Spectacle de sortie d’école pour les stagiaires de la Formation Professionnelle aux Arts du Cirque, après trois ans passés au Centre régional des arts du cirque de Lomme-Lille. Ils présentent sous le grand chapiteau leur parade, sept solos et un numéro collectif, et mettent en valeur leurs compétences techniques et artistiques. Un conseiller extérieur de leur choix, généralement un artiste confirmé, les a accompagnés dans leur démarche. Cette présentation finale est un pas important vers leur insertion – juste avant le grand saut vers les pistes professionnelles – un précieux sésame, leur carte de visite.
Trois jongleurs aux personnalités affirmées, lancent un geste technique et esthétique personnel à partir de leurs différents styles. Paul-Emmanuel Chevalley présente Revers de paillettes et descend comme un seigneur depuis la salle où il est mêlé au public, vêtu de haut-de-chausses et chemise à jabot. Il porte ses élégantes quilles blanches qu’il lance en l’air et qu’il rattrape en des figures complexes, joue entre terre et ciel et dessine des univers tel un Arlequin serviteur de deux maîtres. Il invite la techno dans son univers du baroque. Joseph Bleher, intitule son numéro, 17, du nombre de boites en bois avec lesquelles il jongle et qui ressemblent à des briques. Posées sur le sol, il trace d’abord son chemin labyrinthe entre ces boites, s’en saisit, par deux, trois et quatre, les lâche et les rattrape en une gestuelle fluide et précise. Il les pose en équilibre sur la main, un avant-bras, sur la tête et monte des tours de Babel avec virtuosité se jouant de la géométrie et des perspectives. Félix Didou est jongleur et s’inscrit dans le mouvement de la magie nouvelle. Il présente L’Extra-Quotidien, titre du journal qu’il reconstitue à partir des morceaux épars d’une corbeille à papiers renversée dans son appartement saccagé. De ces bouts de journaux éparpillés autour desquels il écrit son scénario, apparaissent et disparaissent des balles dans une montée dramatique qu’il construit avec un talent certain de théâtralité qui n’est pas sans évoquer le cinéma expressionniste allemand des années 1920. Il quitte les lieux en courant, laissant le public sous le choc.
Autres univers autres technicités, les équilibres. Trois équilibristes femmes se mettent en scène avec humour et élégance et créent, par leurs numéros, des paysages pluriels. Dans Leurre exact Eugénie Hersant-Prévert dialogue avec un petit tabouret de bois qu’elle s’approprie jusqu’à devenir une partie de son corps, tantôt trône tantôt bouclier. Elle construit des figures et joue les midinettes aux grands airs, accompagnée de mélodies remises au goût du jour comme Ce soir je serai la plus belle pour aller danser et Tous les garçons et les filles, avant de se lover, cheveux dénoués et solitaire, dans un carré de lumière. Avec Lucrecia, Luisina Falvella lit les nouvelles, à l’endroit comme à l’envers – pages de journaux posées au sol – et en donne de libres interprétations à travers ses équilibres sur les mains. Son numéro est ludique et loufoque, elle montre, par son personnage, capricieux et définitif, d’incontestables qualités d’Auguste parleur, sur un scénario plein de digression, de charme et de colère : Je déteste…. Ma voisine, les fleurs, la mer, le football, les chats, l’horoscope… Macarena Gonzalez Neuman s’invente plusieurs identités à travers un numéro intitulé Nos otras, jeu de mots sur l’entre nous et sur la différence. Elle fait une entrée théâtrale, austère et hiératique, vêtue d’une robe grenat ecclésiastique. Puis elle élabore au sol des équilibres et une chorégraphie chaloupée avant de s’éplucher, enlevant les différentes couches de ses vêtements, pour se transformer en sculpture vivante et sans visage, comme les danseuses drapées d’Alwin Nikolaïs s’étirant en formes spectrales. Elle a l’art de la métamorphose et de la contorsion, et offre une séquence magnétique.
