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Art Paris 2023 – 25ème édition

Angèle Etoundi Essamba © Art Paris

Organisation équipe Art Paris. Direction générale Julien et Valentine Lecêtre – Commissariat général Guillaume Piens – au Grand-Palais Éphémère (30 mars/2 avril 2023) – Deux thèmes à l’honneur : Art et engagement, un regard sur la scène française, commissariat Marc Donnadieu et L’Exil, dépossession et résistance, commissariat Amanda Abi Khalil.

Cent trente-quatre galeries de vingt-cinq pays présentent leurs œuvres, en ce vingt-cinquième rendez-vous, devenu incontournable dans la rencontre avec l’art moderne et contemporain autour de ces deux grands thèmes ; seize expositions monographiques intitulées Solo show permettent d’entrer dans l’univers visuel d’artistes émergents ou déjà connus et ouvre sur l’approfondissement de leur démarche ; une section nommée Promesses apporte son soutien à neuf jeunes galeries internationales de moins de six ans d’existence, par la prise en charge d’une partie du coût de leur participation à Art Paris : c’est un magnifique programme qui est présenté en 2023 dans la diversité tant géographique que visuelle, ouvert sur toutes les formes et expérimentations. En même temps, de grands noms de l’art moderne et contemporain sont à l’affiche pour notre plus grand plaisir, entre autres Salvador Dali (Illustration pour le projet de l’ouvrage d’Homère, « L’Odyssée »), Jean Dubuffet (Psycho-site, avec quatre personnages), Henri Michaux (Dessins mescaliniens et Grand visage bleu et tête chien marron), Joan Miró (Homenaje a Antonio Machado), Pierre Soulages disparu depuis peu (Lithographies), Antoni Tàpies (Peus i grafismes).

Bien-U Bae – © Art Paris (2)

Deux commissaires invités ont posé leur regard sur la thématique qu’ils servent. Le premier, Marc Donnadieu, commissaire d’expositions indépendant a travaillé sur la notion d’Art et Engagement, la raison même d’être, pour l’artiste et thème vital pour nos sociétés, face aux violences et aux oppressions, à l’injustice et aux discriminations. Sa sélection s’est articulée autour de quatre figures emblématiques : la première, peinture de l’artiste américaine Nancy Spero, influencée par Antonin Artaud, reconnue à Paris dans les années 50 et qui s’est engagée dans son pays contre la guerre au Vietnam et pour la cause des femmes. Elle a peint une série intitulée Artaud Painting en 1969 dont certaines toiles sont montrées ici. Dans le droit fil de la cause des femmes l’œuvre de nombreuses artistes femmes sont exposées, comme celles de la Camerounaise Angèle Etoundi Essamba, de l’Afghane Kubra Khademi, de la Marocaine Randa Maroufi, de la Française Prune Nourry, et tant d’autres.

Les secondes figures emblématiques de cette section, Art et Engagement, sont Jacques Grinberg, né Djeki Grinberg en Bulgarie, représentant de ce qui s’est appelé dans les années 1960/70, la nouvelle figuration et Hervé Télémaque, disparu il y a peu, cofondateur du mouvement de Figuration narrative dont les œuvres témoignaient d’une certaine ironie du désespoir. Autour d’eux et dans un même état d’esprit, les œuvres du Soudanais Hassan Musa et celles des Français Damien Deroubaix dans la diversité des formes et des techniques ; celles d’Alain Jossseau qui détourne les images et les met en abîme, celles de l’Iranien Sépànd Danesh qui croise les deux mondes, le Moyen-Orient et l’Occident pour inventer une nouvelle narration.

Paul Rebeyrolle a marqué le XXème siècle par ses peintures cruelles et prémonitoires d’un monde en déclin, il représente le troisième volet de la thématique Art et Engagement : « Ce qui se passe dans le monde me paraît plus dramatique, plus fort que le tableau qui pourrait sembler peut-être un peu vain… » écrivait-il en 1984. Dans son sillage sont présentées les œuvres de Duncan Wylie, du Zimbabwé et de Thu Van Tran, du Vietnam ; celles des deux Françaises Agathe Pitié (La Forêt aux esprits) qui travaille sur l’hybride et remplit ses toiles de formes, signes et symboles et Agathe May qui travaille très artisanalement la gravure (son triptyque Le Modèle mêle réalisme et onirisme et revisite de manière singulière le modèle dans l’atelier).

