Exposition, au Musée d’Orsay, en partenariat exceptionnel avec le Munch Museet d’Oslo – jusqu’au 22 janvier 2023 – Derniers jours.
Le parcours de vie d’Edvard Munch est rempli de traumatismes et de drames, il réinterprète la mort dans sa peinture. Né en 1863 en Norvège, Munch perd sa mère à l’âge de cinq ans, sa tante, Karen Bjølstad, chargée de son éducation, pratique la peinture et l’initie au dessin. A l’âge de quatorze ans il perd sa sœur aînée de la tuberculose, entre en 1880 pour quelques mois, au Collège royal de dessin et participe, à partir de 1883, à des expositions collectives. On peut considérer qu’il s’est largement auto-formé. Munch découvre en 1884 le milieu de la bohème de Kristiania – le nom d’Oslo jusqu’en 1924. En 1885 il séjourne pour la première fois à Paris où il résidera de 1889 à 1892. Sa peinture reflète ce qu’il vit, elle est au départ, très mal acceptée : en 1886 il présente son tableau L’Enfant malade au Salon d’automne de Kristiania et provoque un scandale, et en 1892 ses œuvres choquent et sont vivement critiquées au Verein Berliner Künstler, lors d’une exposition personnelle qui ferme ses portes au bout d’une semaine. À Berlin où il vit, il fréquente le cercle littéraire et rencontre entre autres August Strindberg – dont il réalisera en 1896 un portrait sur lithographie – technique à laquelle il s’initie, ainsi qu’à la gravure, notamment sur bois.
En 1896 il participe au Salon des Indépendants, à Paris et réalise l’affiche des pièces d’Henrik Ibsen, Peer Gynt et John Gabriel Borkman jouées au Théâtre de l’Œuvre ; il dessine des illustrations pour les pièces de Strindberg et pour Les Fleurs du mal de Baudelaire. En 1902 il expose à la Sécession de Berlin une vingtaine de tableaux sous le titre Présentation de plusieurs tableaux de vie, en fait la première esquisse de La Frise de la vie. En 1906, le célèbre metteur en scène allemand Max Reinhardt – fondateur des Kammerspiele à Berlin, qui modifient le rapport scène/salle – lui commande des décors pour Les Revenants et pour Hedda Gabler, d’Ibsen. Sa rencontre avec le théâtre est fondamentale et modifie son regard sur l’architecture de ses toiles.
Souffrant d’une dépression, les années 1908 et 1909 sont sombres. Munch demande à être hospitalisé dans la clinique psychiatrique du Dr Jacobson, à Copenhague. Il présente ensuite des projets, notamment des concours de décors pour l’université de Kristiania, certains finiront par être acceptés. À partir de 1916 il réside près d’Oslo où il a acheté la propriété d’Ekely, et y restera jusqu’à sa mort, en 1944. C’est en 1918 qu’il organise l’exposition La Frise de la vie à la galerie Blomqvist de Kristiania et publie quelques mois après un livret où il retrace son travail sur la Frise. En 1937, quatre-vingt-deux de ses œuvres sont arrachées des musées allemands et confisquées par les nazis qui les jugent comme dégénérées.
Edvard Munch a longtemps dérouté par le côté inachevé de ses toiles qu’il aime à rapprocher, comme des ensembles. Pour lui, chacune prend tout son sens quand elle s’inscrit dans une série. Il construit ainsi son discours pictural taraudé par les grandes questions existentielles que sont l’amour, l’angoisse, le doute et la mort en écho aux drames familiaux traversés (mort de sa mère puis de deux sœurs et d’un frère, père austère). « La maladie, la folie et la mort étaient les anges noirs qui se sont penchés sur mon berceau » écrit-il dans l’un de ses carnets de notes et rapporté dans le programme de l’exposition. Sur ce thème, le Musée d’Orsay présente entre autres Près du lit de mort (1895) réminiscences de la mort de sa sœur aînée, L’Enfant malade (1896) où la mère semble prier près de sa fille ; La Lutte contre la mort (1915). Ses sombres états d’âme s’expriment aussi à travers des œuvres comme Désespoir, Humeur malade au coucher de soleil (1892) un paysage lugubre couvert d’un ciel orangé ou comme Mélancolie (1894/96) un homme pensif devant un vaste horizon aux dégradés sombres à l’avant avec pourtant quelques traits de clarté, au loin.
