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Ici et là – Des oiseaux – Play 612

Cie Astrakan/Daniel Larrieu © Benjamin Favrat

Trois programmes chorégraphiques proposés dans le cadre du Festival June Events par l’Atelier de Paris, à la Cartoucherie de Vincennes.

Chaque année au mois de juin, le Festival June Events, rend compte des formes chorégraphiques émergeantes, à l’initiative de l’Atelier de Paris que dirige Anne Sauvage. Nous rapportons ici la trace de trois spectacles de nature différente, vus au fil des soirées et qui s’inscrivent dans ces vibrations et ce mouvement du sensible : Ici et là, dans une chorégraphie de Claire Jenny et la compagnie Point-Virgule, Des Oiseaux signé de Joana Schweizer, Play 612 spectacle-conférence de Daniel Larrieu.

Ici et là, est un projet réalisé par Claire Jenny et la compagnie Point-Virgule avec des personnes privées de liberté – ayant obtenu une permission spéciale de sortie du Centre pénitentiaire sud francilien de Réau, pour un soir – et avec cinq artistes professionnels. Depuis près de trente ans elle mène des projets artistiques en immersion en milieu carcéral, au Québec et en France qui interagissent avec ses propres créations. Huit femmes et deux hommes se placent face au public, au son de la percussion, ils avancent, se regardent comme on cherche quelqu’un dans la foule. On perçoit les bruits de la ville. Ils courent et créent du jeu, de la complicité. La vitesse augmente, la distance aussi. Lent, rapide, coulé, leurs bras forment des figures, timidement d’abord, puis dessinent dans l’espace des mouvements avant, arrière, puis ils s’abandonnent. Assis, debout, couché. Bruits de trains…

Cie Point-Virgule © Clémence Cochin

Ils sont en jeans ou collants, bleu, vert, jaune, orange. Ils se cherchent, essaient de toucher le ciel, se regroupent en un mouvement d’ensemble. Des duos se forment. Replis, sourires, portés, touchés, accélérés, crépitements. Aux trains succèdent les bruits d’avion, ils voyagent, on voyage. La main se retire. Ils deviennent oiseaux, rassemblent leur énergie. Le tapis de danse vire à l’orangé. Ils s’assoient et regardent. Ils nous regardent. Autre duo, l’un est de dos, l’autre tournoie. Deux par deux ils s’envolent au vent. Un chœur se forme, un travail des mains se met en place, un jeu de gestes, gracieux, se construit. Le tapis vire au bleu-vert et se teinte comme un étang. Des images sur écran dialoguent avec le plateau laissant apparaître ceux qui ont participé à l’aventure et n’ont pas obtenu leur autorisation de sortie. On les regarde. Le geste de la transmission se construit comme on se passe le témoin dans une course, avant que l’image ne s’efface lentement de l’écran.

Cie Aniki Vóvó/Joana Schweizer © Emile Zeizig

Des oiseaux, chorégraphie de Joana Schweizer, compagnie Aniki Vóvó. Cette pièce pour cinq interprètes nous emmène dans le monde du vol, de l’envol, des parades nuptiales des oiseaux, avec une grande finesse d’observation et de ré-interprétation. Joana Schweizer est musicienne et plasticienne autant que danseuse et chorégraphe et cherche la place de la voix dans la partition chorégraphique et la créativité des circassiens. Autant dire que les chants d’oiseaux l’inspirent. Elles les déclinent dans toute leur subtilité avec la Compagnie. Les percussions se répondent créant des rythmes portés par les maracas. Les danseurs-oiseaux s’observent, piaulent et se répondent et chacun dessine les gestes subtils de sa parade. Chaque pas enrichit le paysage sonore, apportant une nouvelle note à la partition, comme ce frottement sur le métal des échelles plantées dans la scénographie du tapis de danse. Chaque geste esquissé définit le contexte et le mode de vie et de vol, l’envol. Plumes, bec, ailes, pattes, ces sentinelles de la nature à la vue perçante, annonciatrices du jour ou de la nuit, des saisons et des états d’âme, se saluent. L’hirondelle habits de printemps et symbole de liberté, la colombe et le cygne, signes de l’amour, la huppe et le rossignol, le faucon et le chardonneret. On les voit tous en élégance, inventivité, précision et grâce, qui jouent de leurs grands airs aux riches tessitures, gazouillis discrets ou cris perçants, trilles et chants nocturnes quand le calme revient. L’un fait le beau, l’autre fait solo, ils se perchent, nichent, lissent leurs plumes. Une chambre d’écho traverse le plateau, relief de ce qu’ils perçoivent et entendent. L’un tourne sur lui-même, l’échassier, juché sur ses longues pattes, bécasseau ou héron, cigogne, grue ou pélican, danseur monté sur échasses. La sirène d’un bateau leur fait tendre le bec derrière un rideau jaune composé de fils en arrière-scène. Les costumes sont un ravissement et pur raffinement. En solo, Joana Schweizer fait du cousu mains entre les parties donnant énergie et grâce dans un manteau d’un beau rose éteint. Des oiseaux est une fable qui conte et déconte en ornithologue la vie extrême d’une faune oiselles/oiseaux.