Le quatrième volet de cette thématique Art et Engagement remarquablement construite, parle de lutte et de résistance à la manière de Germaine Tillion, ethnologue et résistante de 1940 à 1942 avant d’être arrêtée et déportée. Autour de cette notion de détermination, des artistes qui s’opposent aux coups portés et qui s’engagent : « Résister c’est exister. »

Boris Mikhaïlov © Art Paris (3)

La seconde grande thématique proposée par Art Paris, L’Exil, dépossession et résistance regroupe des artistes autour d’Amanda Abi Khalil, seconde commissaire invitée, curatrice indépendante et qui travaille entre Paris, Beyrouth et Rio de Janeiro. « Partir d’un endroit ne veut pas dire ne plus y être. L’exil, choisi ou forcé, est toujours subi. » Son invitation au voyage, intérieur comme extérieur, l’a amenée à travailler à partir des différents conflits du monde obligeant certaines populations à quitter le pays – guerres en Ukraine et en Palestine, urgences climatiques et économiques menant aux traversées de la Méditerranée, corruption et montée des extrêmes. Elle a choisi dix-huit artistes parmi les galeries participantes qui lui semblaient répondre à ce thème en donnant à voir un panorama de positions, d’images et de recherches d’un langage singulier. Elle explique son choix : « Le photomontage du Brésilien Roberto Cabot, Soirée sur la Seine avec Pain de Sucre (2017) résume avec humour cette trajectoire de l’exilé, à la fois ici et là- bas. Anas Albraehe née en Syrie, Christine Safa d’origine libanaise, Nabil el Makhloufi né au Maroc, Leylâ Gediz originaire de Turquie, peignent des paysages du quotidien qu’on subit mais qui à la fois nous sauvent. Aung Ko et Nge Lay un couple de Birmanie, Ivan Argóte d’origine colombienne, Boris Mikhaïlov né en Ukraine, Estefanía Peñafiel Loaiza originaire de l’Équateur, s’attèlent aux événements de l’Histoire à travers des histoires individuelles et collectives. Myriam Mihindou née au Gabon, Majd Abdel Hamid originaire de Syrie, Leyla Cárdenas colombienne, abordent la fragilité et ont comme point commun l’usage du textile et du fil, médium très évocateur du point de vue de notre thématique. Tirdad Hashemi originaire d’Iran, Zarina née en Inde et aujourd’hui disparue, s’inspirent de leurs parcours autobiographiques pour témoigner de situations de survie. Laure Prouvost née en France, José Ángel Vincench né à Cuba, Taysir Batniji originaire de Palestine, ponctuent cette sélection avec des gestes conceptuels où le littéral devient radical. » Richesse d’inspiration, blessures de l’exil, recherche de techniques et matériaux très divers, tel est le parcours proposé par ces artistes sélectionnés qui, à partir de géographies diverses témoignent et transcendent les territoires et sociétés d’où ils sont issus, où ils circulent et où ils vivent.

Thibault Brunet © Art Paris (4)

Art Paris est un superbe défi en même temps qu’une vitrine à laquelle la manifestation sait donner du sens et de nombreuses galeries sont de retour après la pandémie. L’art y dialogue, sereinement, de façon ironique ou guerrière, entraînant la confrontation et le débat. Le dialogue qui s’instaure au fil des allées est riche et l’expression du chaos de nos sociétés, montrés sur tous supports, traditionnels et technologiques, toujours inventifs, en aplat ou en volume, en collages ou en peintures de toute nature, crayons, encres, grattages et collages. Fragilité, poésie, colère, provocation et harmonie s’y côtoient, les artistes y sont en état de veille, parfois de survie, guetteurs infatigables de liberté dans un monde en paix.

Brigitte Rémer, le 17 avril 2023

Visuels : Angèle Etoundi Essamba (Cameroun) Couronne en dentelle 2, 2020 – Galerie Carole Kvasnevski, Paris – © Art Paris (1) – Bien-U Bae (Corée), Bois sacré – Galerie RX & Slag, Paris, New-York – © Art Paris (2) – Boris Mikhaïlov (Ukraine) Untitled, from the “Sots Art” series, 1975/1986 – Galerie Suzanne Tarasiève, Paris – © Art Paris (3) – Thibaut Brunet (France) N43 C47, Série 3600 secondes de lumière, 2022 – Galerie Binome, Paris – © Art Paris (4).

