Chorégraphie Abou Lagraa, Compagnie La Baraka, à Chaillot-Théâtre national de la danse.
Deux parties composent le spectacle et s’enchaînent après une courte pause lumière. La première met en vis-à-vis un duo de danseurs, l’un grand et charpenté, l’autre plus petit et étroit. Une construction en pierre, blanche, de type cabane dimension jeux d’enfants ou semblable par son carré parfait à un socle évidé pour statue, défini le territoire que les deux hommes s’arrachent, comme deux fauves, dans une vive tension, une certaine ruse et un grand paroxysme. Combat autant que danse, la pièce construit ce dialogue entre désirs et contradictions, violences et provocations, en plusieurs phases.
Musique et chorégraphie s’interpénètrent sur l’œuvre de Claudio Monteverdi, Le Combat de Tancrède et Clorinde, dont la première représentation eut lieu lors du carnaval de Venise de 1624 et dans laquelle « Tancrède, prenant Clorinde pour un homme, veut se mesurer avec elle dans l’épreuve des armes » dit le livret. Le narrateur raconte le combat de Tancrède, preux chevalier, contre Clorinde, belle musulmane déguisée en soldat, dont il est amoureux. Seule connexion à l’histoire, ici, la différence de morphologie des danseurs qui appelle ce féminin-masculin. « Toi, qui mets tant d’ardeur à me poursuivre, que veux-tu ? » demande Clorinde. « La guerre et la mort » répond Tancrède. L’œuvre est théâtrale et les danseurs, Ludovic Collura et Pascal Beugré-Tellier, l’habitent, en toute liberté, dans un duo-duel de belle intensité. La notation chorégraphique suit de près la notation musicale, dans un travail de haute précision qui, à de courts moments, se glisse dans le mélodrame.
La fin du duo est marquée par l’entrée d’une femme qui prend place auprès des danseurs immobilisés, faisant le lien avec la seconde partie. Suspension quelques minutes, le temps de la mise en place d’éléments scénographiques : trois grands praticables, mobiles et en métal, représentation de moucharabiehs qui ont pour fonction de cloisonner les espaces et les mondes (scénographie Quentin Lugnier, créateur lumière Marco Giusti). Deux danseuses de l’autre côté, et un danseur, tracent leurs chemins à travers les interdits (Sandra Savin, Antonia Vitti et Ludovic Collura). Les femmes marchent, avec détermination. Jeux de séduction, regards, ressassement, observation, jalousies, réconciliation, déplacements des praticables qui enferment, changements de direction. Différentes couleurs musicales, toutes issues du Moyen-Orient, accompagnent ces rencontres et ruptures, provocations, incitations, excitations : le chant byzantin de Sœur Marie Keyrouz la Libanaise, les mélopées classiques de L’Astre d’Orient, l’Égyptienne Oum Kalthoum accompagnée de son grand orchestre, les Percussions de Fez qui entraînent les danseurs dans une transe finale fermant le spectacle.
Depuis ses premières pièces avec sa compagnie La Baraka qu’il a fondée en 1997, Abou Lagraa, chorégraphe et danseur, dialogue avec les artistes qui l’entourent et creuse son sillon. Il monte depuis plusieurs années des projets avec l’Algérie, revenant à la source, crée le Ballet contemporain d’Alger en 2010. Il y présente Nya, une première pièce et y puise son inspiration pour El Djoudour/Les Racines, spectacle montré pour l’ouverture de Marseille-Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture, puis à Chaillot. Artiste associé dans plusieurs centres chorégraphiques, Abou Lagraa et sa compagnie habitent un nouvel espace dédié à la création, la Chapelle Sainte-Marie, à Annonay. Avec Wonderful One/Un Merveilleux, danseuses et danseurs passent de l’état guerrier à l’état amoureux avec beaucoup de flexibilité et de virtuosité, se croisant sur le thème du masculin-féminin.
Brigitte Rémer, le 20 janvier 2019
Avec Pascal Beugré-Tellier, Ludovic Collura, Sandra Savin, Antonia Vitti – scénographie Quentin Lugnier – lumières Marco Giusti – costumes Maïté Chantrel – crédits musicaux : Le Combat de Tancrède et Clorinde de Claudio Monteverdi, Sœur Marie Keyrouz, Oum Kalthoum, Percussions de Fez – Musique additionnelle et arrangements musicaux Olivier Innocenti.
16 au 24 janvier 2019, à Chaillot-Théâtre national de la danse, 1 Place du Trocadéro, Paris – Tél. : 01 53 65 30 00 – Site www.theatre-chaillot.fr
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