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Dans la solitude des champs de coton

© Jean-Louis Fernandez

Texte Bernard-Marie Koltès – mise en scène Charles Berling, au Théâtre des Quartiers d’Ivry-Manufacture des Œillets à Ivry.-sur-Seine.

On se plonge toujours avec inquiétude dans un texte de Bernard-Marie Koltès, il y règne une atmosphère souterraine et la lumière est crépusculaire. Avec Dans la solitude des champs de coton, pièce écrite en 1985, on traverse une épaisse couche de brouillard où tout est allusion et chaque mot, alluvion.

Quand on pense Koltès apparaît Chéreau. Les deux artistes s’étaient rencontrés au début des années 80, début de leur collaboration jusqu’à la mort de l’auteur, en 1989. Sous haute tension leurs univers interféraient. Chéreau a monté trois fois Dans la solitude des champs de coton après avoir mis en scène Combats de nègres et de chiens en 1983 et Quai Ouest en 1986 : à Nanterre en 1987 avec Isaac de Bankolé et Laurent Malet ; au Festival d’Avignon en 1988 où il tient le rôle du Dealer face à Laurent Malet ; à la Manufacture des Œillets d’Ivry-sur-Seine en 1995 où il fait face à Pascal Greggory. La symbiose entre les univers Koltès/Chéreau est restée emblématique.

Mais une pièce doit vivre sa vie et accepter d’autres regards, d’autres directions ; ainsi Dans la solitude des champs de coton montrée à la Manufacture des Œillets d’Ivry-sur-Seine justement, dans la mise en scène de Claude Berling, directeur du Liberté, scène nationale de Toulon, qui interprète aussi le rôle du Client. Le scénario est un nocturne au sens musical du terme. C’est l’histoire d’un deal, d’une rencontre entre deux personnages, le Client et le Dealer, et l’objet de l’échange n’est pas nommé. L’auteur définit le deal dans un préambule, lu ici par deux jeunes, à l’avant-scène, sur un coin du plateau : « Un deal est une transaction commerciale portant sur des valeurs prohibées ou strictement contrôlées et qui se conclut dans des espaces neutres, indéfinis, et non prévus à cet usage… » C’est un voyage entre le licite et l’illicite où le Dealer est ici une femme noire (Mata Gabin), ce qui ajoute au mystère. Dissimulée sous une capuche, elle fait face au public et au Client, blanc, au costume fatigué (Charles Berling). Lui est presque toujours de dos. Quelques enseignes jaunes et bleues, dans une impasse. Un recoin où se tient le dealer pour ce jeu de rôles entre deux inconnus. Les mots sont un fardeau, flot presque ininterrompu et sans véritable échange. Deux solitudes se frôlent mais jamais les lignes de vie ne se croisent, pourtant le désir émerge, la transaction se dessine, dans la nuit le sexe, la mort jamais loin. On se cherche sans se trouver. La tension est linéaire et la violence sous-jacente.

Imposant, le décor (de Massimo Troncanetti) reconstruit un no man’s land en plusieurs espaces et métaphores : une passerelle entre le public et le plateau, domaine du Client que tout un chacun pourrait être, le coin de la rue avec ses enseignes dans la nuit et ses lumières blafardes, domaine du Dealer, un étage, sorte de ring où chaque personnage monte à son tour livrer son combat. Tout fonctionne dans la mise en scène de Charles Berling, pourtant les mots ont presque trop de poids et de présence et perdent de leur pouvoir magique, mettant de la distance avec le domaine de l’intime, clé de voûte du théâtre de Bernard-Marie Koltès.

Brigitte Rémer, le 30 octobre 2017

Avec : Mata Gabin, Charles Berling. Conception du projet Charles Berling, Léonie Simaga – collaborateur artistique, Alain Fromager – décor Massimo Troncanetti – lumières Marco Giusti – son Sylvain Jacques – assistante à la mise en scène Roxana Carrara – regard chorégraphique Franck Micheletti.

Du 12 au 22 octobre, au Théâtre des Quarties d’Ivry, Centre dramatique national du Val-de-Marne, Manufacture des Œillets, métro : Mairie d’Ivry –  Site : www. théâtre-quartiers-ivry.com Tél. : 01 43 90 11 11 et Le Liberté www. théâtre-liberte.fr

En tournée, le 2 novembre au Liberté scène nationale de Toulon – du 8 au 10 novembre au Théâtre du Gymnase (Marseille) – le 18 novembre au Carré (Sainte-Maxime) – le 24 novembre à Aggloscènes-Théâtre le Forum (Fréjus).