Musique et livret Richard Wagner – Prologue en quatre scènes au festival scénique L’Anneau du Nibelung (1869) – mise en scène Calixto Bieito – direction musicale Pablo Heras-Casado, avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris – en langue allemande, sur-titrage, français/anglais – à l’Opéra Bastille/Paris.
Écrivain, compositeur, directeur de théâtre et chef d’orchestre avant-gardiste, Richard Wagner (1813-1883) a écrit quatorze opéras et drames lyriques. Il a passé trente ans de sa vie sur le livret et la musique de Der Ring des Nibelungen, composé de L’Or du Rhin, son prologue, et de trois journées : La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux, dont la représentation de l’ensemble demande une quinzaine d’heures. Il s’est inspiré des légendes germaniques et nordiques et de la tragédie antique. Passionné de théâtre total et de pluridisciplinarité, Wagner fit construire sur mesure le Palais des festivals de Bayreuth, dans l’unique objectif de pouvoir le représenter. Il l’inaugure en 1875 avec L’Or du Rhin, année où il fonde le célèbre Festival de Bayreuth. De nombreux metteurs en scène et directeurs musicaux ont relevé le défi du Ring. Patrice Chéreau l’a mis en scène entre 1977 et 1980, Pierre Boulez le dirigeait. Ces représentations ont fait date.
Aujourd’hui, Calixto Bieito met en scène le Prologue, L’Or du Rhin, sous la direction musicale de Pablo Heras-Casado, qui sera, ultérieurement, suivi des trois journées. On entre chez les dieux, Wotan, grand maître, divinité guerrière et symbole d’autorité, démontre sa folie des grandeurs. L’immense palais qu’il s’est fait construire par les deux frères, Fafner et Fasolt, appartenant au monde des Géants, vient d’être achevé. Leur mission est monnayée par l’échange d’une jeune femme qu’il s’est engagé à livrer, Freia, déesse de la jeunesse éternelle, très populaire auprès des femmes scandinaves.
L’Opéra débute avec les trois Filles du Rhin, trois ondines : Woglinde (Margarita Polonskaya, soprano), Wellgunde (Isabel Signoret, mezzo-soprano), et Flosshilde (Katharina Magiera, contralto), chargées de veiller sur l’or du fleuve. Elles remontent de plongée, combinaisons turquoise bordées de jaune (costumes Ingo Krügler), bouteilles d’oxygène sur le dos et rencontre Alberich (Brian Mulligan, baryton), sorti des profondeurs de la terre – ici arrivant de la salle, dans le livret nain disgracieux, il tente de les séduire. Il a l’allure d’un ange noir affublé d’ailes qui ne sont autres qu’une série de câbles et tuyaux, dont on comprendra le sens un peu plus tard. Elles le moquent, le malmènent et l’humilient, mais dans leur insouciance livrent le secret de l’or. Cet or donne un pouvoir absolu à celui qui le détient et qui forgera un anneau, sous réserve qu’il renonce à l’amour. Alberich n’hésite pas, s’en empare et fabrique l’anneau qu’il portera autour du cou comme un collier.
Apparaît Wotan (Iain Paterson, baryton-basse) et son épouse Fricka (Ève-Maud Hubeaux, mezzo-soprano) – déesse protectrice du mariage et garante de l’ordre établi – lascivement allongés sur une immense méridienne qui roule du côté cour au centre du plateau. Elle, de méchante humeur, connaissant le contrat qui lie Wotan et ses constructeurs de palais, sa sœur en otage, ne s’en laisse pas conter et joue sur la ligne de crête, entre séduction et supplique, l’enjoignant de protéger Freia (Eliza Boom, soprano). Donner et Froh, leurs frères – le premier, dieu du tonnerre (Florent Mbia, baryton-basse), le second, dieu du printemps (Matthew Cairns, ténor) – en font de même jusqu’à ce qu’apparaisse Loge, l’éminence grise de Wotan et son douteux conseiller, dieu du feu (Simon O’Neill, ténor). Le contrat alors se décale : Wotan promet l’or à ses bâtisseurs, qui néanmoins emmènent Freia comme otage, tandis que Wotan et Loge partent à la recherche d’Alberich pour récupérer la matière précieuse.
On entre alors dans les entrailles de la terre, chez les Nibelungen, avec Alberich, qui a conçu un immense laboratoire clandestin d’humanoïdes, automates et mannequins, et son frère, Mime, qu’il a réduit en esclavage (Gerhard Siegel, ténor). On est au cœur de l’expérimentation, des profondeurs, de la violence, de la manipulation, de l’illusion. Il exige de lui la fabrication d’un heaume susceptible de le rendre invisible – cette pièce magique est ici un masque d’or précolombien posé dans le fatras de l’atelier d’où pendent d’extravagantes créatures en pièces détachées. Cette partie de laboratoire clandestin, nichée dans les sous-sols du bâtiment d’acier qui compose la structure scénographique (signée Rebecca Ringst), est à peine rassurante, la couleur est apportée par les lumières (de Michael Bauer) et l’on suit Alberich dans sa folie, assisté de Mime, à l’œuvre. Celui-ci réussira, plus tard, à s’échapper, et se nichera en haut de la structure métallique, déréglant les hiérarchies.
