Musée de l’Orangerie, Paris – Commissariat : Simonetta Fraquetti, commissaire d’exposition indépendante et historienne de l’art et Cécile Girardeau, conservatrice au musée de l’Orangerie – Derniers jours, jusqu’au 15 janvier 2024
Amedeo Modigliani s’installe à Paris en 1906 à l’âge de vingt-deux ans, venant de Livourne, en Italie où il est né dans une famille juive sépharade, après s’être formé dans le domaine des arts plastiques en Toscane, dans le sud de l’Italie et à Venise. Très tôt, sa vocation d’artiste est scellée. À son arrivée et jusqu’en 1914 il s’essaye à la sculpture, mais sa santé fragile l’oblige à abandonner. Il se consacre alors exclusivement à la peinture, et ce jusqu’à la fin de sa courte vie. Il meurt en effet de la tuberculose en 1920, à l’âge de trente-cinq ans.
Modigliani est l’image type de l’artiste bohême, qui navigue entre misère, alcool et drogue, de Montmartre à Montparnasse où il côtoie de nombreux artistes comme Maurice Utrillo, Chaïm Soutine, Constantin Brâncuși et le poète Max Jacob qui lui fera rencontrer le tout jeune galeriste et collectionneur Paul Guillaume, alors âgé de vingt-deux ans. Dès l’année suivante, celui-ci devient son marchand/mécène, les lettres échangées entre Paul Guillaume et Apollinaire, mentor et ami alors au front, en témoignent. En six ans, de 1914 à 1920, Modigliani produit plusieurs centaines de tableaux et un ensemble important de dessins consacrés à la figure humaine. Entre 1915 et 1916 il réalise quatre portraits de son mécène dont Nova Pilota qui le représente, expressif, un chapeau sur la tête, cravaté et ganté, fumant une cigarette sur un mur couleur rouille/lie-de-vin. Cette inscription montre l’espoir que suscite chez Modigliani cette rencontre. Les deux hommes ont de nombreuses affinités artistiques et intellectuelles dont un vif intérêt pour la poésie et la littérature, ainsi que pour l’art africain.
Le parcours de l’exposition se construit en quatre étapes : dans la première, intitulée Amedeo Modigliani et Paul Guillaume, on voit le soutien apporté par Paul Guillaume dès leur rencontre en louant pour Modigliani un atelier, rue Ravignan, à Paris, près de la butte Montmartre. Des photos les montrent l’un et l’autre dans cet atelier ainsi que dans l’appartement-galerie de Paul Guillaume, avenue de Villiers. Cette salle montre aussi les trois portraits à l’huile de Paul Guillaume et deux dessins. Une centaine de toiles passeront vraisemblablement par les mains du marchand, ainsi qu’une cinquantaine de dessins et une douzaine de sculptures.
La seconde étape, Masques et têtes, focus sur Les Arts extra-occidentaux montre les dessins préparatoires aux sculptures que réalise Modigliani entre 1911 et 1913. Ces dessins annoncent le style allongé des têtes de femmes qu’il réalisera plus tard et qui sont exposées ici. Modigliani s’imprègne de l’art égyptien khmer, africain ainsi que des primitifs italiens vus dans les musées parisiens. Paul Guillaume est à ce moment-là l’un des rares à considérer les statues et les masques africains comme des œuvres d’art. Il les expose dans sa galerie, dès son ouverture, en même temps que des tableaux et œuvres d’art moderne venant d’Europe. Il achète aussi les sculptures de Modigliani, même quand celui-ci ne sculpte plus. On trouve ainsi côte à côte une Tête de femme de Modigliani, en calcaire et taillée dans la masse et qui ressemble à un chapiteau, aux côtés d’un Élément de reliquaire Mbulu-ngulu d’un artiste kota du Gabon ; ou encore un Masque anthropomorphe Ngon Ntang face au portrait Antonia de l’artiste peintre. Modigliani a réalisé des centaines de croquis au titre de la recherche pour ses sculptures, des têtes se rapprochant des caryatides et a travaillé le bois puis la pierre, dans une grande complicité et proximité avec le sculpteur roumain Constantin Brancusi.
La troisième étape nous invite à nous plonger dans le Milieu parisien, affinités artistiques et littéraires avec pour vitrine la revue Les Arts à Paris créée par Paul Guillaume en collaboration avec Guillaume Apollinaire. Au début du XXème, Paris se trouve au cœur du cosmopolitisme et au carrefour du monde artistique et culturel. Ce bouillonnement lui permet de peindre nombre d’entre les artistes et intellectuels qu’il fréquente, comme le peintre français d’origine polonaise Moïse Kisling, dont le portrait est exposé dans cette section, et bien d’autres. Autour de lui se trouvent aussi Pablo Picasso, Juan Gris, Diego Rivera et Chaïm Soutine des écrivains et poètes comme Jean Cocteau, Max Jacob et Beatrice Hastings avec qui il aura une liaison houleuse pendant deux ans avant de lui préférer l’étudiante en art Jeanne Hébuterne qui lui servira de modèle, lui donnera une fille et qui se suicidera à sa mort, alors qu’elle est enceinte de huit mois de leur second enfant.
