Texte et mise en scène Laurence Février – Chimène compagnie théâtrale – Théâtre de l’Epée de Bois/Cartoucherie de Vincennes.
Quelles voies utiliser pour parler de l’intolérance et du fanatisme au théâtre, sans être didactique ? Laurence Février, auteure et metteure en scène de Je suis Voltaire… a choisi de prendre pour fil conducteur l’un des grands philosophes du XVIIIème siècle, Voltaire, qui avait signé un Traité sur la tolérance. Elle construit un docu fiction et se donne pour liberté de rappeler deux affaires qui avaient mené à l’exécution d’innocents, dans lesquelles Voltaire avait pris parti et dénoncé les erreurs judiciaires : l’Affaire Calas en 1761, essentiellement politique, sur fond de conflit religieux entre protestants et catholiques et l’affaire du Chevalier de la Barre, en 1765, dans laquelle Voltaire s’était fortement engagé, combattant le fanatisme religieux et remettant en cause la justice pour défendre ce jeune noble français qui à l’âge de vingt et un ans, s’était vu condamner pour blasphème et sacrilège. Elle se donne aussi le courage d’une incursion du côté de l’actualité en évoquant les arrangements et les meurtres commis impunément par Daesh, Voltaire n’avait-il pas écrit Le fanatisme ou Mahomet le Prophète ?
Et tout repose sur le jeu des actrices, pétillantes, et des acteurs. Journaliste d’investigation, Laurence Février installe son équipe de tournage, en action avant même l’entrée des spectateurs et construit son scénario. Elle mène des interviews, à la recherche de l’esprit voltairien, dissèque et analyse avec humour et finesse le Traité sur la tolérance et l’importe dans le monde d’aujourd’hui, en jouant entre l’intime et la distance.
Le portrait de Voltaire, rockstar de la pensée comme le dit le texte, est principalement brossé par Madame du Châtelet de laquelle le philosophe était tombé follement amoureux : « Il est foudroyé par elle » reconnaît la journaliste. C’est elle, Emilie du Châtelet, intellectuelle et écrivaine, parlant le latin et le grec, son égale excentrique et sa moitié, qui le raconte. Elle le dit imprévisible et ingouvernable, écrivant des brûlots et risquant sa vie et rappelle qu’il fut embastillé à l’âge de vingt-quatre ans pendant plus d’un an, et qu’il se vit contraint par moments, d’écrire sous anonymat : « J’écris pour agir conte l’intolérance et l’hypocrisie » confirme-t-il. Emilie du Châtelet traduit aussi Principia Mathematica, d’Isaac Newton, qui établit les lois universelles du mouvement et découvre la gravitation, elle tente de médiatiser son œuvre ; elle évoque aussi la belle Hypatie d’Alexandrie, mathématicienne et philosophe grecque exécutée par des chrétiens, en 415. Le texte fait des aller retour dans le temps et nous mène jusqu’à Gilles Deleuze avec sa réinterprétation des plis de Leibnitz et la création de l’Université de Vincennes qui redonnait le goût d’apprendre ; une professeure des prisons débat en direct dans l’émission L’horrible danger de la lecture, sur le thème du patrimoine et de l’art contemporain, contredite par une prisonnière agressive qui lui répond en termes de théorie du complot.
Le spectacle conduit ensuite vers ces espaces d’intolérance extrême qui tuent au nom de Dieu, notre drame quotidien et contemporain que représente Daesh, et devise sur cette nouvelle Inquisition et sur les notions de bien et de mal. D’autres personnages interfèrent dans cette quête de tolérance dont Ézéchièle l’ange sacrificateur et subversif, le livreur scientifique et la fanatisée. Les temps se croisent et les langues s’interpénètrent – le français et l’arabe – Voltaire avec son esprit de révolte apparaît comme une métaphore pour parler de l’intolérance d’aujourd’hui. Une belle et courageuse proposition, un jeu dramatique qui ne se la joue pas, de l’intelligence, de la réflexion. Telle est l’entreprise menée par Laurence Février et son équipe qui œuvre avec discrétion et discernement depuis de nombreuses années, avec Chimène, sa compagnie théâtrale. « Craignons toujours les excès où conduit le fanatisme. Qu’on laisse ce monstre en liberté, qu’on cesse de couper ses griffes et de briser ses dents, que la raison si souvent persécutée se taise, on verra les mêmes horreurs qu’aux siècles passés ; le germe subsiste : si vous ne l’étouffez pas, il couvrira la terre » signé Voltaire.
Brigitte Rémer, le 10 octobre 2017
Avec Elena Canosa (Ninon Welches, française fanatisée) – Laurence Février (Almona Grou, journaliste d’investigation) – Véronique Gallet (Ezechièle, Ange) – René Hernandez (Frédéric Sidrac, camionneur, professeur-tuteur) – Moussa Kobzili (François Moabdar, historien, traducteur-tuteur) – Catherine Le Hénan (Emilie du Châtelet). Dramaturgie, scénographie, environnement sonore Brigitte Dujardin – Lumières Jean-Yves Courcoux.
Du 2 octobre au 21 octobre 2017, du lundi au vendredi à 20h30, samedi 16h et 20h30 – Théâtre de l’Épée de Bois Cartoucherie Route du champ de manœuvre 75012 Paris – Métro Ligne 1, arrêt Château de Vincennes. Sortie N°6 puis bus 112 direction La Varenne : arrêt Cartoucherie – Tél. : 01 48 08 39 74 – Site www.epeedebois.com
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