Trois chorégraphies de Merce Cunningham, reprises par le Ballet de l’Opéra de Lyon, dans le cadre de la 48è édition du Festival d’Automne à Paris et de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville, présentées au Théâtre du Châtelet.
Le Festival d’Automne rend un important hommage à Merce Cunningham (1919-2009) pour fêter les cent ans de sa naissance. Ses principales pièces sont à l’affiche, re-montées par différents chorégraphes et dansées par dix compagnies de ballets de différents pays. Un multi-partenariat tissé par le Festival avec une quinzaine de théâtres, à Paris et en Île-de-France a permis de remettre sur le devant de la scène une partie de l’histoire de la danse de la seconde moitié du XXème siècle. Cette traversée du temps est en soi un événement.
C’est à partir de 1972, dans le cadre de sa rencontre avec Michel Guy que le Festival d’Automne pour sa première édition invitait Merce Cunningham et que s’est construit entre le Festival et le chorégraphe une longue histoire commune, jusqu’en 2009, année où il a présenté son testament dansé, « Nearly 902 » juste avant de disparaître. C’est aussi en dialogue avec Gérard Violette, directeur du Théâtre de la Ville, qu’ont été présentées au fil du temps, dans la fidélité de l’échange, ses nouvelles créations. Emmanuel Demarcy-Mota son successeur et directeur du Festival d’Automne lui a emboîté le pas.
Merce Cunningham a bouleversé les codes de la danse dans son rapport à l’espace, dans lequel le danseur devient son propre centre. Il a créé autour de lui un collectif artistique, s’entourant des plus grands plasticiens et musiciens qu’il a associés à ses recherches. Parlant de son travail, – cent-quatre-vingts chorégraphies écrites entre 1942 et 2009 – il note les quatre événements qui lui ont ouvert des voies nouvelles : sa collaboration avec la structure rythmique de John Cage ; l’utilisation de procédés aléatoires pour chorégraphier, offrant diverses possibilités pour l’enchaînement des figures, selon le temps et le rythme ; l’introduction de la vidéo et du cinéma dans la classe de danse influant sur les tempos ; l’utilisation d’un logiciel de danse permettant la mémorisation de ses esquisses chorégraphiques et répétitions. « Mon travail est toujours un processus. Quand je finis une danse, j’ai toujours l’idée, même mince au départ, de la prochaine. C’est pourquoi je ne vois pas chacune d’elle comme un objet, mais plutôt comme un bref arrêt sur la route » dit-il.
Summerspace, Exchange et Scénario, trois pièces majeures de Merce Cunningham dansées par le Ballet de l’Opéra de Lyon et récemment entrées à son répertoire ont été présentées dans un Théâtre du Châtelet rénové, avec les peintures et dorures des balcons de la grande salle et de la coupole restaurées, et un plafond qui a retrouvé sa verrière rétro éclairée. Le reste est invisible pour le spectateur et fait partie des aménagements techniques.
Créées à des intervalles de vingt ans, ces trois pièces de nature différente montrent la diversité d’inspiration du parcours de Merce Cunningham : Summerspace fut créée le 17 août 1958 à l’American Dance Festival du Connecticut College de New London, pièce pour quatre danseuses et deux danseurs, elle est re-montée par Banu Ogan. Les décors – une grande toile pointilliste en fond de scène – et les costumes – zébrés de couleurs vives ou de pois jetés, à base d’orangé – sont de Robert Rauschenberg, les lumières d’Aaron Copp et le piano d’Agnès Melchior sur une musique de Morton Feldman composent l’oeuvre. A côté de l’abstraction il y a de la douceur et un certain lyrisme à travers les six interprètes qui s’élèvent « comme les oiseaux qui se posent parfois puis reprennent leur vol » avec la perfection des corps, l’élévation, le collectif dans ses traversées de plateau, les grands pliés d’une grâce infinie.