La quatrième étape couvre la Période méridionale de Modigliani, période au cours de laquelle il est assisté d’un second marchand d’art, Léopold Zborowski – tout en gardant le lien avec Paul Guillaume. Zborowski soutient son idée de se remettre à peindre des nus. Figure notamment dans cette salle un Nu couché peint en 1917/18 à la pureté des lignes et aux couleurs chaudes dégradées, période au cours de laquelle Modigliani est installé à Nice pour raison de santé, avec sa compagne et aussi parce que les bombardements s’étaient accentués sur Paris. Il peint des enfants comme la Fille avec des tresses et une Petite fille en bleu, ou encore le Garçon en pantalon court.
La salle de projection vidéo : Modigliani dans les intérieurs de Paul Guillaume présente un film monté à partir de photographies d’archives où l’on voit l’ascension du galeriste-collectionneur et ses goûts artistiques. L’appartement est rempli de Picasso, Matisse, Renoir, Cézanne, Derain et Modigliani y occupe une place de choix.
Amedeo Modigliani s’est presque exclusivement consacré à la représentation de la figure humaine dans la stylisation à l’extrême et la pureté des traits, dans la géométrisation des visages. Ses visages ressemblent parfois à des masques. Les yeux sont absents. Au fil de l’exposition on croise ainsi de nombreux portraits comme Lola de Valence, Madame Pompadour, Femme au ruban de velours, réalisés en 1915, ou encore, la même année, la Fille Rousse empreinte d’une certaine tristesse ; Le Jeune Apprenti (1917/1919) ; Portrait de femme dit La Blouse rose et Elvire assise, accoudée à une table (1919) et bien d’autres œuvres.
L’angle de vue que propose l’exposition Modigliani, un peintre et son marchand permet d’entrebâiller la porte de l’atelier et de comprendre la diversité des influences et des expériences, la valeur des rencontres dans un Paris cosmopolite et capitale des arts où les artistes des avant-gardes sont présents comme dans une ruche et se stimulent les uns les autres. L’importance de l’accompagnement et du soutien financier apporté par le marchand d’art, réellement amoureux d’art et investi à leurs côtés, dans toute l’acception du terme, y est mis en exergue. Pour Modigliani, Paul Guillaume fut essentiel à sa survie et au développement de son art.
L’exposition à laquelle le musée de l’Orangerie invite est de petit format, ce qui permet de prendre du temps devant chaque œuvre et d’en rechercher les correspondances. Le Musée vient d’ailleurs d’acquérir très récemment les Albums dits de Paul Guillaume qui ont rejoint sa collection, un ensemble, composé de dix-sept recueils de photographies d’œuvres lui ayant appartenu et qui, constitue une source essentielle pour l’histoire du musée qui conserve près de cent-cinquante œuvres de ce célèbre collectionneur du début du XXe siècle. Une belle démarche.
Brigitte Rémer, le 3 janvier 2024
L’exposition – qui a débuté le 20 septembre 2023 – est à voir jusqu’au 15 janvier 2024. Derniers jours ! lundi, mercredi, jeudi, samedi et dimanche de 9h à 18h, le vendredi de 9h à 21h. Fermeture le mardi. Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries/côté Seine, Place de la Concorde. 75001. Paris – tél. : 01 44 50 43 00 – site : www.musee-orangerie.fr – Un catalogue a été publié, sous la direction de Simonetta Fraquetti et Cécile Girardeau, commissaires de l’exposition, Modigliani, un peintre et son marchand, co-édition Musées d’Orsay et de l’Orangerie / Flammarion (prix : 35 euros)
Visuels : (1) Amedeo Modigliani, Paul Guillaume, Novo Pilota, 1915, huile sur carton collé sur contre-plaqué parqueté, 105 x 75 cm, Paris, musée de l’Orangerie © RMN-Grand Palais (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski – (2) Amedeo Modigliani, Tête de femme, 1911-1913, sculpture en calcaire, 47 x 27 x 31 cm, Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacqueline Hyde – (3) Elvire assise, accoudée à une table, 1919, Saint-Louis, Saint Louis Art Museum don de Joseph Pulitzer Jr. en mémoire de sa femme, Louise Vauclain Pulitzer, 77:1968/ Image Courtesy of the Saint Louis Art Museum – (4) Amedeo Modigliani, La chevelure noire, dit aussi Jeune fille brune assise, 1918, huile sur toile 92 x 60 cm, Paris, musée national Picasso – Paris, Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean.
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