Tes paroles me reviennent alors que ta famille et tes amis te portent aujourd’hui en terre. Tu avais accepté ce moment partagé pour préparer la Préface de ton livre de Poésie « À la pleine lune. »
Tu es née à Alep mais avais eu plaisir à parler de la ville où tu avais grandi, Safita : une ville colorée et pleine de soleil, adossée à la petite ville de Tartous au bord de la mer et posée sur trois collines. Tu avais évoqué ton caractère contemplatif, en disant : « J’absorbe les choses, je fixe les choses, je marque tout, à coups d’images. » Tu avais évoqué ton père, disparu quand tu avais quatre ans, un père qui aimait beaucoup la langue, la langue arabe et l’enseignait à ses enfants, un père qui aimait la poésie et la littérature. Tu es la huitième de la fratrie, sur neuf enfants.
Tu avais rappelé tes études à l’Institut Supérieur des Arts Dramatiques de Damas, quatre ans de formation. Les spectacles de Philippe Genty de passage en Syrie avaient changé ta vie et ton regard : le travail du corps et de l’objet, le travail visuel et poétique. Le théâtre expérimental t’intéressait et tu l’as expérimenté avec différents metteurs en scène, dans plusieurs spectacles. C’est le choix du rôle qui te guidait avais-tu dit, et ceux avec qui tu avais envie de travailler. Les séries télé ne t’intéressaient pas, il te fallait, intellectuellement, du grain à moudre.
Nous avions parlé des relations entre hommes et femmes et tu rapportais : « Chez nous, c’est très mélangé, très différent. Il y a le respect des femmes. Il y a la liberté en même temps, mais il y a aussi beaucoup de choses qui ne sont pas bien, notamment le droit. » Sur ton entrée dans la Révolution, tu avais expliqué : « Quand j’étais petite, j’ai rêvé de la révolution, j’avais six ans. C’était une question de justice et d’égalité. » Et tu avais raconté une anecdote de tes douze ans : un professeur s’était moqué d’un élève en lui disant qu’il était mal habillé et tu avais demandé à ce professeur de s’excuser de son insulte, tu avais exigé qu’il s’excuse auprès de l’élève. Tu n’avais souscrit à aucun Parti m’avais-tu dit, même si chez vous, vers douze treize ans, c’était une quasi obligation. Tu avais des idées bien arrêtées.
Tu militais contre la violence et soulignais qu’il y avait beaucoup de violence partout, au quotidien, dans les paroles et les actions. Pour changer la pensée, la façon de penser dans ton pays, tu avais même imaginé de changer la langue, et tu disais : « Notre langue est restée longtemps sans changement parce que chez nous, il n’y a pas d’action. La langue évolue si l’action suit. » Ta définition de la démocratie était simple : « Tu penses, et tu fais ce que tu as pensé. Mais si tu penses et que tu restes sans rien faire… » et le geste prolongeait le mot, jusqu’à s’effacer.
Tes débuts en écriture se passent pendant la Révolution, un besoin impérieux d’écrire disais-tu, avant d’être exfiltrée de Homs car tes prises de position et engagements dérangeaient. Pour te protéger, tes amis avaient préféré que tu partes : « Va t-en, peut-être que là-bas tu as un rôle plus nécessaire pour nous » t’avaient-ils dit. Ce rôle tu l’as tenu, Fadwa, par l’écriture, partageant un peu de tes mondes intérieurs, de tes angoisses et de tes espoirs. Et aussi parce qu’écrire aide à vivre, à supporter l’exil, tu le disais avec pudeur. « Qui suis-je encore quand mon visage, mon nom, la fleur de ma jeunesse, ma langue, ma voix, ma mémoire, sont restés là-bas habillée des débris de mon pays… ? » Tes mots, ton visage, la beauté de ce que tu es, demeurent. Bonne route dans tes nouvelles galaxies, toi si forte et si fragile.
Brigitte Rémer, le 23 août 2017
« À la pleine lune » de Fadwa Souleimane, Editions Le Soupirail, 2014 – Traduction de l’arabe par Nabil El Azan. – E-mail : editionslesoupirail@gmail.com – Site : www.editionslesoupirail.com.
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