Conception Jérôme Bel, avec Valérie Dréville – à la MC93 Bobigny, dans le cadre du Festival d’Automne.
Elle s’avance, se place au milieu du plateau nu où se trouve juste une petite table, côté cour. Un portable et un ampli y sont posés, ses outils de travail. Le portable ne sert pas de métronome mais de chronomètre. On dirait une petite fille, queue de cheval, pantalon noir et veste de survêt. Elle se place en cinquième position et débute avec application la classe de danse classique qu’elle reprend en boucle. Ni barre ni miroir. Dans un grand silence, l’actrice poursuit, avec une improvisation de danse moderne où elle esquisse quelques gestes, avec concentration.
Valérie Dréville enchaîne ensuite des fragments ayant pour source des chorégraphies et/ou des références à quelques chorégraphes élus par Jérôme Bel, concepteur du spectacle. L’actrice se met dans les pas d’Isadora Duncan en 1905, sur le Prélude n°7 de Chopin, puis dans ceux de Pina Bausch, à travers deux de ses chorégraphies emblématiques : Café Muller, œuvre fondatrice créée en 1978 sur la musique d’Henry Purcell ; Le Sacre du Printemps, créé en 1975 sur la musique de Stravinsky, dont le livret originel du ballet fut chorégraphié en 1913 par Vaslav Nijinski, qui y montrait l’Élue en robe rouge sang. C’est à partir d’une vidéo regardée et commentée sur son mobile que Valérie Dréville restitue les effets dramatiques et cathartiques de la pièce, comme elle commenterait un match de football. Un peu frustrant pour le spectateur !
Deux autres vidéos sont décrites sur le même mode, à partir de son mobile, Valérie Dréville assise sur une chaise, face au public, commente : Huddle/Se blottir, une chorégraphie de Simone Forti réalisée en 1961, où six ou sept danseurs/gymnastes/performers étroitement regroupés, se tiennent par les épaules et où chacun d’entre eux se détache l’un après l’autre, pour escalader la structure formée par les corps en une pyramide, avant de reprendre sa place, sculpture vivante ou mêlée de rugby. L’autre vidéo témoigne de la gaieté et du pétillant de Singing in the rain/Chantons sous la pluie où l’actrice esquisse quelques pas à la manière de Gene Kelly. A l’opposé de cette légèreté, on entre dans l’obscurité du danseur et chorégraphe japonais, Kazuo Ōno, qui puise dans la profondeur de l’être. Valérie Dréville s’enfonce dans cette obscurité qu’elle rejoint jusqu’à disparaître dans un noir profond, avant de ré-apparaître graduellement, comme le révélateur fait monter la photo. Le portable sonne au bout de dix minutes. Fin de la séquence.
L’actrice, qui a joué sous la direction des plus grands metteurs en scène – dont Claude Régy, Anatoli Vassiliev, Thomas Ostermayer, Krystian Lupa, Roméo Castellucci -, accepte le jeu de l’amateure, et performe. Elle est ici une danseuse sans expérience dans les mains d’un chorégraphe singulier, Jérôme Bel, davantage dans la recherche que dans la danse. Il lui faut un certain courage, ou une curiosité certaine, ou le goût de l’aventure minimaliste, pour se laisser porter par ce non-événement. L’actrice est là, avec son corps, en apprentissage et en recherche elle aussi, tissant le silence de ses gestes, imparfaits et répétés.
Le geste est-il plus fort que le mot et les cinq chorégraphes retenus dans le Panthéon de Jérôme Bel suffisent-ils à une réflexion sur la danse, sur la relation entre le mot et la danse, sur l’imaginaire ? Le chemin proposé ici est de l’ordre de l’exercice de style. Comme quand Georges Pérec s’amuse, en 1968, à enlever la lettre e, dans son roman La Disparition, Jérôme Bel gomme la danse. Par là même, il nous oriente davantage du côté de l’ironie que de la réflexion ou de l’émotion. On est, avec ce Danses pour une artiste, dans une esquisse, un crayonné au théâtre pour reprendre l’expression de Mallarmé. Petit détail, qui n’en est peut-être pas un : pour des raisons écologiques, maître Bel annule la bible/petit papier remis à l’entrée de la salle qui indique le programme et porte le nom des collaborations. Il demande à l’actrice, en cours de spectacle, d’énoncer ce programme, qu’on ne retient pas. Merci à la MC93 d’émettre en grand format ses Carnets #10, bien appréciés.
Brigitte Rémer, le 15 octobre 2020
Du 7 au 16 octobre 2020, à la MC93 Bobigny, 9 boulevard Lénine, 93000. Bobigny – métro : Bobigny Pablo Picasso – site : www.mc93.com – tél.: +33 (0) 1 41 60 72 72 – En tournée : du 19 au 26 novembre, au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers – du 2 au 4 décembre, à la Comédie de Valence. www.festivaldautomne.fr
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