Wotan et Loge se rendent chez Alberich et par différents subterfuges obtiennent de Mime les informations nécessaires à changer le cours des choses. Dans sa démonstration ridicule et aveugle, Alberich livre et démontre le secret de la métamorphose et, se retrouvant crapaud, est capté par Wotan qui en obtient, avec Loge les clés indispensables pour récupérer l’or et le casque. Fafner et Fasolt reviennent échanger Freia contre l’or. Wotan s’oppose à donner ce heaume mais la sage Erda, détentrice du savoir et déesse-mère de la Terre (Marie-Nicole Lemieux, contralto) vient le mettre en garde contre l’anneau porteur de malédiction. Et la malédiction se déclare. Les deux frères, Fafner et Fasolt s’entretuent. Un immense pont-levis recouvert de ces réseaux de tuyaux et fils noirs descend sur le plateau. Les dieux, sous la conduite de Wotan sont invités à gagner leur nouvelle demeure baptisée par Wotan le Walhalla (le château des guerriers) avant qu’il ne se referme. Loge annonce leur fin tout en commentant cyniquement la perte de l’or.
La lecture donnée par Calixto Bieito repose sur la manipulation, celle des humains, y compris au sein de la galaxie familiale, et celle de la surpuissance numérique des Nibelungen régnant sur l’expérimentation et la création d’humanoïdes dans le laboratoire d’Alberich. L’Or du Rhin nous mène des entrailles de la terre au monde céleste, pas si étincelant que ça, monde vertical s’il en est. Dominants et dominés, chacun vaque avec ses petits et ses grands arrangements. Tout n’est cependant pas tout à fait lisible dans ces différentes sphères, notamment le monde des géants revu et corrigé par la mégalo américaine, Fafner en cow-boy, Fasolt en homme d’affaire. Chez les dieux, d’apparence assez raisonnable, Wotan laisse le leadership à Fricka, son épouse, sorte d’alter-ego au tempérament de feu.
L’ensemble manque un peu de chatoiement et tension dramatique dans ce jeu de destruction et de cruauté, quelque chose ne décolle pas dans cette folie terrestre et céleste sous contrôle. La planète 2.0 manque de vie – est-ce son destin ? – et de poésie, même si l’ensemble des voix, toutes tessitures confondues, reste juste et chaude. La direction musicale de Pablo Heras-Casado est assez sage dans cette course au pouvoir et à la puissance par la captation de l’or du Rhin et la traque de l’anneau forgé, elle manque un peu de flamboyance. Pédagogue convaincu, très primé, le chef espagnol a déjà dirigé la Tétralogie entre 2018 et 2022, avec l’Orchestre du Teatro Real de Madrid. Il a été nommé Chef de l’année 2024 par le magazine Opernwelt et dirigera entre autres au cours de la saison Le Vaisseau fantôme au Staatsoper Unter den Linden de Berlin et Parsifal au Festival de Bayreuth.
Calixto Bieito, metteur en scène catalan de théâtre et d’opéra, devait créer cette Tétralogie en 2020 mais la pandémie en a décidé autrement. Elle vient de voir le jour et court jusqu’en 2026. Invité par toutes les grandes scènes du monde depuis le début des années 2000, parfois controversé dans ses choix, il aime à dérouter. L’histoire reste donc à suivre dans ses trois prochains épisodes : après L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux, entre l’eau, la terre et le ciel.
Brigitte Rémer, le 10 février 2025
Avec : Wotan, Ludovic Tézier – Donner, Florent Mbia** – Froh, Matthew Cairns – Loge, Simon O’Neill – Fasolt, Kwangchul Youn – Fafner, Mika Kares – Alberich, Brian Mulligan – Mime, Gerhard Siegel – Fricka, Eve-Maud Hubeaux – Freia, Eliza Boom* – Erda, Marie-Nicole Lemieux – Woglinde, Margarita Polonskaya** – Weligunde, Isabel Signoret* – Flosshilde, Katharina Magiera (* Débuts à l’Opéra national de Paris – ** Artiste de la Troupe lyrique de l’Opéra national de Paris). Direction musicale Pablo Heras-Casado, avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris – mise en scène Calixto Bieito – décors Rebecca Ringst – costumes Ingo Krügler – lumières Michael Bauer – vidéo Sarah Derendinger – dramaturgie Bettina Auer.
Du 29 janvier au 19 février 2025, sept représentations à l’Opéra Bastille – Place de la Bastille. 75012. Paris – Site : www.operadeparis.fr – tél. : 08 92 89 90 90, depuis l’étranger : + 33 1 71 25 24 23 – L’Or du Rhin avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris sera diffusé sur France musique le samedi 15 mars 2025 à 20h.
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