Texte et mise en scène de Guillermo Calderón – spectacle en espagnol (Chili) surtitré en français, en partenariat avec le Théâtre La Vignette/Université Paul Valery, dans le cadre du Printemps des Comédiens (Montpellier).
Dramaturge, scénariste et metteur en scène de théâtre né au Chili en 1971, Guillermo Calderón a fait des études de théâtre à la Universidad de Chile et au Dell’Arte International School of Physical Theatre en Californie. Il a souvent monté ses propres textes et deux de ses pièces lui avaient assuré une reconnaissance dans son pays ainsi qu’à l’étranger : Neva, écrite et publiée en 2006, sur les premières heures de la Révolution Russe en 1905, et Diciembre écrite et publiée en 2008, sur les dissensions au sein d’une famille face à une guerre opposant le Chili au Pérou et à la Bolivie au XXIème siècle.
Villa + Discurso son diptyque théâtral avait été créé le 16 janvier 2011 au Festival Internacional Santiago a Mil et présenté à Paris en 2012, dans une coréalisation Théâtre de la Ville/Festival d’Automne à Paris. Guillermo Calderón a repris Villa le 11septembre dernier soit cinquante ans après le coup d’État de 1973, dans un lieu servant d’entrepôts, sous les sièges du Stade National. Le Printemps des Comédiens a inscrit le spectacle dans son édition 2024. Dans une forme qu’on peut qualifier de théâtre documentaire, la pièce évoque le devenir de la Villa Grimaldi, centre de détention, de torture, de viol et d’exécution tristement célèbre sous Augusto Pinochet.
Au centre du plateau une maquette sous globe et trois jeunes femmes argumentant sur la potentielle mutation du site dont la Villa a déjà été rasée. Faut-il le transformer en sanctuaire mémoriel, en monument national, en musée ou en parc à thèmes ? Faut-il faire silence, laisser ce lieu en friches et en effacer les traces, ne rien faire ? Faut-il reconstruire une Villa ? « Le crime est parfait, il n’y a plus rien » mais tout l’environnement sent la mort. Le débat a toujours lieu dans la société chilienne, et au-delà permet de réfléchir à la transformation de tout lieu mémoriel ; on peut penser à Auschwitz et Birkenau, au Mémorial ACTe de Pointe-à-Pitre, Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage construite sur l’usine sucrière Darboussier, et à tant d’autres lieux.
Les trois actrices qui se trouvent devant la maquette, autour de la table (Francisca Lewin, Macarena Zamudio, Carla Romero) expriment leur trouble et s’empoignent sur le sujet, calmement ou furieusement selon les moments et selon leurs propres réminiscences. Elles cherchent leurs arguments, construisent thèses et antithèses et doivent sortir de la pièce avec un projet consensuel à proposer pour réalisation, elles en ont la charge et déjà l’argent. Elles décrivent le lieu, les rails, les corps jetés à la mer qu’on retrouve flottants, les récifs de rails dans les fonds marins, la piscine des enfants des gardiens, le silence des rescapés.
La mémoire est à vif, les fantômes de la dictature toujours bien présents, l’émotion à fleur de peau. Elles sont les descendantes des femmes torturées et violées, les filles et petites filles de Victor Jara, membre du parti communiste chilien, chanteur et guitariste dont les tortionnaires ont coupé les doigts à la hache avant de l’exécuter. « Je me sens coupable de vivre » dit l’une. Et les trois porteuses d’un projet si complexe tournent en rond, celle qui défend un projet artistique, « l’art peut donner du sens à ce qui s’est passé dans la Villa » celle qui ne veut pas « jolifier » l’endroit, celle qui ne sait plus ce qu’elle voulait et ce que les autres déconstruisent. Elles votent entre elles, mais l’une a troublé le jeu par un mot de la langue Mapuche, on ne sait qui, elles recommencent, revotent, virevoltent, se contredisent, et se perdent.
Le texte roule à toute vitesse, partis-pris, passions et déchirements avec. Dans ce contexte, les mots réconciliation ou résilience n’ont guère de sens, le traumatisme est ancré. On le comprend d’autant quand on se souvient de la mort du poète Pablo Neruda le 23 septembre 1973, dix jours après l’assassinat du Président Allende. Pressenti pour la présidence, il s’était désisté en sa faveur, sa mort n’a pas même été élucidée. « Aquí viene el àrbol, el àrbol de la tormenta, el àrbol del pueblo… Este es el àrbol de los libres. El àrbol tierra, el àrbol nube, el àrbol pan, el àrbol flecha, el àrbol puño, el àrbol fuego… Voici venir l’arbre, l’arbre de l’orage, l’arbre du peuple… C’est lui l’arbre des hommes libres. L’arbre terre, l’arbre nuage, l’arbre pain, l’arbre flèche, l’arbre poing, l’arbre feu… » écrivait-il dans son chant Los Libertadores.
Sur scène, rien que les éclats de voix et les déchirements pour évoquer l’Histoire, ce qui dramaturgiquement parlant donne une tendance radiophonique à l’ensemble. Avec Villa de Guillermo Calderón le langage théâtral s’inscrit dans la simplicité et les actrices habitent avec frénésie l’Histoire de leur pays, le Chili, emblématique de tant d’autres. Le théâtre a aussi pour vocation d’être passeur de ces grands et douloureux récits.
Brigitte Rémer, le 18 juin 2024
Avec : Francisca Lewin, Macarena Zamudio, Carla Romero – assistanat à la direction, production : María Paz González – scénographie : María Fernanda Videla – Villa est une coproduction de la Fondation Festival Internacional Teatro a Mil (Chili).
Les vendredi 31 mai à 17h et samedi 1er juin 2024, à 17h et à 20h, au Théâtre La Vignette – scène conventionnée / Université Paul Valery, avenue du Val de Montferrand, Montpellier – Dans le cadre du Printemps des Comédiens – site : www.printempsdescomediens.com – tél. : 04 67 63 66 67.
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