D’une autre veine, et se répondant l’une à l’autre, on trouve des œuvres comme Danse sur la plage – Jeunes filles arrosant les fleurs – Arbres au bord de la plage (1904) – Sur le pont (1912/13), Les Jeunes filles sur le pont, en 1918, avec reprise de motif en 1927 puis avec Les Dames sur le Pont (1934/40). Il fait une lithographie intitulée Madone (1895/96) où la longue chevelure féminine sert de lien de communication entre le sentimental et le spirituel. Vampire (1895) initialement intitulé Amour et douleur évoque la femme castratrice, puis Vampire dans la forêt (1924/25) interprétation d’un couple désuni dans une atmosphère d’anxiété, est la reprise du motif.
Tout au long de sa carrière Munch peint des autoportraits, une façon de marquer les événements importants de sa vie, d’y exposer sa sincérité et sa vulnérabilité. On voit ainsi dans l’exposition les œuvres de différentes périodes : Autoportrait à la cigarette et Autoportrait au bras de squelette, une lithographie (1895), l’inquiétant Autoportrait en enfer (1903) ; Nuit blanche, autoportrait au tourment intérieur (1920), Autoportrait devant une œuvre, une photographie/épreuve gélatino-argentique de 1930, un Autoportrait de la fin de sa vie (1940/43), « Nous ne mourons pas, c’est le monde qui meurt et nous quitte » écrit-il dans un carnet de croquis.
Son œuvre emblématique, initiée au cours des années 1890, La Frise de la vie – où il regroupe ses œuvres pour leur donner cohérence, oeuvres sur lesquelles il travaillera toute sa vie – est montrée pour la première fois à Berlin, en 1902. Elle a été pensée comme une série logique de tableaux qui donnent un aperçu de la vie. « J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour, de mort » écrit-il en 1919. Son œuvre la plus célèbre, Le Cri, y est déclinée en plusieurs versions, peintes et gravées, on trouve notamment à Orsay une lithographie faite en 1895 et un dessin réalisé en 1898 au crayon et pinceau sur papier, Tête du « Cri » et mains levées.
Dans toute son étrangeté Edvard Munch est un inclassable. Son œuvre étonne et/ou dérange et n’appartient ni au symbolisme ni à l’expressionnisme même s’il en est peut-être l’un des précurseurs. Son exploration de l’âme humaine met à l’épreuve, et dans l’intimité des sentiments qu’il fait partager, se trouve une dimension universelle. Admirateur de Paul Gauguin, comme lui et malgré ses fantômes, il fait très librement l’usage de la couleur, cinglante et provocatrice parfois, pour traduire sa vision singulière du monde.
L’exposition du Musée d’Orsay, Edvard Munch, un poème de vie, d’amour et de mort, – finement réalisée sous le Commissariat de Claire Bernardi, directrice du musée de l’Orangerie avec la collaboration d’Estelle Bégué, chargée d’études documentaires au musée d’Orsay – permet, au-delà du Cri, de rencontrer l’ensemble de La Frise de la vie, ce grand récit de l’âme humaine et de découvrir d’autres versants de la vie et de l’œuvre de cet immense artiste.
Brigitte Rémer, le 7 janvier 2023
Exposition organisée par l’Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie, en partenariat exceptionnel avec le Munch Museet d’Oslo – Publications : Catalogue de l’exposition, coédition musée d’Orsay/RMN, 256 pages, 45 € – Les Mots de Munch, coédition musée d’Orsay /RMN, 128 pages, 14,90 €.
Jusqu’au 22 janvier 2023, du mardi au dimanche de 9h30 à 18 heures, 21h45 le jeudi – Musée d’Orsay, esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007. Paris – métro : Solférino – tél. : 01 40 49 48 14 – site : musées-orsay.fr
Visuels : 1/ – Soirée sur l’avenue Karl Johan, 1892 © Dag Fosse/KODE – 2/ – Vampire, 1895, Oslo, Munchmuseet © Munchmuseet / Richard Jeffries – 3/ – Rouge et blanc (Rødt og hvitt) Munchmuseet, Oslo, Norvège © Munchmuseet, Oslo, Norvège / Halvor Bjørngård.
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