Exposition de photographies, Pavillon Carré de Baudouin, co-organisée par la Mairie du XXème et la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, en partenariat avec l’Agence photographique de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais. Commissaires de l’exposition : Gérard Uféras et Jean-Claude Gautrand.
Par cette superbe exposition présentée au Pavillon Carré de Baudouin, la Mairie du XXème fête, en deux cents photographies, les dix ans de ce lieu culturel qu’elle porte avec brio. L’exposition se termine, elle fut prolongée de trois mois et eut un immense succès. « Proposer une culture gratuite, populaire, accessible et de qualité, c’est faire en sorte qu’elle se transmette et se partage sans condition d’âge ou d’origine sociale. C’est la marque de fabrique du 20e et notre fierté » écrit Frédérique Calandra, Maire du 20e.
Né au pied de la Butte Montmartre en 1910 et mort en 2009, Willy Ronis est une grande figure de la photographie dite humaniste, qui consacra les vingt-cinq dernières années de sa vie à classer ses archives. Il réalisa six albums qui constituent comme son testament photographique. Les commissaires de l’exposition ont puisé dans cette mémoire vive pour élaborer ce parcours en images.
La première salle montre les clichés de Willy Ronis à Belleville-Ménilmontant, sorties de son livre-culte. Il découvre le quartier en 1947 grâce à un ami peintre alors que la réputation du secteur n’est pas glorieuse : « C’était le quartier des Apaches, on n’y allait pas. » Lui, en tomba littéralement amoureux. Il laisse un reportage des plus attachants sur le Paris des années cinquante et sur ce quartier populaire aux rues pavées et aux petits métiers. La vie quotidienne y est montrée dans sa simplicité et sa vérité. « Belleville, Ménilmontant sont, tout au moins pour moi, deux éléments essentiels de ce que j’aime appeler : la poésie de l’authenticité » dit-il. On y voit les vieux bistrots comme Le bistrot de la rue des Cascades, sur trois niveaux, le bistrot-guinguette Chez Victor, où la patronne s’affaire derrière le zinc, le Café au coin de la rue des Couronnes et de la rue Henri-Chevreau, « Les choses se présentent à l’impromptu, ou bien on sent qu’en se plaçant à tel endroit et avec de la patience, il se passera sûrement quelque chose… » Le bas de la rue des Partants témoigne d’une qualité de lumière entre contre-jour ensoleillé et jour de neige, une Réunion de jeunes dans une cave, les montre tous serrés autour d’une table, une Partie de pétanque rue du Télégraphe capte le geste du lanceur tandis que les autres s’affairent, leurs ombres se croisant avec une certaine mathématique. Une photo Avenue Simon Bolivar depuis l’escalier de la rue Barrelet-de-Ricou où par le fait du hasard, se trouvent différentes personnes en différents plans « J’ai rarement inclus autant d’éléments dans une même photographie » commente-t-il. Le Vitrier rue Laurence Savart gravit péniblement la rue tandis que La station Ménilmontant sur la Petite Ceinture vue depuis la rue Henri-Chevreau mêle la vapeur de la locomotive à la brume du matin avec beaucoup de poésie.
La seconde salle montre Les débuts du photographe et notamment ses premières photos en Vallée de Chevreuse pendant les vacances. Son père est un photographe de quartier, il lui offre pour ses seize ans un Kodak 6,5 x 11 à soufflet, même si c’est la musique qui l’attire, sa mère étant professeur de piano. Très tôt il s’intéresse aux gens, au monde ouvrier, à la rue, ainsi Haltérophile Quai de la Râpée montre, en 1934, sa curiosité de la rue. Pour aider son père gravement malade, il glisse pourtant vers la photographie professionnelle. « Je suis le contraire d’un spécialiste, je suis un polygraphe » dit-il. Deux ans plus tard il abandonne le studio paternel et se lance dans « l’aventure de la photographie indépendante », devient reporter photographe, répond à des commandes et fait ses recherches personnelles. Il acquiert en 1937 un Rolleiflex 6 x 6 et sillonne Paris, ses paysages et ses décors, certaines banlieues comme Nanterre. Il reprend, après l’Occupation, et témoigne du Retour des prisonniers, en 1945, Gare de l’Est. La force des images, là encore, a valeur de témoignage. Une série d’Autoportraits montre son évolution, d’une certaine sophistication des débuts à un laissez aller, dont le célèbre Autoportrait aux deux flashes pris en 1951. Ses Nus pris entre 1949 et 2002 appellent la composition et la lumière de la peinture et de la sculpture. Son Nu provençal entre autres, réalisé à Gordes en 1949, prenant sa femme penchée sur un broc et une cuvette dans la lumière de la fenêtre ouverte, évoque Vermeer. Cette photographie devenue icône est, dans sa simplicité, une pure merveille. Le chapitre sur L’Intime, montre sa discrétion par rapport à l’intimité familiale, avec sa femme Marie-Anne comme avec son fils, Vincent. Il sait préserver l’investissement émotionnel donné dans ces photographies : « Je négocie l’aléatoire » dit-il.
