Performance théâtrale mise en scène et interprétée par Sawson Bou Khaled (Liban), dans le cadre du programme D(r)ôles de Printemps.
Sawson Bou Khaled a le goût de la métamorphose et nous guide à travers les faces cachées de son paysage intérieur. Dans cette performance théâtrale proche d’une installation, elle devient son propre matériau et son univers visuel est aussi présent que les mots de ses réitérations.
Jeune artiste libanaise, elle travaille entre Beyrouth et Paris, habitée des univers de Büchner, Artaud, Genet ou Koltès. Elle crée son premier spectacle, Cryptobiose, en 2006 à Beyrouth, joue dans Archipel d’Issam Bou Khaled avec le collectif Shams au Tarmac de La Villette en 2008, puis présente une version fleuve d’Alice, dans un hôtel abandonné du Caire, 2013.
Perdue dans un grand lit où elle se relaxe, rondelles de concombre sur les yeux, l’actrice semble ici s’être retirée du temps et livre des bribes de phrases, en aveugle : « c’est peut-être comme ça… » Puis elle s’anime, grignote le légume et convoque ses monstres. Elle monte en tension tout au long du spectacle, jusqu’à devenir elle-même monstre, entre hallucinations et désagrégation. Avec sa force tranquille, comme dans un conte qui tournerait au cauchemar, elle se révèle tantôt victime tantôt bourreau.
Soudain un cri déchire le théâtre et marque d’une pierre ses (mauvais) rêves : « Je tombe… ! » Sawson Bou Khaled construit un univers mental et visuel très personnel, se fondant totalement aux éléments de la scénographie. Du lit qui devient sculpture, elle tire des merveilles avec beaucoup de naturel. Sa collaboration avec le scénographe Hussein Baydoun, depuis plusieurs années, offre des niches de créativité et d’imprévus, avec images vidéo et jeux de lumière. Petit à petit, son univers se rétrécit jusqu’à l’enfermement, dans un lit devenu cage où elle s’installe comme en état foetal.
Sa rencontre avec un chat, Alice, son confident, envoie de la tendresse dans cette absolue solitude. « Alice, comment peut-on savoir qu’on n’est pas déjà mort ? » Elle évoque l’image de la mère et traverse le temps, de l’enfance à celui de la vieillesse, projeté, au bord de l’absence et de la mort. « Cette femme a l’âge de ses projections mentales, elle est sans âge » confie Sawson Bou Khaled.
Transformation et métamorphoses sont les mots clés qui traduisent l’univers lyrique et fantasmagorique de cette artiste de grand talent. L’œil – du destin – qui la poursuit prend sa source, dit-elle, dans les violences subies lors de manifestations, quand les forces de l’ordre avaient « visé tout droit l’œil gauche, puis le droit » laissant un jeune homme privé de lumière. La guerre n’est jamais loin dans le commentaire, ni les peurs et les désordres qui en résultent, son univers finement ciselé, est noir « c’est comme ça la mort, peut-être… »
Dans un monde d’images, Sawson Bou Khaled déjoue l’absurde et hypnotise, elle est son propre matériau d’expérimentation. « C’est moi, Sawsan ! Je ne joue pas un personnage, je me mets en scène dans des situations extrêmes où je risque de ne plus du tout ressembler à ce que je suis dans la vie hors scène », ainsi est son voyage.
brigitte rémer
Conception, mise en scène, interprétation : Sawsan Bou Khaled – scénographie et animation vidéo : Hussein Baydoun – création lumière : Sarmad Louis – régie lumière : Ahmed Hafez – musique composée par Mikhail Meerovitch pour le film Le Conte Des Contes, 1979 et adaptée pour Alice, par Maurice Louca.
D)rôles de Printemps, au Tarmac, 159 avenue Gambetta. 75020, du 11 au 28 mars 2015. Tél. : 01 43 64 80 80 – Site : www.letarmac.fr
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