Cette Conférence des oiseaux est visuelle et théâtrale autant que gestuelle. La fin est festive et chacun se métamorphose pour la rencontre – foulards, casquettes, danses de possession, couleurs ajoutées, djembé endiablé. La dernière image reprend le moment solennel de l’entrée en scène, moment ritualisé et polyphonique où chacun porte une lampe dans la pénombre, comme en procession, chacun est enfermé dans un manteau et les spécificités de sa classe. « Huppe je te salue, guide des hauts chemins et des vallées profondes… Salut, faucon royal à l’œil impitoyable ! Jusqu’où va ta violence et jusqu’où ta passion ? » écrit Le grand poète mystique Attar. Joana Schweizer décline avec une infinie profondeur et subtilité ce Salut aux oiseaux dont elle s’empare et qu’elle dessine comme des enluminures « Voici donc assemblés tous les oiseaux du monde, ceux des proches contrées et des pays lointains… »

Play 612, recherche chorégraphique, conférence-dansée de Daniel Larrieu, compagnie Astrakan.  Depuis Chiquenaudes présenté au Concours de Bagnolet en 1982 où il remporte le Second Prix, Daniel Larrieu n’a cessé de montrer sa capacité de créativité et son originalité. Quarante ans plus tard il appuie sur le bouton Rewind, non pas de manière nostalgique mais pour montrer en trois petits tours et puis s’en vont que c’était hier et que chaque jour il continue à déjouer le temps et le corps dans l’espace, tout en passant le témoin à d’autres. C’est avec Jérôme Andrieu et Enzo Pauchet qu’il officie ce soir-là, à mains nues, dans la belle fluidité de trois générations réunies. Trois chaises et une table, un tabouret et un ordinateur pour diffusion en direct. Derrière ce côté ludique où un spectateur pioche le thème à interpréter dans un chapeau haut-de-forme qui circule, se trouve la rigueur de la transmission. Chacun à son tour et selon leur code de complicité s’y colle, c’est-à-dire interprète gestuellement le texte, la musique, la chanson dont le titre est inscrit sur le papier magique. Dans cette chasse aux papillons défilent sous nos yeux des bribes de création aux références fortes, tant en chorégraphie qu’en musique. Ainsi Larrieu interprétant Léo Ferré dans Avec le temps ou jouant de l’éventail japonais. Ainsi Genet et Notre-Dame des fleurs, évocation par l’un des danseurs, de la pièce Divine montée par Larrieu avec Gloria Paris (2012) ou encore la poupée de Delta (1995) en référence à William Forsythe. Enzo Pauchet interprète trois solos sur les compositions de Henryk Górecki, référence au spectacle Emmy que dansait Larrieu sur le thème de l’autoportrait (1995). Il partage ses souvenirs d’enfance avec Je danse dans la forêt quand il pensait qu’un jour il pourrait voler (2018) et plus tard avec le cinéma américain qui avait envahi sa vie adolescente. Il rappelle la chanson d’Edith Piaf « Sous le ciel de Paris S’envole une chanson Hum, hum Elle est née d’aujourd’hui Dans le cœur d’un garçon… »

Cie Astrakan/Daniel Larrieu © Benjamin Favrat

Solos ou mouvements collectifs, les réminiscences de Daniel Larrieu défient le temps. Il ouvre sa malicieuse valise pour présenter avec Jérôme Andrieu et Enzo Pauchet sa Collection Larrieu et en sort des trésors, petits signes sensibles montrant ce qui l’habite sur scène depuis quarante ans. On y trouve ce qu’il appelle les chansons de gestes, mettant les mots en mouvements, des solos avec textes écrits avec Cold Song, des bouts de films et de photographies, des bribes en tous genres et espaces d’improvisations. On entre dans son cabinet de curiosités dans ce qu’il a de lumineux par sa simplicité et sa poétique.

