Exposition du plasticien Ismaïl Bahri, produite par le Musée du Jeu de Paume – Commissaires d’exposition Marta Gili et Marie Bertran.
Ismaïl Bahri travaille dans la fluidité des géographies – entre Paris et Tunis – comme dans celle des techniques qu’il interroge – vidéo, dessin, photographie, installation -. Son œuvre est multiforme et prête à la méditation et à la réflexion, hors des cadres et hors du temps.
L’exposition que présente le Musée du Jeu de Paume, Instruments, montre ses travaux majeurs, complétés de deux œuvres réalisées et produites pour l’occasion, une belle reconnaissance pour ce jeune et talentueux artiste reconnu dans le milieu de l’art contemporain depuis une dizaine d’années. Ismaïl Bahri part de micro événements et du quotidien et élabore ses énigmes. Il définit ses règles et met en relation deux éléments qui interagissent et se contaminent, qui se répondent et se transforment, ses territoires restent secrets. Il parle de l’intime, de l’intérieur, de ce qui est caché et ouvre parfois sur la lumière, jusqu’à l’éblouissement. Il sculpte la luminosité qui envahit l’espace. Celle ou celui qui regarde se laisse porter par la lenteur et la répétition des gestes, par un univers qui joue entre illusion et effets d’optique. Il se glisse dans un système où se perdent les références, entre l’image fixe et d’imperceptibles déplacements. Dans le chemin initiatique de l’exposition, les vidéos – d’une durée allant de une à trente minutes – se répondent, se synchronisent ou se décalent, sur petit et grand écran, sur murs d’images. L’univers subtil du vidéaste retient le regard.
Dans Ligne (2011/1’) on suit une goutte d’eau glissant imperceptiblement le long d’un bras, lenteur rythmée par les pulsations cardiaques du pouls où elle finit sa course avant de repartir en boucle. Film (2012) fait dériver silencieusement sur trois écrans des fragments choisis et découpés dans les journaux, séquences de la presse arabe et de l’actualité qui s’enroulent et se déroulent sur un tapis d’encre noire. Jeu sur la lenteur, le flou et le net, l’endroit et l’envers, l’image fixe et le mouvement, jeu de reflets et flashs d’informations qui apparaissent et disparaissent. Avec Dénouement (2011/8’) sur un grand écran blanc, un homme apparaît, venant du fond et rembobine une corde, sorte de ligne de partage qui se dessine au centre de l’écran. Pas de visage, une marche dans la neige, des mains, compulsives. L’homme vient de loin, à certains moments la corde se relâche. Il avance lentement et rembobine, inlassablement et jusqu’à se perdre dans le gros plan de l’entremêlement de ses fils et jusqu’au nœud final. Revers (2017) montre des mains qui froissent et défroissent un papier en un mouvement répété, la feuille d’un magazine où s’efface progressivement le portrait d’une belle blonde dont l’encre déteint sur les mains, discours sur la publicité ? Avec Source (2016/8’) Une feuille blanche géométriquement trouée au centre d’où sort de la fumée : là encore le jeu des mains, sur un papier qui jaunit et se consume.
Deux œuvres ont été produites spécialement pour l’exposition du Jeu de Paume : Sondes (2017/16’) qui montre une main se remplissant imperceptiblement d’un sable cristallin qui s’écoule au ralenti ; Esquisse, pour E. Dekyndt (2017/5’) – réalisé en collaboration avec Youssef Chebbi – montre un plan séquence dans le désert et un drapeau flottant au vent, doté d’une propriété particulière celle de capter le paysage et d’en indiquer les dégradés atmosphériques.
Le parcours se termine dans un grand espace et sur grand écran où la lumière vacille du blanc à l’ocre, sans images. C’est Foyer (32’) qui évoque autant le lieu où l’on se réunit et la maison que le foyer virtuel où convergent les rayons. Ici, l’écran se vide. Ismaïl Bahri explique la recherche qu’il a entreprise dans les rues de Tunis en plaçant un papier blanc devant la caméra pour capter les tonalités et lumières, à travers ce filtre improvisé. Très vite sa démarche s’est trouvée modifiée par les passants qui, dans la rue, le questionnaient. Il a gardé en prise directe ces échanges et les bruits de la ville, et il a inscrit sur l’écran des bribes de conversations . « Tu vis où ? Tu fais quoi ? Tu fais de la télévision ? – Non, je suis artiste. – Tu habites ici ? – Non je viens me baigner. – Elle coûte combien ta caméra ?… C’est pour Face Book ? Les Français sont champions en blanchitude, nous, on est brûlés, on est chômeurs, aucun de nous n’est utile… Tu parais touristique, t’as une mentalité d’étranger… » Il n’y a pas d’images. « Le film est apparu un peu à la façon dont une lumière vient impressionner une pellicule qui s’y expose : il s’est progressivement affecté de ce qui lui arrive, du milieu dans lequel il a été tourné » explique Ismaïl Bahri.
Contemplation et réitération accompagnent la lenteur et la répétition d’une œuvre narrative infiniment poétique. Ismaïl Bahri pose un regard fin sur la complexité de ce qui l’entoure et conduit vers une pensée philosophique et métaphysique où l’expérience joue avec le temps, et les émotions avec les idées. « C’est le vent qui décide de ce que l’on voit » dit-il.
Brigitte Rémer, le 4 août 2017
Jusqu’au 24 septembre 2017 – Musée du Jeu de Paume, 1 Place de la Concorde. 75008. Paris. Métro Concorde – www.jeudepaume.org
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