Grégoire Fourestier lui, a choisi le Mât chinois, une des spécificités du Centre de Lomme où un Maître Chinois enseigne la technique de cet art venu d’Asie. Il présente un solo, Le voyage de Miniâk, inspiré de la filmographie de Tony Gatlif. Il crée un personnage espiègle, sorte de lutin-baladin au langage singulier perdu dans un vaste monde et parlant par énigmes, qui trouverait sa place dans une séquence pasolinienne. Il joue et gagne à un, deux, trois, soleil avec des partenaires imaginaires, travaille l’émotionnel et la singularité, apprivoise le Mât chinois pour un numéro acrobatique tourbillonnant où les figures aériennes en rotation offrent des lâchés-retournés, des vrilles et mouvements en toupie, qui se révèlent pleins d’audace et de légèreté.
Le collectif de portés acrobatiques dynamiques, nommé BimBim se fraye un chemin pyramidal de main à main avec un numéro intitulé Entre-temps. Cinq artistes, quatre nationalités, trois continents, deux voltigeuses – Oded Avinathan, Alejo Bianchi, Arnau Povedano, Belar San Vicente, Paula Wittib – ont conçu ce numéro d’ensemble. Leur démonstration est enlevée, rieuse et pleine d’énergie et les passages de main à main se font avec précision et maitrise. Les hommes portent debout les voltigeuses et parfois se portent et se supportent entre eux. Il y a de la virtuosité dans leur défi à la pesanteur, où les sauts périlleux arrières sont généreux et où se superposent trois niveaux pour des pyramides qui s’étirent à l’infini. Élégance, pureté et précision du geste, propulsion permettant d’élaborer des figures codées dans la complicité porteur/voltigeur(euse), sont la clé de voûte de leurs enchaînements, rapides et sous tension, amenant chaque acrobate à la formation d’un édifice commun.
A côté de la dramaturgie de chaque numéro, les troisièmes années ont élaboré le fil conducteur de la soirée dans une dramaturgie d’ensemble précise et inventive où les uns présentent les autres et les autres s’effacent au profit des uns, comme autant de monsieur Loyal. Leurs séquences de transition sont pleines d’humour et chaleureuses pour introduire magiquement l’artiste abordant la piste. A en retenir une, mais toutes sont judicieuses, l’arrivée du Mât chinois avant montage, poussé par l’ensemble des stagiaires au bout duquel est accroché l’un d’eux, glissant sous la gardine – ce rideau de velours rouge qui sépare la piste des coulisses -. L’apparition fait son effet avant l’entrée de l’acrobate.
Cette invitation au voyage faite par les stagiaires de troisième année avant qu’ils ne s’envolent vers leurs destinées professionnelles est orchestrée avec attention et sincérité par TaO Maury, directrice de la Formation Artistique Professionnelle « car on choisit une vie d’artiste avant d’être artiste » comme le dit Bartabas fondateur du Cirque Zingaro, dans son manifeste Pour la vie d’artiste. « Une chose est sûre » dit Jean-Michel Guy, ingénieur de recherche au Département des Études et de la Prospective du Ministère de la Culture et de la Communication, spécialisé dans les arts du cirque, « le cirque est un concept non moins nécessaire que ceux de danse, de théâtre ou de musique. Même s’il reste difficile à définir et prête à des interprétations contradictoires, il est concrètement éprouvé, tous les jours, par les jongleurs, les acrobates, les trapézistes, les fildeféristes, il informe leurs gestes et jusqu’à leur être au monde. C’est leur expérience seule qui pour l’instant le fonde. » Les arts de la piste sont un art pluriel, certaines disciplines existent depuis plus de trois mille ans, chacun continue à y trouver sa place. Bonne route aux stagiaires de la promotion sortante – 2015/2018 – sur les chemins escarpés de la création artistique.
Brigitte Rémer, le 30 avril 2018
Vu le 28 avril 2018, au Centre régional des arts du cirque de Lomme-Lille (59) – Avec Oded Avinathan, Alejo Bianchi, Joseph Bleher, Paul-Emmanuel Chevalley, Félix Didou, Luisina Falvella, Grégoire Fourestier, Macarena Gonzalez Neuman, Eugénie Hersant-Prévert, Arnau Povedano, Belar San Vicente, Paula Wittib.
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