La dix-septième édition de June Events s’est refermée sur ces formes plurielles où se mêlent la musique et le geste. Anne Sauvage, directrice, en rappelle le postulat : « Dans un même mouvement de transmission, les artistes nous rappellent les liens entre notre Histoire et nos histoires. Et c’est souvent du prisme de l’intime que jaillit le besoin profondément humain, de communauté. » Dans l’attente de la prochaine édition.

Brigitte Rémer, le 28 juin 2023

Ici et là : création 2023 – projet réunissant des personnes détenues et 5 artistes professionnels chorégraphie Claire Jenny – danseur et danseuses du Centre Pénitentiaire Sud Francilien, en live et sur des séquences filmées – interprètes professionnels : Marie Barbottin, Jérémy Déglise, Yoann Hourcade, Claire Malchrowicz, Bérangère Roussel – Univers sonore Nicolas Martz – Images Florent Médina.

Des Oiseaux : création 2023 coproduction Musique live – Pièce pour 5 interprètes – Conception Joana Schweizer en collaboration avec Gala Ognibene – Interprétation – Joana Schweizer, Justine Lebas, Lara Oyedepo, Céleste Bruandet, Miguel Filipe – scénographie Gala Ognibene – composition musicale Joana Schweizer, Guilhem Angot, Lara Oyedepo, Miguel Filipe – création lumière Arthur Gueydan – création son Guilhem Angot – création costumes Clara Ognibene – En tournée : 7 novembre 2023 : La Rampe, Echirolles – 6 et 7 décembre 2023 : Théâtre de Bligny, Briis-sous-Forges, co-réalisation Atelier de Paris – 12 et 13 décembre 2023 : LUX Scène Nationale, Valence – 13 au 15 mars 2024 Scène Nationale de Bourg en Bresse.

Play 612 : création 2018, trio, conception Daniel Larrieu, création Astrakan / Collection Daniel Larrieu – Avec : Jérôme Andrieu, Daniel Larrieu, Enzo Pauchet – Lumière Lou Dark – costumes Association Heart Wear – chapeau Anthony Peto – Poupée Kit Vollard.

Festival June Events, du 30 mai au 17 juin 2023 à l’Atelier de Paris / Cartoucherie de Vincennes – Route du Champ de Manœuvre, 75012. Paris – site : www.atelierdeparis.org – tél. : +33 (0) 1 417 417 07 –

June Events 2019

© Charlotte Audureau – “Näss”, Compagnie Massala.

13ème édition du Festival / Danse Paris. Direction Anne Sauvage.

Comme chaque année depuis douze ans, June Events clôture la saison du Centre de Développement chorégraphique national à la Cartoucherie de Vincennes qui, toute l’année accueille de jeunes créateurs, dans le cadre de sa Saison en création(s). Le Festival se tient à l’Atelier de Paris fondé il y a vingt ans par Carolyn Carlson, et au Théâtre de l’Aquarium ainsi que dans différents lieux de la capitale dont cette année le 12ème arrondissement, et parfois dans la rue. Anne Sauvage le dirige, ses priorités vont aux résidences d’artistes et à la jeune création. « Sans hiérarchie de formes, les expériences à voir, à vivre et à danser se croisent, s’affrontent ou se répondent… » Elle permet des rencontres professionnelles et développe de nombreux partenariats, offre à des chorégraphes de montrer leurs work in progress.

Le coup d’envoi avait été donné le 6 mai au Conservatoire Paul Dukas du 12ème arrondissement, par Cécile Proust, chorégraphe et féministe engagée et Pierre Fourny, poète à « 2 mi-mots » qui découpe et recompose le langage, avec leur spectacle FénanOQ présenté l’an dernier à Avignon dans le cadre de Sujets à vif.

L’une des soirées s’est déroulée en coréalisation avec Le Printemps de la danse arabe #1 de l’Institut du Monde Arabe. Un regard sur la pièce intitulée Sérénités, trio de Danya Hammoud, danseuse et chorégraphe libanaise également formée au théâtre, à la recherche d’apaisement, a été proposé en première partie de soirée. « Peut-être que l’arme de résistance c’est le viscéral, le bassin… quand mon territoire redevient mon corps. » disait-elle en 2013 en présentant son solo Mahalli.