Suit un chapitre sur Le monde ouvrier qui l’intéresse, de même que le monde artisan. Il publie dans de nombreux quotidiens et magazines, et très tôt dans plusieurs journaux de gauche. Il couvre le Front Populaire, les ouvriers chez Citroën, les défilés syndicaux, les conflits sociaux de l’après-guerre, fixe forges, filatures, docks, et usines automobiles dans son appareil, photographie les ouvriers de différentes villes et entreprises françaises dont ceux des mines de Potasse d’Alsace et ceux des usines de cristal de Baccarat. Par son témoignage il exprime sa solidarité. En 1946 Willy Ronis entre à l’agence Rapho, puis intègre le Groupe des XV, auquel appartient entre autres Doisneau. Il exposera au Moma de New York en 1951, en compagnie d’Henri Cartier-Bresson, Brassaï, Robert Doisneau et Izis.
Si Paris a largement capté son attention, Willy Ronis n’a pourtant pas laissé La Province pour compte, et ses images couvrent le milieu rural autant que l’urbain. En état de veille, il sillonne le Vaucluse, la Gironde et Marseille de l’après-guerre et rapporte des images de la vie quotidienne, des paysans et des commerçants, des métiers. « Parfois, les choses sont offertes avec grâce. C’est ce que j’appelle le moment juste. Je sais bien que si j’attends, ce sera perdu, enfui. » De la province, l’exposition nous emmène dans L’Ailleurs, par ces traces photographiques laissées de ses voyages dans le monde : Belgique, Hollande, Venise, Londres, RDA, Alger, New-York, Moscou, deux croisières en Méditerranée à partir desquelles il réalise une exposition sur le thème Les Balkans de nouveau en danger, avec l’aide de Robert Capa. Il couvre le Congrès international pour la Paix, à Varsovie, en 1950, part à l’Île de la Réunion avec les photographes Sebastião Salgado et Guy Le Querrec. L’environnement social et le quotidien restent au cœur de ses préoccupations et de ses images.
Observant le monde, les photos de Willy Ronis dressent une sorte de portrait intimiste et profond de la société et de l’époque. Pourtant la crise des années 1960 l’oblige à quitter Paris et à s’installer à Gordes, dans le Vaucluse, en 1972, pour une sorte de traversée du désert. La création des Rencontres d’Arles en 1970, lui permettra de reprendre pied dans le milieu et d’obtenir la reconnaissance qui lui est due : le Grand Prix national des Arts et des Lettres lui est décerné en 1979 ; il est l’invité d’honneur des 11e Rencontres d’Arles en 1980 ; une grande rétrospective est organisée au Palais de Tokyo en 1985, célébrant la donation qu’il a faite de l’ensemble de son oeuvre à l’État français, deux ans plus tôt.
Willy Ronis par Willy Ronis est une exposition rare, ouverte à tous, qui permet de redécouvrir des images sensibles et la poésie du photographe, un brin nostalgique. Des films projetés complètent l’exposition et permettent d’approfondir l’univers du photographe, ainsi Willy Ronis à Paris, de Virginie Chardin et Vladimir Vasak, Une Journée avec Willy Ronis, de Françoise Denoyelle et Yves de Perretti, Willy Ronis, Autoportrait d’un photographe, de Michel Toutain & Georges Chatain, Pyramide Production. « Le monde extérieur est un spectacle dont le metteur en scène a pour nom le hasard. Le hasard a parfois du génie. Il y a des photographes qui ont le privilège de capter ces moments uniques. C’est à partir de là que la photographie nous révèle des choses qu’elle seule est capable de nous offrir » constatait-il avec simplicité.
Brigitte Rémer, le 31 décembre 2018
Du 27 avril au 31 décembre 2018 – Pavillon Carré de Baudouin, 121 rue de Ménilmontant, 75020. Paris – Métro : Couronnes ou Gambett – Entrée libre – www.mairie20.paris.fr
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