Conçue et présentée par l’Institut du Monde Arabe et la Maison Européenne de la Photographie.
La Biennale des photographes du monde arabe contemporain est une première édition, présentée dans huit lieux du cœur de ville, à Paris. Fondée sur l’échange et les partenariats entre le public et le privé, l’IMA et la Maison Européenne de la Photographie ont entrainé dans leur sillage la Cité internationale des Arts, la Mairie du IVème et quatre galeries : Binôme, Basia Embiricos, Photo 12, Graine de Photographe. Le parcours proposé enjambe la Seine et présente, dans les différents lieux, le travail de cinquante photographes issus du monde arabe ou artistes occidentaux travaillant sur ces territoires. Chaque artiste interprète le monde d’aujourd’hui, la Biennale met leurs regards en perspective.
L’IMA présente, en une exposition collective intitulée histoire(s) contemporaine(s) vingt-neuf artistes, autour de quatre grands thèmes prêtant à réflexion et qui se répondent : Paysages, Mondes intérieurs, Cultures et Identités, Printemps. Géraldine Bloch en assure le commissariat. On y trouve les œuvres de Khalil Nemmaoui, du Maroc, qui, avec Equilibrium, travaille sur les notions de symétrie et d’équilibre ; Yazan Khalili, de Palestine, avec Landscape of darkness, déconstruit les paysages et interroge la perception ; Joe Kesrouani, du Liban, juxtapose le bleu de l’eau aux constructions ravageuses du front de mer, inscrites avec Beirut Walls dans une architecture d’étouffement. Farah Al Qasimi, de Dubaï, créée avec sa série The World is Sinking, des territoires urbains monumentaux et utopiques, sorte de maquettes comiques et absurdes ; Tamara Abdul Hadi, d’Irak, marque un arrêt sur le vaste cimetière de Wadi as-Salam où sont enterrées plus de cinq millions de personnes. On pourrait questionner tous les photographes présentés ici sur leur démarche car chaque œuvre interroge et raconte. Remarquons encore Egyptiens ou l’Habit fait le Moine, série de dix-huit autoportraits de Nabil Boutros, d’Egypte, où le photographe se grime et se métamorphose, se laisse pousser la barbe puis la rase, se coupe les cheveux, les teint, se voile etc. Jeux de rôles qu’il a imaginés pendant un an, en 2010/2011, autour de la posture, de l’allure et de la figure, avec la représentation d’un idéal-type – selon la terminologie de Max Weber – d’une société où l’identité est mise à rude épreuve et les comportements sociaux sous liberté surveillée.
La Maison Européenne de la Photographie, sous le regard de son directeur, Jean-Luc Monterosso, a opté pour la juxtaposition de six expositions monographiques : Passages, une remarquable rétrospective de l’œuvre de Bruno Barbey à travers le monde et à travers le temps, presque trop dense – une cinquantaine d’années – travail d’auteur autant que témoignage réalisé en noir et blanc, ou en couleurs, au sein de l’Agence Magnum : des pèlerinages du Rajasthan à la tragédie du Nordeste brésilien, des champs pétroliers du Koweit à l’art populaire. Brésil, La Réunion, Pologne, Inde, villes et pays défilent, invitation au voyage dans l’espace-temps du photographe : de Persépolis à Fès – il est né au Maroc -, Sénégal, Turquie, Corée, Chine, Egypte et Palestine, égrenant avec lui les événements et géographies de mondes dont il témoigne et transmet les émotions et respirations. Ses premières photos couleurs sont rapportées du Brésil, en 1966. Les plus grands écrivains – dont Genet, Tahar Ben Jelloun et Le Clézio, ont mis des mots sur ses images.
