Texte de LM. Formentin d’après le discours éponyme d’Etienne de la Boétie – mise en scène Jacques Connort, avec Jean-Paul Farré – au Théâtre Essaïon.
Le texte est un petit bijou issu du Discours de la servitude volontaire écrit en 1547 par La Boétie à l’âge de dix-huit ans, alors qu’il étudiait le droit. François 1er vient de disparaitre, Henri II lui succède, c’est un vibrant réquisitoire contre la monarchie et la manipulation des peuples, et qui en dénonce la passivité.
L’auteur, LM Formentin s’empare de la diatribe de philosophie politique de la Boétie et l’adapte au contexte d’aujourd’hui, autant dire qu’on se délecte. C’est un texte sur le pouvoir qui fait défiler la liste des totalitaires et tyrans des XXème et XXIème siècles et qui dénonce la lâcheté, pour ne pas dire la servilité des peuples. La mise en scène de Jacques Connort nous tend un miroir, au sens propre comme au sens figuré, en fond de scène il installe un panneau réfléchissant faisant apparaître les spectateurs.
Au centre, sa majesté Jean-Paul Farré, vieux loup de mer du théâtre, ludique et pince sans rire y va de sa fougue, de sa ruse et de son effronterie. Ce rôle lui colle à merveille. Un fauteuil, son trône pour seul accessoire, il est la Boétie, Machiavel et Aristote réunis. « Ce n’est pas à vous que je m’adresse, je parle tout seul, aux oiseaux, à mon vieux manteau… » Il porte le texte avec ses questionnements et mises en garde, tournant autour de la loi de nos sociétés où la gloire du plus fort écrase le plus faible. Un contre tous… Il évoque ces injustices dès l’école, les castes, les soldats, les prisonniers qui malgré leur force physique demeurent invisibles et ne se rebellent pas. Autant dire que le texte est un brûlot de la désobéissance où la volatilité de l’intelligence se mute en cynisme. « Il s’agit de ne plus obéir » avait dès l’enfance compris l’auteur.
Manteau rouge sur tapis rouge échec et mat, l’acteur-narrateur parle du désir de puissance, récurrent au fil des siècles et des grands criminels d’État, évoquant une maladie universelle, la violence, et un pouvoir d’intimidation annihilant toute résistance. Précédant La Boétie, il cite Machiavel et son Prince, au rendez-vous du pouvoir, montrant comment le devenir, puis le rester. C’est l’époque des Borgia, une famille sans noblesse dont l’ascension fut spectaculaire, assoiffée de pouvoir et de corruption. Le texte s’inscrit aussi dans la lignée de La Politique, qu’Aristote destinait à l’enseignement. « Tyrannie et prospérité sont antinomiques, et le paradis s’éloigne… »
Le texte remémore la période noire du maréchal Pétain qui déclarait à la radio le 17 juin 1940, dans un vibrato des plus ridicules : « Je fais à la France don de ma personne… » sans oublier son vis-à-vis du régime nazi, Goebbels et le Reich, créant un ministère de l’Éducation du peuple et de la Propagande. La liste des mensonges d’État d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, est longue, et l’Histoire souvent falsifiée. L’acteur se pose, se saisit du livre de la Boétie dont il donne certains extraits d’une façon plus confidentielle parlant de « manipulation de masse, viol des consciences, injonction à la guerre, pour se légitimer et inventer son ennemi. »
Et il va plus loin, parlant des jeunes de l’humanité, morts pour leurs pays. Morts pour qui, pourquoi ? La lumière jaillit et l’acteur-prédicateur lance avec emphase un « Cher peuple, je vous plains… ! » à l’adresse des spectateurs. Puis il revêt une veste noire couleur de plaidoirie et s’installe dans le fauteuil, dos au public, comme s’il allait rendre un verdict au nom du peuple français. « Le peuple croit à la légitime autorité de l’État. Les hommes s’habituent à tout, entre autres à obéir » et il liste les mamelles du pouvoir et ses fondations : « autorité, discipline et conformisme, les bons élèves étant les plus serviles, autant dire la future élite… »
Par peur d’être seul et compte tenu de son instinct grégaire, le peuple s’organise en horde : la famille, la société, l’attachement viscéral de chacun, en route pour la servitude volontaire… Et caché derrière le fauteuil comme pour se protéger, notre La Boétie réveille les consciences. « Que veulent les hommes, la tranquillité plutôt que la liberté, la liberté par-dessus bord ? Ils veulent le chemin qu’on leur a tracé, ne plus seulement être, mais devenir… » Assis au centre, dans la lumière, il poursuit son apostrophe au public : « Ne vous croyez pas à l’abri de la tyrannie » et parle à sa conscience : « Et si demain arrivait un nouveau conflit, une épidémie… où serai-je ? » demande-t-il à chacun. « Dans le troupeau ? Avec celui qui dit non ? L’Histoire regorge d’imagination… » Et pour n’en citer que quelques noms parmi tant d’autres, l’auteur énumère les Lénine, Mussolini, Franco, Mao et et retient certains assassinats politiques, individuels ou collectifs comme TienAmen et ses sanglantes manifestations de Pékin, sous Deng Xiaoping, en1989 ; les Al-Assad père et fils, Bachar perpétuant la dictature de Hafez, le père ; l’Iran, avec la mort de la jeune Mahsa Jîna Amini, d’origine kurde, frappée à mort pour n’avoir pas porté l’hidjab.
La montée dramatique du texte de La Boétie De la servitude volontaire revu et corrigé par LM. Formentin, portée par Jean-Paul Farré sous la baguette de Jacques Connort en chef d’orchestre, est puissante, elle a valeur d’une tribune. Et l’on repense à l’essai Indignez-vous, de Stéphane Hessel du haut de ses plus de quatre-vingt-dix ans, qui définissait si justement l’indignation comme ferment de l’esprit de résistance.
Brigitte Rémer, le 20 février 2025
Décor Jean-Christophe Choblet – costume Isabelle Deffin – musique Raphael Elig – lumières Arthur Deslandes – production Sea Art – La pièce est publiée par les Éditions de l’Arsenal.
À partir du 5 février 2025, mercredi et jeudi à 19h, vendredi et samedi à 21h, dimanche à 18h au Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard 75004 Paris – métro Châtelet, Hôtel de Ville, Rambuteau – site : www.essaion.com – tél. : 01 42 78 46 42 ou essaionreservations@gmail.com
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