 Directrice de la communication et des partenariats Audrey Keïta – Comité de sélection Art Paris : Carina Andres Thalmann, Galerie Andres Thalmann (Zurich) – Romain Degoul, Galerie Paris-B (Paris) – Diane Lahumière, Galerie Lahumière (Paris) – Marie-Ange Moulonguet, collectionneuse et consultante – Emilie Ovaere-Corthay, Galerie Jean Fournier (Paris) – Pauline Pavec, Galerie Pauline Pavec (Paris).

Du 30 mars au 2 avril 2023, Art Paris / 25ème édition, au Grand-Palais Éphémère, Champ-de-Mars – site : www.artparis.com – La 26ème édition se tiendra du 4 au 7 avril 2024, au Grand-Palais Éphémère.

Société en chantier

© Jean-Louis Fernandez

Concept et mise en scène Stefan Kaegi – avec le Collectif Rimini Protokoll – au Grand-Palais Éphémère. Coréalisation Festival Paris L’Été, RMN-Grand Palais, La Villette.

Les spectateurs entrent dans cet immense espace du Grand-Palais Éphémère par groupes d’une quinzaine de spectateurs, après avoir mis un masque noir et enfilé une charlotte sur la tête. Ils sont dirigés dans un terrain délimité dit le chantier, où ils se répartissent selon différents thèmes : Main d’œuvre, Ressources humaines, Droit de la construction, Développement urbain, Investisseurs, Mumbai/Bombay, Transparency. Des éléments de travaux publics tels que grue, échafaudage, bâches, matériaux divers, algéco de chantier y forment l’environnement scénographique.

Mon groupe, les Entrepreneurs, est invité à mettre un casque de chantier qui fait fonction de casque audio, et à prendre place sur d’énormes sacs blancs contenant du sable, disposés en gradins. Le principe du casque vaut pour tous les spectateurs. Un expert est attaché à chaque groupe et le pilote, sorte de messager livrant sa réflexion et mettant le projecteur sur une facette de la problématique du BTP. Ce sont des témoins, experts en droit, maçonnerie, urbanisme, entreprenariat privé, finance qui parlent et décrivent la situation que le spectateur capte dans son casque. Les groupes tournent, au fil de la soirée et traversent tous les thèmes, toutes les étapes du chantier avant de se retrouver ensemble, au final. Un entomologiste compare la société des fourmis à celle des hommes et tel un professeur partage son observation sur leur remarquable organisation.

Quatre grands écrans placés en hauteur de cette nouvelle cathédrale témoignent du gâchis financier de la construction et donnent de multiples exemples de bâtiments publics, achevés ou non, et qui tournent en boucle. Sont annoncés : le projet, son coût total, son coût effectif – en général quatre ou cinq fois plus cher qu’au départ – le retard à la livraison, de 3 à 12 ans, parfois le nombre d’accidents ouvriers à la semaine. Ainsi défilent sous nos yeux les scandales financiers de nos sociétés d’aujourd’hui : Santiago de Compostela Ville de la Culture, West Kowloon District Culturel de Hong Kong, Philharmonie de Paris, Stades de football pour la Coupe du monde 2022 au Qatar, Stuttgard 21 projet ferroviaire et urbain d’envergure, Louvre Abu Dhabi etc.

Société en chantier raconte des histoires de corruption, comme celle du nouvel aéroport de Brandebourg, à Berlin, qui accuse dix ans de retard, et qui a licencié Alfredo di Maro chargé du système de désenfumage ainsi que le directeur technique. Accusé de ne pas avoir rempli son cahier des charges et d’avoir mis en péril la vie d’autrui, Di Maro avait été évincé du projet alors que les tests de contrôles de sécurité s’étaient avérés parfaitement corrects.

Que fait le spectateur ? Il est invité à déconstruire le sujet, à devenir témoin et à suivre son groupe. Ainsi dans l’espace Transparency, on se trouve à un poste d’observation surplombant le chantier, derrière un rideau. On nous montre la corruption, venant de Belgrade, de France – l’entreprise Lafarge opérant à Alep pendant la guerre en Syrie et versant des millions à l’État islamique pour continuer son business – ; d’Allemagne, avec les éclairages de Philippe Starck prévus pour une passerelle, devenus simples néons bon marché ; les pots de vin d’Alsthom pour le métro de Tunis ; la gabegie des pièces de la centrale de Flamanville fabriquées par Areva, récupérées par le groupe Bolloré puis revendues à Areva pour le double de leur prix, avec, derrière, le spectre des réseaux de type Opus Déi.

