Grande Halle de La Villette – En tournée : le 13 décembre, Théâtre Jean Vilar de Suresnes – 15 et 16 décembre, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – 13 janvier 2023, Teatro Central de Séville (Espagne) – 16 janvier 2023, Equilibre-Nuithonie, à Villars-sur-Glâne (Suisse) – 20 et 22 janvier 2023, Desingel à Anvers (Belgiqe) – 25 au 28 janvier 2023, Théâtre de Caen.
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