Massimo Berruti a approché les enfants de Gaza et travaillé sur le thème de l’eau et de la pollution. Gaza : eau miracle est un reportage fort, en noir et blanc pour lequel il a obtenu le Prix AFD/Polka 2014. Il témoigne du manque d’eau suite à la destruction des canalisations lors de l’opération Bordure protectrice lancée par Israël, en 2014 et de la pollution qui s’en est suivie, jusque dans les nappes phréatiques. La force de vie des enfants reste intacte, leurs terrains de jeu sont ces maisons détruites et ces champs de gravats. Daoud Aoulad-Syad photographe et vidéaste, joue entre fiction et documentaire et capte, depuis Marrakech, les gens, les lieux et les objets. La culture populaire, les arts forains et ce qui touche à la mémoire collective sont ses sujets de prédilection. Stéphane Couturier travaille depuis la fin des années 1990 sur la représentation des villes et leur transformation, et interroge le médium photographique. De Chandigarh à Brasilia, il décrypte les villes et rapporte les traces des cités logements du quartier de Bab-el-Oued, à Alger. Dans ses aller retour entre Marrakech et Beyrouth, Leila Alaoui interroge la question de l’identité et de la diversité. Elle présente une série : Les Marocains où elle a capté, dans les lieux publics, des portraits d’hommes et de femmes avec l’aide de son studio photo mobile. Andrea et Magda, duo de photographes franco-italien, travaillent sur des thèmes situés entre les territoires et l’économie, leur Sinaï Park observe les ravages du tourisme de masse et la spéculation immobilière qui en découle, créant un monde artificiel et naïf qui interpelle.
Dans la cour de la Mairie du IVème arrondissement, sont exposées les photos de Pauline Beugnies, Generation Tahrir 2010-2015, projet qui avait débuté avant la révolution de 2011 et rend hommage aux jeunes en quête de liberté et de démocratie. Un lieu, un sujet, un engagement, des espoirs. La Cité Internationale des Arts met en exergue les œuvres de trois de ses résidents : deux photographes marocaines : Safaa Mazirh, avec Autoportrait et Ihsane Chetuan, Transfiguration, ainsi que le photographe et vidéaste libyen, Samuel Gratacap qui présente un film vidéo réalisé en Libye tandis que son travail photo, Les Naufragé(e)s est exposé à l’IMA. En parlant du choix de faire un film, il dit : « Ces images seront un genre de mémoire moderne, une nouvelle forme d’album de famille ou de documentation d’un événement traumatique. »
Chaque galerie partenaire est partie prenante de ce mouvement collectif porté par la Biennale : la Galerie Photo 12 présente Le temps suspendu de Maher Attar, du Qatar, un travail sur la mémoire des lieux ; la Galerie Binôme invite à un Discours de la lumière, réalisé par Mustapha Azeroual (Radiance 2), Caroline Tabet (Perdre la vue) et Zineb Andress Arraki (Conversation solaire) ; la Galerie Basia Embiricos présente Autoportrait, carte blanche donnée à Souhed Nemlaghi, de Tunisie, créateur interdisciplinaire qui trace sa route avec une grande liberté d’inspiration ; Graine de Photographe.com a proposé un concours photo sur le thème Mille et une oasis, à savoir les épiceries de nuit tenues pour la plupart à Paris par des vendeurs liés au monde arabe. La Galerie expose sa sélection.
Créer une Biennale des photographes du monde arabe est une magnifique idée et une nécessité, d’autant en ce moment. « Folle ou sage ? La Photographie peut-être l’un ou l’autre : sage si son réalisme reste relatif, tempéré par des habitudes esthétiques ou empiriques ; folle, si ce réalisme est absolu, et, si l’on peut dire, originel, faisant revenir à la conscience amoureuse et effrayée la lettre même du Temps… » comme le signifiait Roland Barthes. Les traces laissées par les artistes, ici chambres d’écho des pays représentés, composent un riche corpus documentaire et se répondent les unes aux autres. C’est une écriture visuelle à la large palette et aux nuances multiples qui permet au public une réelle imprégnation des situations. C’est un événement photographique, le premier du genre, voulu par Jack Lang, Président de l’IMA qui voit en la Biennale « une sorte de radioscopie du monde arabe. » Loin des clichés, chaque artiste trace son chemin propre. Chapeau bas pour cette initiative, et rendez-vous en 2017 pour une seconde édition, déjà attendue.
Brigitte Rémer
Du 11 novembre 2015 au 17 Janvier 2016. Informations : www.biennalephotomondearabe.com – www.mep-fr.org – Coordination générale : Claude Mollard et Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison Européenne de la Photographie – Commissariat : Gabriel Bauret, écrivain et critique d’art – Géraldine Bloch, chargée d’expositions, IMA.
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