Que fait le spectateur ? Il devient parfois acteur, portant sa pierre à l’édifice (au sens physique et concret du terme), comme dans Main d’œuvre où il participe à la construction d’un mur ; dans le Droit de la construction il choisit son groupe, privé ou public et menace l’autre groupe esquissant des mouvements de karaté initiés par l’avocat-expert. Il se couche sur le sol où une travailleuse chinoise lui chuchote à l’oreille la beauté des paysages chinois devenus cauchemars de béton et l’invite à mimer les travaux : taper, visser etc. Dans la station Mumbai, mégapole de 20 millions d’habitants et ville de Bollywood il est invité à réfléchir à des propositions pour une vie meilleure, à les écrire et à les afficher. Dans la séquence Investisseurs qui se déroule à huis-clos à l’intérieur de l’algéco, autrement dit au Ritz Carlton de Genève, il entre dans un jeu de rôles pour la gestion des fonds. Entre monopoly et rendez-vous secret pour faire, si ce n’est tourner les tables, du moins tourner les têtes des hommes d’affaires, ou encore comme le jeu de la roulette au casino, il jongle entre investissements et fonds de pension menant à l’écroulement de la monnaie, et jusqu’au taux d’intérêt à 0% de la BCE.

Le Collectif Rimini Protokoll s’est constitué en 2000 scellant la rencontre entre Stefan Kaegi, Daniel Wetzel et Helgard Haug. Les trois artistes s’étaient rencontrés dix ans plus tôt au cours de leur formation à l’Institut des Sciences théâtrales appliquées de Giessen, en Allemagne. Cargo Sofia X sur le monde des camionneurs a fondé, en 2006, leurs principes de travail : témoigner du réel, en le décalant et faire porter leurs messages par un réseau d’experts qu’ils invitent à jouer leur propre rôle, mettant le spectateur au cœur du dispositif. Ils ont beaucoup produit, sur des sujets hétéroclites, beaucoup tourné. Par exemple, Breaking News en 2008 démontait la fabrication des journaux télévisés, et, la même année, Black Tie évoquait la problématique de l’adoption. Ou encore, un parcours audioguidé dans Berlin en 2011, 50 Aktenkilometer Berlin menait les spectateurs sur les traces de la Stasi et traitait du problème de la responsabilité collective.

Rimini Protokoll réalise des enquêtes approfondies et se transforme en journaliste d’investigation pour évoquer, sans filet, les tensions de nos sociétés. Il s’adresse au citoyen-spectateur et l’encercle d’abondantes informations touchant, sous un autre angle de vue, à une réalité en principe connue qu’on lui propose  d’approfondir. La préparation est un long temps de gestation. Ici, les différents scandales mis bout à bout, d’un côté de la planète à l’autre, interpellent et inquiètent. On est sur la ligne de crête de ce qu’on appelle spectacle, signé ici pour le concept et la mise en scène par Stefan Kaegi. Plutôt performance, voire agit-prop ; ni métaphore ni esthétique, le chantier est une copie de la réalité, à l’état brut, et toutes les technologies sont au service de l’entreprise, en termes de son, réseaux, images et dispositif.

Brigitte Rémer, le 29 juillet 2021

Avec – La conseillère en investissement : Mélanie Baxter-Jones (actrice) – L’avocat du droit de la construction : Geoffrey Dyson (acteur) – L’urbaniste : Matias Echanove (Urbz) – Le spécialiste des insectes bâtisseurs : Laurent Keller (UNIL) – La représentante de Transparency International : Viviane Pavillon (actrice) – L’ouvrier : Alvaro Rojas-Nieto – La travailleuse chinoise : Tianyu Gu – L’entrepreneur : Mathieu Ziegler (acteur) – Scénographie : Dominic Huber – Recherches : Viviane Pavillon – Création sonore : Stéphane Vecchione – Dramaturgie : Manuel Schipper – Assistanat à la mise en scène : Tomas Gonzalez – Régie générale : Stéphane Janvier – Régie lumière : Christophe Kehrli – Régie son : François Planson – Régie plateau : Mathieu Pegoraro et Sandra Schlatter – Régie vidéo : Marc Vaudroz.

Du vendredi 23 au lundi 26 juillet – Vendredi et lundi à 20h – Sam et dim à 16h et 21h, au Grand Palais Éphémère – Place Joffre/ Champ-de-Mars. 75007. Paris – Coréalisation La Réunion des musées nationaux – Grand Palais, le Festival Paris l’été et La Villette