Cláudia Dias, artiste portugaise, présentait en seconde partie un duo, Terça-Feira : Tudo o que é sólido dissolve-se no ar, d’après les mots de Karl Marx : Tout ce qui est solide se fond dans l’air. On ne sait si le solide serait ici le corps des danseurs – qui ne dansent pas tout au long de la pièce – ou ce fil blanc de type pâte à modeler qui se faufile dans l’espace du spectacle, pour laisser traces. Le thème évoque l’exil, par les bribes de texte qui s’impriment sur écran, mais l’ensemble de la démarche reste flou dans le rapport entre Marx, l’exil et ce qui est donné à voir. Le principe de travail de Cláudia Dias repose sur l’invitation qu’elle lance auprès d’un artiste, ici Luca Belleze et son projet global se déroule sur sept ans, à raison de la création d’une pièce par an. Il y a pourtant dans cette pièce des moments d’émotion liés notamment au travail de la voix et du son, enregistré in situ.

Troisième spectacle de la soirée, Näss / Les gens, pièce pour sept danseurs, proposée par la Compagnie Massala, dans une chorégraphie de Fouad Boussouf, imprégnée de hip hop, de danse traditionnelle, de danse jazz et de nouveau cirque et digressant entre ces différents vocabulaires. Sept danseurs investissent le plateau, puissants, intenses et acrobatiques. Aucun répit pour le spectateur. Rythmes, scansions, cadences infernales, acrobaties, dans un paroxysme et une saturation images et sons. Mouvements d’ensembles et partitions solos, jeux de maillots et de masques, figures gymnastes et break dance virtuoses, écritures percutées par les rythmes obsédant, jusqu’à la transe, au sol et dans les airs. C’est de la haute voltige. On est au Maroc, entre gnawas, soufis, et choc des cultures. Le chorégraphe se présente ainsi : “Artiste engagé, ma danse est au service du partage de cet héritage artistique et culturel, elle questionne les identités plurielles, entre rupture et continuité.”

Ce « moment d’utopie collective » comme le dit la directrice de June Events, sur le thème cette année de Faisons corps permet de donner de la force face aux mutations du monde. On traverse des expériences, on décale les codes. Joanne Leighton fête d’une manière ludique la fin de sa résidence à Paris Réseau Danse au Palais de la Porte Dorée avec Walk #3 ; Vincent Thomasset joue sur les équilibres, avec Carrousel ; Aina Alegre interroge les identités avec La nuit, nous autres ; Nina Santes, nouvellement associée à l’Atelier de Paris, organise un récit de nuit, Fictions, une nuit en créations, avec des performances multiples au cours d’une nocturne multiforme et électrique.

La programmation est riche et ouverte, et on y trouve tous types d’initiatives et de spectacles. Elle est fantaisie, recherche et  décalage, venant de différentes régions de France – entre autres  le Ballet de Lorraine sous la houlette du chorégraphe japonais Saburo Teshigawara et celle de Thomas Hauert avec vingt-deux danseurs – et venant de partout, entre autres d’Allemagne, Belgique, Espagne, Portugal, Israël, dans l’idée d’être ensemble. Découverte et plaisir sont à la clé de June Events. Suivez la piste !

Brigitte Rémer, le 9 juin 2019

Sérénités, Association L’Heure en Communavec : Yasmine Youcef, Ghida Hachicho, Danya Hammoud – Chorégraphie Danya Hammoud – accompagnatrice Marion Sage.

Terça-Feira : Tudo o que é sólido dissolve-se no ar – Compagnie Alkantara – avec Claudia Dias et Luca Bellezze – conception Claudia Dias – regard extérieur Jorge Loura.o Figueira – assistance Karas – créations lumières et décor Thomas Walgrave – animation Bruno Canas.

Näss/ Les gens – Compagnie Massala – avec :  Élias Ardoin ou Yanice Djae, Sami Blond, Mathieu Bord, Maxime Cozic, Loïc Elice, Justin Gouin, Nicolas Grosclaude – chorégraphie Fouad Boussouf – assistant Bruno Domingues Torres – création lumière Françoise Michel – habillage sonore et arrangements Romain Bestion – costumes et scénographie Camille Vallat – En tournée : 13 juin 2019 Festival Perspective de Sarrebruck (Allemagne) – Juillet Avignon Off et Festival de Sanvicenti (Croatie) – Beijing Dance Festival, Pékin (Chine) – Août : Shanghai international Dance Center, Shangai (Chine) – Septembre Dansens Hus d’Oslo (Norvège) et Stockholm (Suède).

June Events – Jusqu’au 15 juin 2019 – Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. 75012 – Tél. : 01 41 74 17 07. Voir aussi nos articles Ubiquité-Cultures, pour Le Printemps de la danse arabe #1 des 31 mars et 8 avril 2019.