Exposition sur les Sources et influences extra-occidentales, présentée à l’Orangerie, organisée par le Musée Rietberg de Zurich, la Berlinische Galerie de Berlin, les Musées d’Orsay et de l’Orangerie de Paris.
L’exposition propose un regard sur le mouvement Dada – né à Zurich en 1916 autour du Cabaret Voltaire fondé par Hugo Ball – sur l’avant-garde et le nouveau système de pensée qu’il élabore en réaction à la société industrielle, à la pensée bourgeoise, aux violences de la Grande Guerre. Les artistes Dada sont pacifistes, pour la plupart réfugiés en Suisse mais venant de toute l’Europe, ils élaborent des langages de subversion pour rompre avec l’ordre bourgeois. « Le but est de rappeler qu’il y a, au-delà de la guerre et des patries, des hommes indépendants qui vivent d’autres idéaux » dit Hugo Ball dans son Premier Manifeste. Plus tard, Jean Arp dira : « Nous cherchions un art élémentaire qui devait, pensions-nous, sauver les hommes de la folie furieuse de ces temps. »
La démarche des commissaires est ici de montrer l’appropriation par les dadaïstes, dans le sillage des cubistes, de formes de production artistique venant d’ailleurs, et de la recherche d’une fusion entre les arts. Cette lecture des influences extra-occidentales est construite en quatre séquences. Dada foyers, la première, couvre les années 1914/1917 et en arrière-plan évoque la guerre, montrant des images de tirailleurs sénégalais qui pourtant dansent, ou accroché au plafond, un mannequin prussien unijambiste portant un masque à gaz. Cette section parle des croisements qui ont lieu au Cabaret Voltaire, entre les artistes qui s’y regroupent, Tristan Tzara, Sophie Taeuber, Jean Arp, Hans Richter, Hannah Höch, Raoul Haussmann et d’autres. Vidéos, tableaux, de Francis Picabia (Portrait de Tristan Tzara), Picasso (La femme au peigne), Marcel Janco (Le Jeu de dés), statuettes, poèmes nègres et Note 6 sur l’art nègre de Tzara illustrent cette période.
Dada Galerie fait référence aux années 1915 à 1925 qui structure le mouvement autour d’une réflexion sur le sens rituel et social des objets d’art extra-occidentaux et d’écrits théoriques comme La Sculpture nègre de Carl Einstein. Les musées ethnographiques deviennent la source de l’inspiration Dada. Collectionneurs et marchands d’art commencent à s’intéresser au sujet, en particulier Paul Guillaume. Une première exposition, organisée en Suisse en 1917 à la Galerie Coray du nom d’un ardent collectionneur, permet le dialogue sans hiérarchie entre les œuvres africaines et des œuvres dadaïstes. Affiches, tracts et poèmes, typographie, textiles et bijoux, masques et marionnettes, collages et photomontages de journaux et documents, spectacles, univers littéraires et plastiques singuliers issus du mouvement se multiplient.
La séquence Dada Performance traduit le chahut et la confusion qui règnent dans les soirées du Cabaret Voltaire mêlant music-hall, arts du cirque, bruitages, danse cubiste, lectures phonétiques expérimentales, costumes extravagants etc. Les superbes Masques de Marcel Janco et ses costumes en carton, les Poupées de Emmy Hennings, la Danse de la sorcière de Mary Wigman, les textes de Tzara, de Paul-Albert Birot avec La Lune ou le livre des poèmes, ou de Blaise Cendrars avec Continent noir sont lus au cours de soirées mémorables.
Dada fusion suivi de Post-dada forme la dernière séquence de l’exposition avec les bijoux, broderies et tapisseries de Sophie Taeuber-Arp, avec ses élégantes marionnettes réalisées pour le spectacle Le Roi-Cerf qui réadapte un conte comique du XVIIIème et l’actualise sous couvert de la querelle entre les psychanalystes Freud et Jung, avec ses maquettes de costumes à la manière des petites Poupées Katsina hopi représentant les danseurs masqués du culte des ancêtres en Amérique du Nord, devenues objets de collection. L’énergie créatrice des dadaïstes s’exprime notamment avec Tristan Tzara qui retranscrit des poèmes Maori et écrit Vingt-cinq poèmes qu’il adosse aux gravures sur bois de Jean Arp ; avec les poèmes sonores de Hugo Ball comme Caravane, ou ceux de Raoul Haussmann, comme Bbbb qui déconstruisent la langue et s’accompagnent de percussions et musiques africaines ; avec les collages et assemblages et les superbes Poupées Dada en textile, cartons et perles de Hannah Höch s’inspirant de la statuaire Kmer : « Jusqu’à ce jour, j’ai tenté d’exprimer, avec ces techniques, mes pensées, mes critiques, mes sarcasmes, mais aussi le malheur et la beauté » dit-elle ; avec la puissance d’expression des dessins et collages de Jean Arp, de ses assemblages en bois flottés privilégiant les formes et les couleurs, ses recherches avec Sophie Taeuber qu’il qualifie de « recherche d’un art élémentaire, qui guérirait les hommes de la folie de l’époque, et d’un ordre nouveau qui rétablirait l’équilibre entre le ciel et l’enfer. » De nombreux objets mis en miroir sont au rendez-vous de l’exposition dans toutes leurs variations, ainsi que des masques africains et statuettes magiques de Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo et d’autres pays africains. La fin du parcours dadaïste présente aussi l’œuvre de deux artistes contemporains, Athi-Patra Ruga, de Johannesbourg, qui travaille sur la performance et l’identité et Otobong Nkanga, d’origine nigériane, qui interroge la notion de territoire.
Avec sa gaité provocatrice, le mouvement Dada sera court. Il s’éteint de manière imprécise au cours des années 20 et le Surréalisme prendra sur lui peu à peu le pas. « L’œil existe à l’état sauvage » dira André Breton, en 1928. Sans idées préconçues ni programme il fut « une force explosive qui lui a permis de s’épanouir dans toutes les directions » comme l’a dit Hans Richter, une sorte d’anti-art basé sur la transdisciplinarité et la reconnaissance, pour la première fois, de l’influence des arts premiers sur l’art occidental.
Brigitte Rémer, le 3 février 2018
Commissaires de l’exposition : Ralf Burmeister, Berlinische Galerie de Berlin – Michaela Oberhofer et Esther Tisa Francini, Musée Rietberg de Zurich – Cécile Debray et Cécile Girardeau, Musée de l’Orangerie de Paris. Le catalogue de l’exposition est édité en partenariat avec les Editions Hazan.
Jusqu’au 19 février 2018 – Musée de l’Orangerie/Jardin des Tuileries – Métro : Concorde – Site : musée-orangerie.fr
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