La seconde pièce, Exchange, fut créée le 26 septembre 1978 au City Center Theater de New-York, elle est re-créée par Patricia Lent et Andrea Weber. L’environnement sonore urbain de David Tudor témoigne des bruits scandés de la ville, où quinze danseuses et danseurs évoluent et se rejoignent, aux intersections des géographies et des moments. Ils semblent porter le nuage de pollution qui stagne au-dessus de la ville dans leurs collants aux dégradés sombres type anthracite (décors, costumes et lumières, créés par Jasper Johns) et construisent des figures qui refluent de manière récurrente, en solos, duos ou en ensembles : la moitié des danseurs ouvrent la pièce dans une première partie, la seconde moitié prend le relais dans une seconde partie, l’ensemble fait chorum dans le final.
La troisième pièce de Merce Cunningham, Scénario, créée le 17 octobre 1997 à la Brooklyn Academy of Music et re-créée par Andrea Weber, Jamie Scott et Banu Ogan, transforme danseuses et danseurs en sculptures en mouvement. Les costumes de Rei Kawakubo aux couleurs vives – vermillon ou turquoise, épaisses rayures bleu et blanc, gros carreaux – mettent en mouvement d’excentriques silhouettes qui créent de surprenantes figures virtuoses, loufoques et en équilibre instable. Le geste en volute est volubile en même temps que volatile, le corps joue de contrepoints.
Le Ballet de l’Opéra de Lyon dirigé par Yourgos Loukos depuis une trentaine d’années poursuit le travail lancé par ses prédécesseurs, Louis Erlo à la tête de l’Opéra Nouveau de Lyon à partir de 1969, puis Françoise Adret à compter de 1985. Il développe la palette chorégraphique de l’Ensemble avec exigence et précision. Cent dix-sept œuvres sont inscrites à son répertoire dont la moitié sont des créations, les plus grands créateurs, notamment français et américains, ont été invités à y travailler. Grâce, maîtrise et perfection sont les maîtres mots qui conviennent pour parler des danseuses et danseurs du Ballet qui interprètent ces trois pièces de Merce Cunningham, avec virtuosité et poésie.
Ce Portrait Merce Cunningham interroge l’héritage d’un précurseur de la post modern dance qui n’a cessé d’expérimenter et a créé son propre langage. Laissant un espace d’imprévu dans l’ordonnancement des gestes chorégraphiques, il a libéré l’énergie et pris possession de l’espace avec rigueur et liberté. Il est à la source de nombreuses recherches chorégraphiques d’aujourd’hui.
Brigitte Rémer, le 3 décembre 2019
Avec le Ballet de l’Opéra de Lyon – *Summerspace : musique Morton Feldman, Ixion – décor et costumes Robert Rauschenberg – lumières Aaron Copp – pianistes Agnès Melchior, Futaba Oki – remonté par Banu Ogan avec six danseurs, créé le 17 août 1958 par la Merce Cunningham Dance Company à l’American Dance Festival à New London, Connecticut. *Exchange : musique David Tudor, Weatherings – design sonore Phil Edelstein, Jean-Pierre Barbier – décor, costumes,lumières d’après les dessins originaux de Jasper Johns – remonté par Patricia Lent et Andrea Weber avec quinze danseurs, créé le 26 septembre 1978 au City Center Theater, New York. *Scenario : musique Takehisa Kosugi, Wave Code A-Z – costumes, conception d’espace et de lumières Rei Kawakubo – concept et conseil technique Davison Scandrett – remonté par Andrea Weber, Jamie Scott et Banu Ogan avec quinze danseurs, créé le 14 octobre 1997 à la Brooklyn Academy of Music à Brooklyn, New York.
« Portrait Merce Cunningham, 100 ans » programmé par le Festival d’Automne, du 28 septembre au 21 décembre 2019 – Summerspace, Exchange et Scénario, du 14 au 20 novembre 2019, au Théâtre du Châtelet, 1 Place du Châtelet, Paris 75001 – métro Châtelet – www.chatelet.com – Théâtre de la Ville, tél. : 01 42 74 22 77, www.theatredelaville-paris.com et aussi, les 13 et 14 décembre 2019 à 20h30, au Théâtre des Louvrais, place de la Paix à Pontoise.
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