Scénographie, conception et mise en scène Bartabas – assistante à la mise en scène Emmanuelle Santini – une création du Théâtre équestre Zingaro, dernières représentations après prolongation.
C’est un spectacle plein de mélancolie s’inscrivant dans les géographies du Théâtre équestre Zingaro sous le titre générique de Cabaret de l’exil. Le concept de cabaret élaboré par Bartabas vient de loin. En 1984, il présentait son premier Cabaret Équestre, mêlant plusieurs disciplines artistiques dont les musiques du monde, la danse et la poésie.
Le Cabaret de l’exil est un nouveau récit dont le premier volet ouvrait sur la culture yiddich et les musiques klezmer (cf. notre article du 4 décembre 2021). Ce second volet, Irish travellers fait référence aux nomades d’origine irlandaise, en exil dans leur propre pays. Il y eut en Irlande une émigration à grande échelle, le peuple cherchant à affirmer son identité, fondée sur l’amour du cheval et sur une culture musicale de tradition orale. Le spectacle de Bartabas est d’une beauté à couper le souffle et d’un grand raffinement. Toute cette Irlande est présente. Le fil conducteur se dessine à travers les cinq interventions d’une conteuse aux multiples visages arrivant à cheval, suivi d’un chant, sorte de ballade ou de complainte exécutée par un soliste, assis au loin, Thomas McCarthy lui-même originaire d’une famille de Travellers. « Le son des routes est rempli de ta voix » écrit Bartabas.
L’histoire nous plonge au cœur de la tragédie et de l’inhospitalité souvent réservée aux Travellers, la cavalière-narratrice raconte : « Quand j’étais petite ma mère est morte, ils ont brûlé sa roulotte… » Une longue procession suit le corbillard tiré par un cheval et conduit par le prêtre et ses enfants de chœur. Puis une roulotte en miniature arrive sur un grand plateau et est incendiée sous nos yeux. S’enchaînent les musiques rythmées et dansées d’un quatuor aux instruments traditionnels : la cornemuse Irlandaise aux trois bourdons – Uilleann pipes – (Loic Blejean), l’accordéon diatonique (Ronan Blejean) et le violon (Gerry O’Connor), le bodhrán, sorte de tambourin dont la peau de chèvre est sélectionnée à la main (Jean-Bernard Mondoloni, qui joue aussi du piano). Les numéros ensuite s’enchaînent pour servir l’histoire collective : un cheval moucheté, de toute beauté, danse et devient léger, des écuyères se succèdent, pleines de grâce, et déclinent de brillantes figures acrobatiques sur des chevaux que l’on dirait ailés, l’une joue du violon, debout sur le cheval, l’autre de l’accordéon. Un acrobate portant un masque de bouc s’élance à la corde volante et donne le frisson. Tout est d’une grande précision.
Bartabas construit le spectacle dans des rapports de proportion décalés comme ce petit poney à côté d’un grand cheval et entre les variations de couleurs, blanc et blanc, noir et blanc, il joue de contrastes. Le spectacle est plein d’élégance et on y trouve de l’humour en même temps que de la nostalgie. Un curé s’avance jusqu’au centre de la piste, suivi de ses moutons qui l’encerclent, il a tout du bon pasteur. Arrive une gazelle au superbe masque, qui le nargue (masques signés de Cécile Kretschmar). Les tréteaux d’une taverne se dressent, plateaux de bois posés sur des barriques, la bière coule à flot et l’esprit de la fête est là. Un cheval saute au-dessus de la table, puis un second, devant des convives enjoués. D’autres chevaux arrivent au grand galop, montés par un, deux puis trois shérifs qui se lancent dans des figures western, dynamiques et énergétiques. Une énorme barrique tirée par un cheval apparaît, de laquelle émerge un personnage qui se perche sur le couvercle et se met à exécuter un savoureux numéro de claquettes. Un poney blanc se confond avec l’épaisse brume qui envahit la piste et se roule au sol, de plaisir et de liberté, il en ressort moucheté de terre noire. Les montagnards aux échasses arrivent avec leurs longs bâtons de bergers. On traverse de splendides séquences, surprenantes et inventives, raffinées et oniriques.
