Théâtre Karagöz – théâtre d’ombres venant de Turquie, dans le cadre des Chantiers d’Europe. Conception et manipulation Cengiz Özek.
Un petit écran de mousseline blanche – appelé ayna, qui signifie miroir – tendu au centre d’un castelet très simple, recouvert d’un textile. Quelques mots en français, pour présenter l’histoire jouée en langue turque de deux personnages traditionnels très contrastés : Hacivat, cultivé et vantard, envoie à Karagöz, homme du peuple et naïf, un peu trompeur un peu bagarreur, son serviteur, pour l’obliger à travailler. Après différentes péripéties arrive un arbre enchanté. Karagöz en coupe les branches et se retrouve changé en âne. Hacivat venant à son secours lance ses imprécations pour qu’il retrouve une forme humaine, mais le Génie à nouveau agit et change Hacivat en chèvre… Une sorte de lutte entre le bien et le mal s’engage.
Le théâtre Karagöz – qui signifie Œil noir – est un théâtre d’ombres construit à partir des traditions turques qui nourrissent l’imaginaire collectif. L’argument est ici adapté et la mise en scène, contemporaine. Un seul conteur manipulateur, Cengiz Özek – appelé hayalî, le créateur d’images – est à la manœuvre, il incarne tous les personnages et guide avec dextérité et du bout des doigts ses figurines par de fines baguettes. Il est aussi le concepteur des ombres, de trente cinq à quarante centimètres de haut, finement découpées dans du cuir ou de la peau de chameau et de buffle travaillée jusqu’à devenir translucide, puis teintée pour traduire les couleurs lors de la projection. Un dairezen l’accompagne et joue du tambourin, ponctuant les actions de ses percussions, prenant en relais le dialogue ventriloque. Derrière l’écran, une lampe appelée bem’a – auparavant une lampe à huile – devant laquelle passent les ombres qui s’y projettent en une véritable chorégraphie. Le conteur joue des nombreuses déclinaisons de sa voix, chantée, psalmodiée ou contée, et donne vie aux ombres avec plaisir, ruse et partage. Le combat entre Karagöz et le serpent est un pic dramatique qui effraie, et les incantations du Génie font trembler la lumière.
Dans la salle, les enfants sont concentrés sur l’action qui par sa précision et sa vitesse d’exécution parfois évoque le dessin animé. Mais le conteur et l’intimité de ce petit écran rappellent que la technique est artisane, et que devenir un maître du théâtre d’ombres prend des années de formation et une vie d’exercices quotidiens, comme un danseur à la barre ou un pianiste sur son clavier.
L’autorisation de représenter les pièces de Karagöz en Turquie remonterait au XVIème siècle mais plusieurs pays s’en arrachent la primeur : Turquie, Grèce ou Egypte ? On dit que la source des deux personnages populaires, Karagöz et Hacivat, viendrait de deux travailleurs qui ayant distrait les ouvriers lors de la construction de la mosquée de Bursa pendant le règne de Orhan, furent exécutés pour le retard des travaux, c’est ainsi qu’ils devinrent des héros populaires.
Saluons le travail de Cengiz Özek qui tourne beaucoup à l’étranger et souvent en Asie, autre territoire de tradition pour le théâtre d’ombres.
Brigitte Rémer
Programme Chantiers d’Europe – Enfance et Jeunesse – à l’initiative du Théâtre de la Ville. Spectacle présenté au Théâtre Paris-Villette, les 20 et 21 juin 2015.
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