Conception et direction artistique Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, Antonin Tri-Hoang, Orchestre La Sourde – à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet.
Après Concerto contre piano et orchestre, l’équipe de La Sourde – Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, et Antonin-Tri Hoang – se lance dans une Symphonie tombée du ciel qui nous mène du côté des mystères et de l’invisible, qu’on appelle les miracles.
Le spectacle s’est structuré à partir de récits collectés notamment en Ehpad, prison, dans une école et sur le trottoir. Ces récits déconstruits et reconstruits nous arrivent par bribes, avec des voix émanant de partout, à travers des hauts parleurs de différentes tailles et qui émaillent la scénographie. Ils se frayent un chemin au milieu de seize interprètes et de leurs instruments qui composent une écriture musicale faite de solos et d’ensembles, de psalmodies et de chœurs, de consonances et dissonances. Une sorte de sculpture comme une figure-totem sert de supports à d’autres haut-parleurs que le sonneur de cloches déclenchera, et qui plus tard serviront de points lumineux comme étoiles dans le ciel.
On commence par une petite séquence de bricolage où une sorte de chef d’orchestre-mécanicien met en place ces caisses de résonnance d’où sortent de courts témoignages et qui établit une certaine complicité avec les musiciens. Atmosphère détendue tant dans les gestes que dans les costumes, dont certains scintillent, séquence plutôt pince-sans-rire où la chanteuse-flûtiste déploie des adjectifs d’admiration à gorge déployée, qui font contagion et que chaque musicien traduit « prodigieux… extraordinaire… fantastique… » comme un miracle, et comme « résistance à la dictature de la vie. » Plus tard, sa robe pleine d’écailles deviendra percussion. Chef et cheffe d’orchestre se relaient, selon les moments, captant l’attention des musiciens, concentrés et structurés en deux groupes : les cordes – violons, violoncelles, violes de gambe, contrebasses, guitare, ainsi que flûte et chant, côté jardin. Au loin le piano. En fond de scène et plus à l’est, autrement dit côté cour, les vents, trompette, trombone, clarinettes et saxophones, un peu fanfare des Beaux-Arts, à un moment.
Puis c’est autour de deux miracles formulés en direction de la Madone, deux grâces demandées, que se structure le spectacle : la première, énoncée en italien sous-titré, supplique pour qu’un père ne meure pas. On suit la montée du narrateur jusqu’au dôme où se trouve la Bonne Mère, un vrai Golgotha par un chemin pierreux et par grand froid, par le mouvement des arbres et le silence. Au-delà de la peur et de l’essoufflement, un silence positif permettant non plus de parler mais de réfléchir, et d’organiser le discours autrement. Là-haut, enfin, convivialité et communauté multiculturelle accompagnées d’hymnes à la Madone et musiques populaires à travers les instruments à vent et percussions. Au retour, trois jours plus tard, le miracle n’a pas lieu, le père meurt.
Second récit, l’ami venant demander grâce à travers une longue marche dans la neige qui se termine en roulé-boulé puis en vol d’oiseau après le descriptif de sa chute sur une plaque à vent qui l’a mené peut-être directement au paradis. « Tout est arrêté, je suis sous la neige… » Un coin de ciel bleu pourtant lui laisse un certain espoir. Des fils à linge auxquels sont accrochées des partitions descendent du ciel et les instrumentistes, debout, nimbés de surnaturel, suspendent leurs notes d’un phrasé à l’autre, suivant le dialogue et ponctuant le texte. Quelques musiciens s’auréolent d’un soleil doré.
Plusieurs narrations se superposent dans le dialogue entre le vocal et les instruments qui accompagnent, réagissent, paraphrasent, commentent et dialoguent. Si l’intention de l’équipe de création – le quatuor Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, Antonin Tri-Hoang – semble relativement claire dans l’idée de contredire et démultiplier la parole, celle-ci manque d’ampleur et ne semble pas exploitée comme elle aurait dû au regard du travail effectué pour la collecter.
On s’accroche donc aux musiciens, magnifiques dans leur capacité d’attention et d’écoute entre eux, et à ces deux récits qui restent assez vagues par rapport au thème annoncé des miracles, hormis la marche vers une quête certes difficile à cerner et qui ici semble encore inexplorée. Sur ce sentier nimbé mais au bord de la falaise, Jean-Luc Godard, donné en référence de La Symphonie tombée du ciel, indique la direction : « Qu’est-ce que la musique ? rien. Que peut-elle ? tout. »
Brigitte Rémer, le 19 septembre 2024
Avec : Thibault Perriard en alternance avec Guihem Flouzat, batterie, guitare – Eve Risser, piano, flûte – Samuel Achache et Olivier Laisney, trompettes – Antonin-Tri Hoang, clarinettes, saxophones – Florent Hubert, clarinettes basses, saxophones – Anne-Emmanuelle Davy, flûte, chant – Rose Dehors, trombone, sacqueboute – Apolline Kirklar et Boris Lamerand, en alternance avec Marie Salvat, violons – Pauline Chiama et Etienne Floutier, violes de gambe – Gulrim Choï, Myrtille Hetzel, violoncelles – Mattieu Bloch, Caroline Peach, contrebasses. Collaboration son et dramaturgie, Chloé Kobuta – création lumières et régie générale, Maël Fabre – création et régie son, Julien Aléonard – costumes Pauline Kieffer – regard sur la scénographie Lisa Navarro, assistante Alice Le Coënt.
Athénée Louis-Jouvet, Mercredi 18, Jeudi 19, Vendredi 20, Samedi 21, Mercredi 25, Jeudi 26, Vendredi 27, Samedi 28 septembre à 20h – 2/4 square de l’Opéra Louis-Jouvet. 75019. Paris – métro : Opéra – site : www.athenee-theatre.com – tél. : 01 53 05 19 19 – En tournée : jeudi 10 octobre 2024, Le Grand R/Scène nationale de la Roche-sur-Yon – mercredi 11 décembre 2024, Théâtre de Caen – 13 au 20 décembre 2024, Théâtre national de Strasbourg.
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