Comme un enfant tirerait les wagons de son train, un homme tire onze roulottes autour de la piste, la douzième ayant été brulée. Arrivent à toute allure des sulkys chargés de personnages pour le moins étranges et un peu décalés comme deux femmes et un chien dans le premier suivi d’un second où l’on tond des moutons ; le troisième tire une baignoire dans laquelle un homme sous la douche se frotte le dos, tandis qu’une oie de carton dans les mains d’une jeune femme, s’envole. La notion de déplacement est toujours présente. « Partout où je passe on me demande de partir » dit le texte. Puis chaque voyageur revient et prend place autour du feu, faisant cercle comme le font ces familles qui sillonnent les routes en se regroupant à quelques-unes, dernière image de cet Irish Travellers.
Le regard que pose Bartabas sur ce nomadisme obligé traduit par les voltigeurs, les meneurs et cavaliers, les chevaux, est plein de charme et d’émotion. Les roulottes se chargent de leur imaginaire et s’animent par la virtuosité de tous. Grave et nostalgique par son sujet – le déracinement et la discrimination – le spectacle est pourtant habité de beaucoup de couleurs y compris dans les costumes (créés par Antonio De Jesus), s’intercalant avec les épisodes du plus chic noir et blanc. Chez Zingaro, une belle énergie et de la poésie sont une fois de plus au rendez-vous, force et plaisir d’une soirée. Chorégraphie, gestuelle, univers musical et sonore, virtuosité des cavaliers et des chevaux, présence magnétique de chacune et chacun, objets qui s’animent, tout un ensemble se mobilise dans un esprit de troupe où chacun est à sa place. Et la ballade irlandaise reprend : « Tu étais né au hasard sur une route d’Irlande. Tu aimais chanter : peu importe le lieu de ma naissance seul compte celui où je vais demeurer car c’est ici que tu me retrouveras. »
Brigitte Rémer, le 20 mars 2023
La troupe – chanteur Thomas McCarthy – musiciens Gerry O’Connor (violon), Loic Blejean (Uilleann pipes), Ronan Blejean (accordéon), Jean-Bernard Mondoloni (bodhrán et piano). Artistes : Bartabas, Henri Carballido, Sébastien Chanteloup, Michaël Gilbert, Mickaël G. Jouffray (danseur), Manolo Marty (artiste force), Perrine Mechekour, Théo Miler, Bérenger Mirc, Leonardo Montresor (corde volante), Fanny Nevoret, Paco Portero, Bernard Quental, Emmanuelle Santini, Alice Seghier, Cheyenne Vargas, Dakota Vargas, David Weiser – Chevaux : Angelo, Conquête, Corto, Dan, Dicky, Dragon, Famine, Guerre, Guizmo, Homer, Misère, Posada, Raoul, Ted, Totor, Tsar, Ultra, Oberon, Olimpo, Quijo, Schlimak, Zurbarán, la mule et l’âne. Responsable des écuries Mickaël Gilbert – soins aux chevaux Bérenger Mirc, Sarah Sefraoui, Caroline Viala – création costumes Antonio De Jesus – réalisation costumes Lottie Brazier, Antonio De Jesus, Angélique Groseil, Nicolas Maynou – habilleuse Isabelle Guillaume – accessoiriste Sébastien Puech et Delphine Cerf, assistés de Pierre-Jean Boissard, Juliette Nozière, Samuel Babinet, Adrien Genty – masque Cécile Kretschmar – charrette tonneau Max Barnabé, Erwan Belland – directeur technique Hervé Vincent – son Juliette Regnier – lumières Clothilde Hoffmann – techniciens plateau Pierre Léonard Guétal, Julie-Sarah Ligonnière, technicien de maintenance Ouali Lahlouh.
Prolongation jusqu‘au 2 avril 2023, jeudi, vendredi, samedi à 19h30, Dimanche à 17h30, Relâche les lundi, mardis et mercredis – Théâtre équestre Zingaro, 176 avenue Jean-Jaurès. 93300. Aubervilliers – métro : Fort d’Aubervilliers (ligne 7) – spectacle pour tout public – tél. : 01 48 39 54 17 – site : www.zingaro.fr
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