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From England to love

Chorégraphie et musique Hofesh Shechter – musique additionnelle, compositions anglaises Edward Elgar, Tomas Talis, Henry Purcell et William H. Monk – compagnie Shechter II, au Théâtre de la Ville/Les Abbesses.

© Todd MacDonald

Tous en scène, jupes ou pantalons gris, sweat-shirt bleu portant l’écusson d’une université, Oxford ou Cambridge, cravates attachées selon l’inspiration, en ceinture ou dans les cheveux, sacs au dos, prêts pour une randonnée. Les danseurs font groupe. La musique est déjà bien présente. Le plein air se termine sous une pluie battante et tonnerre grondant, en pleine campagne. Ils affrontent un gros orage, se balançant dans le vent et la pluie.

C’est de son pays d’adoption, l’Angleterre, dont parle le chorégraphe d’origine israélienne, Hofesh Shechter, lui rendant hommage. On entre de plein pied dans son langage, son énergie et son imaginaire portés par huit splendides danseuses et danseurs – Holly Brennan, Yun-Chi Mai, Eloy Cojal Mestre, Matthea Lára Pedersen, Piers Sanders, Rowan Van Sen, Gaetano Signorelli, Toon Theunissen. Magnétiques, dans le chaos des éléments, ils oscillent entre joie de vivre et peur de ce qui pourrait advenir.

© Todd MacDonald

La construction musicale de l’ensemble passe par le vocal, l’unité étant le chœur, Hofesh Shechter y mêle le rock, les compositeurs anglais, et les musiques électroniques. Les morceaux s’enchaînent jusqu’à des arrêts souvent nets et cassants, parfois des suspensions plus shuntées. On voyage ainsi, de séquence en séquence, avec pour fil conducteur la musique et de remarquables lumières – de Tom Visser, parfois dans une désynchronisation entre les gestes et les compositions musicales, parfois dans l’osmose.

La chorégraphie joue de l’art de la rupture et nous transporte d’une séquence à l’autre dans des crescendos et des oppositions. Le geste est maîtrisé, plein de grâce. Il se dégage quelque chose de sacré qui fait émerger visions, sensations et émotions. De morts en résurrections, on traverse comme les Illuminations de Rimbaud : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. »

L’image parfois se fixe comme dans une succession de photographies, qui se révèlent et s’effacent. Il y a de la dérision aussi, de la provocation. On retient son souffle. Les images et figures chorégraphiques se répètent et se déforment, deviennent lancinantes. Parfois danseuses et danseurs chantent, parfois ils scandent les rythmes sur fond de chœur d’hommes et jusqu’à l’anomie et le chaos. Tout à coup on se croirait au cœur d’une forêt vierge et dans un monde animal. Plus tard quelques pas esquissés semblent issus de danses populaires, au loin des bruits de ferrailles ou de cloches en alpage tintent, un solo monte jusqu’à la transe.

Un tableau à la couleur vermeille fait ensuite allusion à la guerre, et chacun devient alors un potentiel tireur d’élite. Puis l’air redevient brut et acier sur pépiements et mélodies d’oiseaux. Chaque danseur reprend son sac à dos. Ensemble, lentement, ils avancent vers l’avenir, esquissant un signe d’adieu.

© Todd MacDonald

C’est un très beau travail que propose Hofesh Shechter et son groupe de danseurs de tous pays, choisis au cordeau et formant le Shechter II. Dans son geste d’accompagnement, le Théâtre de la Ville poursuit le dialogue avec le chorégraphe et présente chacune de ses pièces. On se souvient entre autres de Political Mother Unplugged, ainsi que de Double Murder, avec Clowns en première partie, suivi de The Fix (cf. Ubiquité-Cultures des 17 janvier 2021 et 17 octobre 2021). Créé dans une première version pour le Nederlands Dans Theater, comme une carte postale envoyée, From England to love peut se lire selon le chorégraphe, accueilli, puis installé à Londres depuis plus de vingt-deux ans, comme « une sorte de lettre d’adieu prenant la forme d’un panorama du pays. »

Brigitte Rémer, le 8 janvier 2025

Avec : Holly Brennan, Yun-Chi Mai, Eloy Cojal Mestre, Matthea Lára Pedersen, Piers Sanders, Rowan Van Sen, Gaetano Signorelli, Toon Theunissen – Lumières Tom Visser – costumes Hofesh Shechter – musique additionelle, compositions anglaises Edward Elgar, Tomas Talis, Henry Purcell et William H. Monk.

Du 6 au 18 janvier 2025, à 20h. le samedi à 15h – Théâtre de la Ville / Les Abbesses, 31, rue des Abbesses. 75018.Paris – métro : Abbesses, Pigalle – site : ww.theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77.