Texte et mise en scène Guy Régis Jr – composition musicale et guitare Amos Coulanges – Compagnie Nous Théâtre, au Théâtre de la Tempête.
Les clés nous sont données à la fin du spectacle. Les clés d’un arrachement, au-delà de la raison, d’un Fils à sa Mère. Comme d’autres, il a bravé son destin en tentant de la rejoindre depuis Haïti jusqu’au Canada. Comme d’autres il a sombré en chemin, l’embarcation qui devait l’emmener vers un meilleur destin s’est retournée. La nouvelle vie imaginée et qui devait cimenter la famille s’est arrêtée net.
On comprend alors la violence de l’affrontement qui se tient à huis-clos entre l’homme et la femme – elle, Haïtienne émigrée ayant épousé un Canadien, son Retraité Mari, rencontré par internet avec l’aide de son fils – et la rage qui occupe le premier tiers du spectacle. « Tu délires, tu dénies. Je te hais… » jette-t-elle. Et lui, le « faux-sage » comme elle le caractérise, demande grâce « Parlons… » tente-t-il. « Je ne parle pas de guerre, vieux cacochyme. Je parle de l’amour, de cet amour mort entre nous. De l’amour telle une cathédrale ensevelie », d’où le titre du spectacle. Et quand tout se délite, il réagit avec la même violence : « J’ai tout oublié… jusqu’à ton pays… » Un grand naufrage.
Rupture de style avec la seconde partie qui se tient à l’avant-scène et qui pourrait évoquer un chœur grec ou un oratorio. Au texte théâtral se mêle le chant d’un chœur lyrique inspiré des rythmes caribéens populaires et sacrés. Tels des revenants, ces personnages-acteurs mais aussi magnifiques chanteurs portent les polyphonies et invoquent le dieu de la mer et des océans, Poséidon. La partition, composée par le talentueux compositeur et guitariste classique Amos Coulanges, présent en live dès le début du spectacle, se compose de dix chants en créole haïtien surtitré en français, empreints de lyrisme. Le choeur commente d’une voix collective l’action dramatique qui se déroule derrière lui, face au public, sur le tulle noir devenu écran, celle des boat people accompagnant le Fils. Il porte ses imprécations, « Sur ce bateau-sauve-qui-peut, celui ou celle qui se laisse plonger se noiera tout seul, pour ses propres yeux. » Cet écran sépare le salon en surplomb – deux petits canapés type occidental et le vide absolu – de cette grève abandonnée où coule une rivière là où apparaissent les bateaux de l’exil, (scénographie Velica Panduru, lumières Marine Levey). Des images de chaloupes surpeuplées nous submergent, entre l’euphorie du départ et le drame absolu du naufrage (vidéo Dimitri Petrovi), grondements en mer, pluies d’orage sur scène, tempête (création sonore François Van Opstal). Ces anonymes qui ont pris place dans les embarcations, pleins d’espoir et d’une grande force de vie, s’effacent, laissant pour traces quelques effets flotter à la surface de l’eau. Il pleut sur le tulle.
Retour sur le couple qui se réchauffe un peu, dans la troisième partie de la pièce, tenté par la fête au loin, les lumières. Pas de danse pourtant mais un récit poignant de la mère parlant de l’absent, ce Fils intrépide, noyé, qui ne la rejoindra pas. Dans une puissante montée dramatique la Mère rappelle Antigone à qui il est interdit de mettre en terre son frère, Polynice. Pas de tombe pour les intrépides. Cette dernière séquence, principalement portée par Nathalie Vairac, magnifique actrice, est d’une grande force.
Avec L’Amour telle une cathédrale ensevelie second volet de la Trilogie des Dépeuplés écrite par Guy Régis Jr – qui n’a pas épuisé le sujet de l’exil, se croisent la petite et la grande histoire d’Haïti. Ici, la mère quitte l’Île, comme elle le dit : « Nous sommes à la recherche d’une terre à la mesure de nos pieds… » L’auteur poursuit sa radiographie des familles haïtiennes éclatées qu’il connaît bien, il vient de l’une d’elles. Le premier volet, Étalé deux pieds devant, devenu au théâtre Les cinq fois où j’ai vu mon père (cf. notre article du 31 janvier 2022) traitait de l’absence du père qui avait quitté le foyer en catimini pour s’installer aux États-Unis, du vide et de la souffrance de l’enfant, resté au pays avec sa mère. La troisième pièce, Et si à la mort de notre mère, parle du retour au pays de la mère, malade, elle n’a pas encore été montée.
La création de la pièce a eu lieu en septembre dernier au festival Les Zébrures d’automne, ex-Francophonies de Limoges. Outre son talent d’auteur dramatique, Guy Régis Jr met en scène ses textes et partage son Haïti, proche et lointaine dans ses tragédies contemporaines, donnant corps, avec finesse et ingéniosité, à l’indicible.
Brigitte Rémer, le 21 novembre 2022
Avec : Déborah-Ménélia Attal – Frédéric Fachena et François Kergourlay en alternance – Jean-Luc Faraux – Dérilon Fils – Aurore Ugolin – Nathalie Vairac – assistanat à la mise en scène Hélène Lacroix – composition et guitare Amos Coulanges – scénographie Velica Panduru – vidéo Dimitri Petrovic – lumières Marine Levey – création sonore François Van Opstal – régie générale Samuel Dineen – La Trilogie des dépeuplés est publiée aux Solitaires Intempestifs.
Du 11 novembre 11 décembre 2022, du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30 – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre. 75012 – tél. : 01 43 28 36 36 – site : www.la-tempete.fr
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